ANALYSE D'ARTICLE

Pollution atmosphérique et poids de naissance : l’expérience des JO de Pékin

Appuyée sur l’expérience d’une franche et brève amélioration de la qualité de l’air à Pékin pendant les Jeux olympiques de l’été 2008, cette étude enrichit les connaissances relatives aux effets de la pollution atmosphérique sur le poids de naissance. Elle suggère une sensibilité particulière du fœtus au cours du huitième mois de la grossesse.

Based on the experience of the substantial but short-term improvement in air quality in Beijing during the 2008 summer Olympics, this study supplements what is known of the effects of air pollution on birth weight. It suggests the fetus is particularly sensitive during the eighth month of pregnancy.

La littérature indique une relation entre l’exposition des femmes enceintes à la pollution atmosphérique et le poids de naissance de leur enfant. Une méta-analyse de 14 études conclut ainsi à une augmentation du risque de faible poids de naissance (moins de 2 500 g) et à une diminution du poids des nouveau-nés à terme avec l’augmentation des concentrations atmosphériques de PM10 et de PM2,5. L’identification d’une fenêtre de sensibilité du fœtus aux polluants serait nécessaire pour formuler des hypothèses mécanistiques, mais les travaux existants ne le permettent pas. Quand la période d’exposition considérée n’est pas la totalité de la grossesse, celle-ci a été découpée en trimestres, et l’exposition a été estimée sur la base des concentrations moyennes des polluants au cours de chaque trimestre.

Habituellement, celles-ci varient peu en un lieu donné en dehors d’événements particuliers. Les Jeux olympiques (JO) de l’été 2008 à Pékin ont constitué, à ce titre, un événement marquant : les mesures prises pour les accueillir dans cette mégalopole parmi les plus polluées du monde (restrictions de circulation, fermeture et délocalisation d’activités industrielles, interruption des travaux de construction) ont fait baisser de 18 à 59 % les concentrations atmosphériques de différents polluants (PM2,5, dioxydes d’azote [NO2] et de soufre [SO2], monoxyde de carbone [CO], sulfates, carbone élémentaire et organique).Postulant que cet épisode de franche amélioration de la qualité de l’air avait eu un impact positif sur le poids de naissance, les auteurs de cette étude ont saisi l’opportunité de sa brièveté (47 jours, de l’ouverture des JO le 8 août à la clôture des Jeux paralympiques le 24 septembre) pour rechercher la période de la grossesse au cours de laquelle il avait été bénéfique, en effectuant une analyse mois par mois.

 

Identification d’une fenêtre de sensibilité

Le poids de naissance des enfants dont les mères étaient à différents mois de leurs grossesses pendant les Jeux a été comparé au poids des nouveau-nés de mères enceintes au cours de la même période (du 8 août au 24 septembre) de l’année précédente (2007) et de la suivante (2009). Le registre des naissances de Pékin a été utilisé pour constituer une population de départ de 127 904 enfants nés à terme (âge gestationnel compris entre 37 et 41 semaines) de femmes résidant dans quatre districts adjacents du centre de la ville. Les auteurs ont déterminé le début et la fin de chaque mois de grossesse à partir de la date de naissance et de l’âge gestationnel, puis réduit la population aux 71 803 enfants dont la vie intra-utérine avait comporté au moins 24 jours dans un mois donné (du 1erau 8emois de grossesse) pendant la période du 8 août au 24 septembre de l’année des Jeux ou des années témoins. Lorsque cette période chevauchait deux mois de grossesse, le mois retenu était ainsi celui ayant inclus plus de la moitié des 47 jours. L’analyse selon un modèle ajusté sur l’âge gestationnel à la naissance, le district de résidence, ainsi que le niveau d’études de la mère et son âge, montre que les nouveau-nés qui étaient dans leur 8emois de vie intra-utérine pendant la période des Jeux pesaient en moyenne 23 g de plus (IC95= 5-40) que les nouveau-nés de l’une ou l’autre des années témoins. De faibles différences de poids, non significatives, sont observées pour les autres mois. L’exclusion des grossesses compliquées (hypertension gravidique, insuffisance ou décollement placentaires, menace d’accouchement prématuré, macrosomie fœtale, hydramnios, oligoamnios, rupture prématurée des membranes) ne modifie pas les résultats.

