ANALYSE D'ARTICLE

Perturbateurs endocriniens et troubles neurodéveloppementaux : revue guidée par la clinique

L’exposition à des perturbateurs endocriniens peut-elle expliquer en partie l’augmentation des cas de troubles neurodéveloppementaux ? Les auteurs de cette revue de la littérature répondent par l’affirmative.

Réalisée dans l’objectif d’éclairer les cliniciens sur la responsabilité de l’exposition pré- et/ou postnatale à des perturbateurs endocriniens (PE) dans l’émergence des troubles neurodéveloppementaux, cette revue de la littérature traite un sujet éminemment complexe sous un angle original.

Plus de 800 produits de diverses familles chimiques ont été recensés en tant que PE et de nouvelles substances sont régulièrement incriminées. Outre l’expérimentation animale, un nombre croissant d’études chez l’homme suggère que l’exposition à des PE durant des fenêtres critiques du développement cérébral peut altérer définitivement le fonctionnement de l’individu, les premières manifestations apparaissant parfois des années plus tard. Mais l’établissement d’une relation entre l’exposition à un PE et un diagnostic de trouble neurodéveloppemental – qui aiderait le praticien dans sa démarche étiologique et sa mission de conseil en prévention – se heurte à des obstacles que les auteurs estiment difficiles à dépasser. Les études sont généralement focalisées sur les effets de l’exposition à un seul produit (ou famille chimique), souvent mesurée ponctuellement. Étant donné le nombre de contaminants ubiquitaires de notre environnement qui peuvent être considérés comme des PE, l’effet observé est plutôt celui d’un mélange que d’une substance particulière. Si l’exposition est difficile à caractériser précisément, l’effet l’est aussi. Les évaluations neuropsychologiques ou neurocomportementales peuvent mettre en évidence des déficits de performance, un fonctionnement sous-optimal, des traits de personnalité borderline et autres éléments appartenant à différents tableaux cliniques et ne composant pas une pathologie spécifique.

Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association américaine de psychiatrie (Diagnostic and Statistic Manual of Mental Disorders, cinquième édition [DSM-5] publiée en 2013) classe les troubles neurodéveloppementaux en sept grandes catégories : les troubles du développement intellectuel, de la communication, du spectre de l’autisme (TSA), le trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), le trouble spécifique des apprentissages, les troubles moteurs et les troubles non spécifiés. Cette classification a guidé la présente revue de la littérature.

Les études éligibles pouvaient être prospectives ou rétrospectives et inclure ou pas un groupe témoin (plus souvent faiblement exposé que non exposé). La recherche dans PubMed et Embase (arrêtée au 1er décembre 2018) à partir des mots clés « PE », « bisphénol », « phtalates », « polluants », « polybromodiphényléthers » (PBDE), « hexachlorobenzène » (HCB), « métaux », « solvants », « hydrocarbures aromatiques polycycliques » (HAP), « chlorpyrifos » et « composés organohalogénés » a ramené près de 900 articles dont 47 ont été finalement conservés. La taille de la population incluse allait de 40 à 2 086 enfants et l’âge à l’évaluation allait de la période néonatale (cinq jours de vie) à l’adolescence (15 ans).

Données relatives aux TSA et TDAH

La question du rôle de modifications de l’environnement se pose particulièrement pour les TSA et le TDAH dont la prévalence a récemment considérablement augmenté, même si d’autres facteurs peuvent l’expliquer, comme une meilleure reconnaissance des troubles et la disponibilité d’outils diagnostiques plus performants. L’hypothèse d’une participation des PE est soutenue par la littérature examinée, qui comporte dix études relatives aux TSA publiées entre 2006 et 2017 (expositions considérées : phtalates, polluants atmosphériques, bisphénol A [BPA], dioxines, furanes, HCB et PBDE) et 13 études sur le TDAH publiées entre 2003 et 2016 (phtalates, BPA, HCB, PBDE, polychlorobiphényles [PCB], dioxyde d’azote, plomb, solvants, HAP et dichlorodiphényldichloroéthylène [DDE]). Dans chaque groupe, une seule étude est strictement négative. Les autres, difficilement comparables au plan méthodologique (schéma de l’étude, période d’exposition, matrice biologique, âge de la population), rapportent au moins une association, mais pas toujours avec le trouble en tant qu’entité clinique, ce qui constitue le principal défaut de cette littérature.

Ainsi, les cas de TSA répondent à la définition du DSM dans six études sur dix seulement (pour trois d’entre elles, la version en vigueur du manuel était la quatrième, où l’autisme était classé dans les troubles envahissants du développement). Les autres études ont évalué les troubles de la communication et des interactions sociales (sur la base d’échelles de compétence sociale), ce qui ne constitue qu’une partie du tableau clinique, qui doit également inclure des comportements stéréotypés et la restriction des champs d’intérêt. Le TDAH était clairement identifié sur la base des critères du DSM dans cinq des treize études ayant examiné la relation entre l’exposition pré- ou postnatale à des PE et le risque de survenue de ce trouble. Dans les autres investigations, des cas diversement et incomplètement définis étaient inclus (seule la dimension comportementale du trouble était généralement évaluée).

Autres catégories

Douze publications rapportent l’effet de l’exposition (essentiellement prénatale) à des HAP (cinq études), des phtalates (n = 3) ou plus rarement d’autres produits (PBDE, PCB, chlorpyrifos) sur le risque de troubles du développement intellectuel correspondant au diagnostic de déficience intellectuelle du DSM ou à celui de retard global de développement pour les enfants trop jeunes pour être soumis à une évaluation formelle du fonctionnement intellectuel et qui doivent être réévalués ultérieurement. Leurs résultats, qui forment un ensemble relativement cohérent, appuient l’hypothèse d’un rôle de l’exposition aux PE.

Une seule étude rapporte une association entre l’exposition prénatale à des solvants organiques et des difficultés de compréhension et d’expression du langage, ainsi que de l’activité graphomotrice, qui composent un trouble de la communication. Les 13 études restantes rapportent les effets de l’exposition pré- et/ou postnatale au BPA (n = 6), aux phtalates (n = 5) ou à d’autres produits (PCB, métaux, organohalogénés) en termes de symptômes, principalement comportementaux, entrant dans la catégorie des troubles neurodéveloppementaux non spécifiés du DSM. Seules deux études sont strictement négatives.

La conclusion des auteurs tient compte des faiblesses de cette littérature, de la difficulté à établir des relations de cause à effet et de la compréhension encore très limitée des mécanismes physiopathologiques en jeu, mais aussi de la convergence des études passées en revue. Ils estiment que les données sont suffisantes pour accréditer l’hypothèse d’une participation de l’exposition à des PE dans l’augmentation de l’incidence des troubles neurodéveloppementaux en population générale.


Publication analysée :

* Rivollier F1, Krebs MO, Kebir O. Perinatal exposure to environmental endocrine disruptors in the emergence of neurodevelopmental psychiatric diseases: a systematic review. Int J Environ Res Public Health 2019 ; 16 : 1318. doi: 10.3390/ijerph16081318

1 Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Physiopathologie des maladies psychiatriques, Inserm 1266 Institut de Psychiatrie et Neurosciences de Paris (IPNP), Paris, France.