ANALYSE D'ARTICLE

Mortalité par maladies de l’appareil circulatoire et autres affections non cancéreuses dans la cohorte INWORKS des travailleurs du nucléaire

Cette analyse de la mortalité d’autre cause que le cancer dans la population d’INWORKS (International Nuclear Workers Study) renforce la notion d’un risque de maladies cardio- et cérébrovasculaires accru par une faible irradiation externe. Plusieurs éléments s’opposent toutefois à une conclusion définitive.

Outre l’augmentation du risque de cancer, clairement attribuée à l’exposition aux rayonnements ionisants (RI), un excès de risque de maladies des systèmes circulatoire, digestif et respiratoire a été observé chez les survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki (Life Span Study [LSS]). Le suivi de patientes traitées par radiothérapie pour un cancer du sein montre par ailleurs une augmentation de la mortalité par maladies cardiovasculaires plusieurs années après l’irradiation. Si ces sources sont indicatives des risques radio-induits de pathologies non cancéreuses chez des sujets fortement exposés, leur pertinence reste discutée pour l’évaluation des effets d’expositions répétées ou prolongées à de faibles doses délivrées à de faibles débits de dose, représentatives des expositions professionnelles ou liées à des examens médicaux.

 

Investigation dans la cohorte INWORKS

Par sa population, son ampleur et la durée du suivi, l’étude internationale INWORKS constitue un matériel adapté à la mise en évidence des risques sanitaires à long terme d’une faible irradiation chronique. Elle rassemble les employés (pendant au moins un an) d’entreprises françaises, britanniques et états-uniennes du secteur de l’industrie nucléaire, dont l’exposition externe aux RI a été mesurée (surveillance dosimétrique individuelle). Le statut vital des membres de la cohorte française (regroupant des employés du CEA, d’AREVA et d’EDF) a été suivi de 1968 à 2004. Les périodes d’observation des cohortes britanniques (sept sous-cohortes entreprise/employeur constitutives) et états-uniennes (cinq sous-cohortes) s’étendent respectivement de 1955 à 2001 et de 1944 à 2005. Les données exploitables pour l’analyse de la mortalité portent sur une population totale de 308 297 sujets (8,22 millions de personnes-années) dans laquelle 66 632 décès ont été enregistrés. Après l’analyse de la mortalité par cancers, qui a fait l’objet de publications antérieures (hémopathies notamment [1]), cet article rapporte les résultats relatifs aux autres causes de décès, qui représentaient la majorité des cas (69 % des décès [n = 46 029]).

Douze groupes de maladies ayant entraîné plus de 100 décès ont été constitués sur la base de la cause principale mentionnée sur les certificats de décès, codée selon la version appropriée de la classification internationale des maladies (CIM). Le groupe le plus nombreux était celui des affections circulatoires, à l’origine de 60 % des décès (n = 27 848).

La dose de RI reçue, cumulée sur l’ensemble de la carrière professionnelle, a été reconstituée pour chaque travailleur et convertie en dose au tissu à une profondeur de 10 mm (Hp[10] exprimée en Sievert [Sv]). La valeur moyenne était de 25,2 mSv, avec une répartition très inégale (médiane : 3,4 mSv ; 90e percentile : 64,5 mSv ; maximale : 1 932 mSv). La majorité des travailleurs avait été exposée à des niveaux faibles : la dose Hp(10) individuelle cumulée était inférieure à 10 mSv pour 66 % de la population et dépassait 100 mSv pour 6,4 %.

La relation entre la dose et la mortalité a été examinée tenant compte d’un délai de latence de 10 ans. Un modèle d’excès de risque relatif (ERR) de type linéaire avec ajustement de base sur l’âge, la cohorte de naissance, le sexe, le statut socio-économique, la durée de l’emploi et l’entreprise/employeur, a été utilisé pour calculer l’ERR par Sv.