 

Effet du niveau des polluants

Si la pollution atmosphérique avait été considérablement réduite pendant toute la durée des Jeux, les niveaux des polluants enregistraient d’importantes variations d’un jour à l’autre, essentiellement sous l’effet des conditions météorologiques. Par ailleurs, leur baisse avait commencé dès la mise en place des mesures visant à améliorer la qualité de l’air, et les concentrations atmosphériques étaient ensuite remontées avec la reprise des activités habituelles. Les auteurs ont donc considéré une période plus large que celle des Jeux, allant du 2 juin au 30 octobre 2008, pour examiner l’effet sur le poids de naissance d’une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) de la concentration moyenne mensuelle des PM2,5 (soit 19,8 μg/m3), du NO2(13,6 ppb [parties par milliard]), du SO2(1,8 ppb) et du CO (0,3 ppm). L’analyse a tenu compte de la température ainsi que de l’humidité relative, et a inclus 32 506 naissances. Elle retrouve une sensibilité à la pollution au cours du 8èmemois de grossesse : l’augmentation d’un IIQ des PM2,5 est associée à une diminution moyenne de 18 g du poids de naissance (IC95 = -32 à -3 g) et les associations avec le SO2(-23 g [-36 à -3 g]) et le CO (-17 g [-28 à -6 g]) sont également significatives. L’effet de l’augmentation du niveau des polluants au cours des autres mois de la grossesse est nul ou minime.

 

Interprétation des résultats

L’étude comporte certaines faiblesses. Les données de mesure des polluants provenaient d’une seule station, centrale, ce qui rend l’estimation de l’exposition des femmes enceintes imprécise. Plusieurs facteurs influençant le poids de naissance n’ont pas été contrôlés, tels que la parité, l’indice de masse corporelle de prégrossesse, le tabagisme et l’origine ethnique. Toutefois, du fait de la politique de régulation des naissances et de la prééminence de l’ethnie Han à Pékin, pratiquement tous les nouveau-nés étaient probablement des premiers-nés. Quant au tabagisme des femmes, il est relativement rare en zone urbaine. Des facteurs de confusion résiduels, comme les niveaux de stress et de bruit (qui ont pu être différents pendant les Jeux par rapport aux autres années), ont pu avoir un impact sur les résultats.

Les polluants pourraient exercer des effets biologiques sur le placenta (tels que stress oxydant, inflammation et altérations vasculaires) qui limiteraient le transfert transplacentaire des nutriments, affectant particulièrement la phase de croissance pondérale rapide du fœtus en fin de grossesse. Pour autant, l’étude ne permet pas d’affirmer que l’amélioration de la qualité de l’air n’a pas eu d’effets bénéfiques sur les grossesses qui étaient à un stade moins avancé. Ces effets ont pu exister puis être effacés par la remontée rapide des concentrations atmosphériques des polluants à leurs niveaux habituels, très élevés (la concentration moyenne annuelle des PM2,5 dépasse 100 μg/m3, avec des pics de pollution à plus de 200 μg/m3). De même, l’effet estimé, modeste (gain de poids moyen de 23 g), aurait pu être plus important si l’embellie avait duré plus longtemps.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Rich DQ, Liu K, Zhang J, et al. Differences in birth weight associated with the 2008 Beijing Olympic air pollution reduction: results from a natural experiment. Environ Health Perspect 2015; 123: 880-7.

Department of Public Health Sciences, University of Rochester, School of Medicine and Dentistry, Rochester, États-Unis.

doi: 10.1289/ehp.14087951