ANALYSE D'ARTICLE

Pollution et santé : appel à la mobilisation

Signé par 47 personnalités des domaines de la santé et de l’environnement, ce volumineux rapport publié dans le Lancet affiche au grand jour et sous tous ses aspects connus la relation entre la pollution et la santé. L’objectif est de provoquer un élan de volonté politique pour affronter un problème trop longtemps négligé.

La pollution ne peut plus être considérée comme une question environnementale isolée : elle affecte profondément la santé et le bien-être de l’humanité tout entière, coûte cher et creuse les inégalités sociales. La méconnaissance, l’indifférence et le laisser-faire doivent céder la place au plus vite à la détermination au combat. Des stratégies opérationnelles et coût-efficaces existent. C’est une partie « gagnable ».

L’argumentation de la Commission du Lancet sur la pollution et la santé s’ouvre sur la charge de morbidité et de mortalité imputable à la pollution de l’air intérieur et de l’air extérieur (particules fines PM2,5 et ozone), à l’insalubrité de l’eau, à la contamination des sols par les métaux lourds et les produits chimiques, et aux expositions professionnelles à des substances cancérogènes et des polluants atmosphériques (particules, gaz et fumées). Les estimations utilisées sont celles de la Global Burden of Disease Study (GBD) pour l’année 2015 (9 millions de décès prématurés liés aux facteurs considérés, soit 16 % de la mortalité totale) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’année 2012 (12,6 millions de décès attribuables au fait d’avoir vécu ou travaillé dans un environnement malsain défini plus largement, dont environ 8,4 millions répondant à la liste restreinte des facteurs considérés). Les deux sources s’accordent sur le poids de la pollution de l’air (6,5 millions de décès par an) et des maladies cardiovasculaires et respiratoires.

Le rapport se poursuit par une évaluation du coût des maladies et des décès prématurés liés à la pollution, sur la base d’une abondante littérature. Sa troisième partie décrit les liens entre la pollution, la maladie et la pauvreté et documente l’injustice environnementale qui affecte d’importantes fractions de la population mondiale.

Sortir de l’inaction : un impératif

Sans intervention, l’impact sanitaire et économique de la pollution ne fera que grandir. La lente régression des formes de pollution associées à la pauvreté et aux modes de vie traditionnels (en particulier liées à l’utilisation d’eau et de combustibles domestiques « sales ») s’accompagne d’une forte augmentation des formes de pollution (de l’air ambiant, du sol, chimique, de l’environnement de travail) associées au développement industriel. Les pays en voie d’industrialisation à marche forcée en paient le prix fort : 3,2 millions de décès dans la région Asie du Sud-Est (incluant l’Inde) en 2015, selon l’étude GBD et 2,2 millions dans la région du Pacifique occidental (incluant la Chine). Les villes, qui hébergent aujourd’hui 55 % de la population mondiale, produisent 85 % de l’activité économique : dans les pays en cours d’urbanisation rapide, elles concentrent la population, la consommation énergétique, le trafic et les activités de construction et industrielle à une échelle sans précédent. Qu’ils soient fondés sur les émissions de PM2,5 ou la combustion du charbon, les scénarios prospectifs de type statu quo prédisent une forte augmentation de la mortalité due à la pollution atmosphérique urbaine, notamment en Asie du Sud-Est et en Chine, d’ici à 2050.

Dans les pays en développement, les maladies liées à la pollution entraînent des pertes de productivité qui représentent jusqu’à 1,9 % du produit intérieur brut et des coûts qui absorbent jusqu’à 7 % des dépenses de santé, contre 1,7 % dans les pays à haut niveau de revenu. Mais l’argument économique reste à développer en dévoilant l’impact de la pollution (les pertes de productivité sont incluses dans les statistiques du travail et les coûts de santé sont dissimulés dans les budgets hospitaliers) qui augmentera probablement avec la mise en évidence d’effets sanitaires encore méconnus.

