ANALYSE D'ARTICLE

Phtalates, autisme et retard de développement :
analyse dans la population de l’étude CHARGE

À la recherche des facteurs de risque environnementaux des troubles du spectre autistique (TSA), les investigateurs de l’étude californienne CHARGE (Childhood Autism Risk from Genetics and Environment) se sont intéressés à l’exposition aux phtalates. Si elle n’apparaît pas associée aux TSA, certains résultats suggèrent qu’elle pourrait affecter le développement neurocognitif des enfants.

Looking for environmental risk factors of autism spectrum disorders (ASD), researchers in the Californian CHARGE study (Childhood Autism Risk from Genetics and Environment) examined exposure to phthalates. Although it seems to be unrelated to ASD, certain results suggest that it could affect neurocognitive development in children.

La préoccupation concernant la toxicité neurodéveloppementale des phtalates repose sur des données expérimentales montrant leur capacité à perturber l’activité des hormones thyroïdiennes et sexuelles, qui jouent des rôles cruciaux dans le développement cérébral du fœtus et du nourrisson. L’exposition à ces composés est banale, du fait de leur présence dans de nombreux produits de la vie courante, dont les cosmétiques, les parfums et les produits de soins et d’hygiène corporelle pour les phtalates de bas poids moléculaire, tandis que les phtalates de haut poids moléculaire entrent principalement dans la composition des emballages alimentaires, des peintures et vernis, ainsi que des objets et matériaux d’ameublement et de décoration en plastique PVC (polychlorure de vinyle, auquel ils ne sont pas liés chimiquement et dont ils peuvent facilement s’échapper). Les phtalates comptent parmi les contaminants chimiques les plus abondants de la poussière domestique, en particulier le di-2-éthylhexylphtalate (DEHP) à haut poids moléculaire, retrouvé à des niveaux de concentration 10 à 100 fois plus élevés que les autres phtalates dans des enquêtes réalisées aux États-Unis.

C’est à partir de la poussière plutôt que d’un milieu biologique (classiquement l’urine dans les quelques études sur le sujet) qu’a été estimée l’exposition des 145 enfants de 2 à 5 ans inclus dans ce volet de l’étude CHARGE, dont 50 présentaient un TSA, 27 un retard d’acquisition des compétences cognitives et adaptatives, et 68 un développement normal (population témoin) selon l’évaluation réalisée à l’entrée, sur la base d’outils de mesures validés.

 

Estimation de l’exposition

Les enfants vivaient depuis leur naissance dans le même logement, dont la moquette ou les tapis n’avaient pas été changés (ou avaient fait l’objet de changements mineurs). La poussière a été collectée sur une petite surface d’1,50 m x 1,50 m de la moquette ou d’un tapis de la pièce principale à l’aide d’un aspirateur à débit et pression contrôlées spécifiquement conçu pour l’échantillonnage de poussière (High Volume Small Surface SamplerHVS3). Les trois phtalates les plus fréquents (99 % des échantillons) et les plus abondants étaient le DEHP (concentration médiane : 187 μg/g), le butylbenzylphtalate (BBzP : 13 μg/g) et le dibutylphtalate (DBP : 10 μg/g). Deux autres, mineurs, ont été considérés : le diéthylphtalate (DEP : taux de détection 92 % et concentration médiane 1 μg/g) et le diméthylphtalate (DMP : 63 % des échantillons, médiane = 0,07 μg/g).

Le niveau des différents phtalates mesuré dans la poussière collectée 2 à 5 ans après la naissance a été considérée comme un bon indicateur de l’exposition à long terme, incluant la période anténatale et postnatale immédiate. Si une étude dans des appartements à New York montre que les concentrations de phtalates dans l’air intérieur sont relativement stables dans le temps, leur variabilité dans la poussière n’a toutefois pas été étudiée. Par ailleurs, l’inhalation et l’ingestion de poussière n’est qu’une voie d’exposition aux phtalates, et d’autres sources (en premier lieu l’alimentation) devraient être prises en compte pour évaluer l’exposition totale. À ce titre, la mesure des métabolites urinaires procure probablement une meilleure estimation de l’exposition, mais la courte demi-vie des phtalates dans l’organisme limite la valeur des études transversales reposant sur une détermination unique. De plus, la présence de phtalates dans les dispositifs médicaux et les médicaments (enrobage des comprimés et gélules) peut influencer l’exposition d’un enfant malade, comme son comportement ou celui de ses parents (fréquence du ménage, en considérant l’exposition via la poussière).Tenant compte des limites de l’estimation de l’exposition et de la petitesse de leur population, les auteurs recommandent une interprétation prudente de leurs résultats.

 

Associations observées

Après ajustement sur le sexe de l’enfant, son origine ethnique, son âge au moment du recueil des données, ainsi que le niveau d’études de la mère (facteurs de confusion potentiels sélectionnés a priori), aucun des cinq phtalates n’est associé aux TSA, mais deux sont associés au retard de développement : le DEHP et le BBzP. Les odds ratio(OR) pour une augmentation d’une unité du niveau de la concentration log-transformée sont respectivement de 2,12 (IC95= 1,1-4,09) pour le DEHP et de 1,40 (IC95= 0,97-2,04) pour le BBzP. Les auteurs ont examiné l’effet de la concentration des phtalates sur les scores aux deux tests pratiqués chez tous les enfants, diagnostiqués TSA ou pas : le MSEL (Mullen Scales of Early Learning) et le VABS (Vineland Adaptative Behavior Scales). Aucune association n’est mise en évidence avec le MSEL, qui évalue les capacités de langage (compréhension et expression) ainsi que la motricité fine et le traitement de l’information visuelle. En revanche, les performances au VABS apparaissent altérées avec l’augmentation des niveaux de DEP et de DBP chez les enfants présentant un développement normal, caractérisé par un score composite total d’au moins 70 points. L’augmentation d’une unité de la concentration de DEP est associée à une baisse moyenne de 4,5 points de ce score (IC95= -8,2 à -0,7), les domaines principalement affectés étant la communication (-4,4 points [-7,6 à -1,2]) et l’autonomie dans la vie quotidienne (-3,3 points [-6,8 à 0,3]), tandis que les composantes « socialisation » et « compétences motrices » apparaissent moins sensibles. Des tendances comparables sont observées, dans une moindre mesure, avec le DBP.

L’augmentation de la concentration de ces deux phtalates dans la poussière domestique est par ailleurs associée à une plus grande fréquence des comportements d’hyperactivité/impulsivité (risque relatif [RR] = 1,25 [1,02-1,54] pour le DEP et RR = 1,63 [1,22-2,19] pour le DBP) et d’inattention (respectivement RR = 1,13 [1,03-1,24] et 1,25 [0,96-1,62]) dans la sous-population des garçons présentant un retard de développement ou un TSA (n= 57).

Additionnés à ceux des rares études préexistantes, ces résultats engagent à considérer l’hypothèse d’un effet de l’exposition aux phtalates sur le développement neurocognitif.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Philippat C, Bennett D, Krakowiak P, Rose M, Hwang H-M, Hertz-Picciotto I. Phthalate concentrations in house dust in relation to autism spectrum disorder and developmental delay in the Childhood Autism Risk from Genetics and the Environment (CHARGE) study. Environmental Health 2015; 14: 56.

Divisions of Epidemiology and of Environmental and Occupational Health, Department of Public Health Sciences, School of Medicine, University of California, Davis, États-Unis.

doi: 10.1186/s12940-015-0024-91