Résultats d’ensemble

L’analyse incluant la totalité des décès met en évidence une relation (ERR/Sv = 0,19 [IC90 : 0,07-0,30]) largement imputable à un excès de risque de mortalité par maladies de l’appareil circulatoire : ERR/Sv égal à 0,22 (0,08-0,37), correspondant à un excédent de 218 décès par rapport à l’attendu. Le seul autre groupe pour lequel l’analyse indique un effet de l’irradiation est celui des troubles mentaux (ERR/Sv = 1,30 [0,23-2,72], estimation fondée sur 705 décès observés seulement pour 676,2 attendus). Les résultats dans le groupe des affections respiratoires (5 291 décès, ERR/Sv = 0,13 [- 0,17 à 0,47]) et celui des pathologies digestives (n = 2 180, ERR/Sv = 0,11 [- 0,36 à 0,69]) ne sont pas significatifs, mais l’estimation est compatible, comme pour les maladies de l’appareil circulatoire, avec les données de la LSS. Une association négative, non significative et très imprécise, est observée avec les causes externes de décès (n = 4 451, ERR/Sv = - 0,12 [< - 0,60 à 0,45]).

Focus sur les maladies de l’appareil circulatoire

Plus de la moitié des décès d’origine circulatoire étaient dus à une cardiopathie ischémique (n = 17 463) et 4 444 décès étaient consécutifs à une maladie cérébrovasculaire. Une relation avec l’exposition est retrouvée dans ces deux sous-groupes (ERR/Sv respectivement égal à 0,18 [0,004-0,36] et à 0,50 [0,12-0,94]), dominée dans le premier par une association avec l’infarctus aigu du myocarde (n = 11 076, ERR/Sv = 0,26 [0,03-0,51]), tandis que l’excès de mortalité par insuffisance cardiaque chronique n’est pas significatif (n = 6 238, ERR/Sv = 0,07 [- 0,19 à 0,36]).

Les auteurs ont réalisé des analyses par catégorie de dose afin de préciser l’aspect de la relation dose-risque pour la mortalité par maladies de l’appareil circulatoire, cardiopathies ischémiques et maladies cérébrovasculaires. Elles indiquent une relation linéaire avec les maladies de l’appareil circulatoire dans leur ensemble ainsi qu’avec le sous-groupe des cardiopathies ischémiques, alors que la relation avec les maladies cérébrovasculaires décrit une courbe qui s’aplatit au seuil de 200 mSv. En restreignant progressivement l’intervalle de dose examiné par exclusion des valeurs supérieures, l’excès de mortalité par maladies de l’appareil circulatoire reste significatif dans l’intervalle 0-300 mSv (ERR/Sv = 0,28 [0,03-0,53]) mais ne l’est plus dans l’intervalle 0-200 mSv (ERR/Sv = 0,19 [- 0,14 à 0,53]).

Des analyses supplémentaires ont été effectuées pour examiner l’influence de différents facteurs sur la relation avec la mortalité d’origine circulatoire : âge à l’exposition, délai depuis l’exposition, sexe, groupe socio-économique, entreprise/employeur, exposition aux neutrons et contamination interne lorsque ces données étaient disponibles. Le résultat le plus notable est l’hétérogénéité significative du risque estimé au travers des différentes populations de travailleurs formant les cohortes britanniques et états-uniennes, certaines (principalement britanniques) fournissant des indications d’une relation dose-risque positive substantielle, tandis que la relation, d’ampleur comparable, est négative dans d’autres (principalement états-uniennes). Cette hétérogénéité qui demande à être explorée et expliquée, empêche de tirer des conclusions claires quant au risque radio-induit de maladies circulatoires pour des niveaux d’exposition faibles. Plusieurs limites du travail actuel doivent être dépassées pour améliorer l’évaluation de ce risque, eu égard à l’importance du sujet pour la radioprotection des travailleurs, mais aussi pour la protection de la population générale avec l’extension des procédures médicales irradiantes. Les auteurs relèvent en particulier le manque d’informations relatives aux facteurs de risque établis des maladies cardiovasculaires (tabagisme, hypertension artérielle, diabète, dyslipidémie, obésité) et la faiblesse des données disponibles pour caractériser le statut socio-économique.

 


Publication analysée :

* Gillies M1, Richardson DB, Cardis E, et al. Mortality from circulatory diseases and other non-cancer outcomes among nuclear workers in France, the United Kingdom and the United States (INWORKS). Radiat Res Public 2017; 188: 276-90. doi: 10.1667/RR14608.1

1 Public Health England Centre for Radiation, Chemical and Environmantal Hazards (PHE-CRCE), Chilton, Royaume-Uni.

Environ Risque Sante 2015 ; 14 : 462-4.