À ce titre, la pollution chimique représente une préoccupation particulière. Plus de 140 000 produits chimiques et pesticides ont été synthétisés depuis le milieu du XXe siècle, dont 5 000 substances massivement dispersées dans l’environnement, entraînant une exposition quasiment universelle de la population. Moins de la moitié de ces substances produites en grandes quantités a été soumise à des tests de sécurité ou de toxicité. Ce n’est que récemment et dans les pays les plus développés qu’une procédure rigoureuse d’évaluation préalable à la mise sur le marché de nouvelles substances a été rendue obligatoire. Celles qui ont été commercialisées au cours des 20 à 30 dernières années y ont échappé, incluant des neurotoxiques développementaux, des perturbateurs endocriniens, de nouveaux insecticides et herbicides ou encore des nanomatériaux dont la dangerosité est mal caractérisée. Les transferts de production vers des pays où les normes de protection sanitaire et environnementale sont peu exigeantes accroît la préoccupation.

Élever le problème au rang de haute priorité internationale

Alors que la pollution participe largement au fardeau des maladies non transmissibles, elle ne figure pas en bonne place dans le plan d’action global de l’OMS pour la prévention et le contrôle de ces maladies. Alors que la lutte contre la pollution permettrait d’avancer vers les objectifs de développement durable énoncés par les Nations unies (en particulier : amélioration de la santé et du bien-être, réduction de la pauvreté, amélioration de l’accès à une eau propre et à l’assainissement, promotion de la justice sociale, établissement de villes et communautés durables, lutte contre le changement climatique et protection de la vie terrestre et aquatique), les budgets publics qui lui sont alloués sont maigres et les financeurs privés ne lui prêtent pas suffisamment attention. Des exemples d’initiatives doublement fructueuses – ayant amené des bénéfices sanitaires et économiques – existent pourtant. Beaucoup d’interventions, mises en place dans des pays à revenus élevés ou intermédiaires, à l’échelon local, régional ou national, peuvent être adaptées à d’autres lieux. L’allégation selon laquelle le contrôle de la pollution entrave le développement industriel et économique est fausse : la route vers la prospérité ne passe pas forcément par une période de pollution aux conséquences environnementales et humaines potentiellement désastreuses. Le contrôle de la pollution peut être intégré au plan de développement des pays pauvres. Aux pays riches, il revient d’accélérer le processus de transition vers une économie décarbonée, circulaire, et une croissance écologiquement soutenable.

La quatrième partie du rapport de la Commission pollution et santé est consacrée aux stratégies de lutte contre la pollution qui ont fait leur preuve et peuvent être généralisées, aux composantes essentielles d’un programme de contrôle de la pollution et aux partenariats à mettre en place pour assurer son succès. L’executive summary contient six recommandations clés. Les deux premières en direction des décideurs politiques sont d’inscrire la prévention de la pollution à l’agenda des hautes priorités et de mobiliser les indispensables soutiens financiers et techniques.

Commentaires

Cet article peut être lu comme un cri d’alarme : la pollution est un problème majeur, qui a tué 9 millions de personnes en 2015 (16% du total des décès, trois fois plus que le SIDA, la tuberculose et le paludisme combinés) ; mais également comme un message optimiste : il est possible de maîtriser la pollution et ses effets. Les décès liés aux formes « traditionnelles » de pollution (eau contaminée, air intérieur pollué par l’emploi de combustibles solides et l’absence de ventilation) sont en diminution, alors que ceux dus aux formes « modernes » (pollution atmosphérique, pollution des sols, agents chimiques, expositions professionnelles) sont en augmentation. Mais ces décès qui augmentent surviennent essentiellement dans les pays pauvres et à revenu intermédiaire. Les habitants de ces pays paient au prix fort une industrialisation conduite sans régulation ni précaution. 92% de tous les décès liés à la pollution surviennent ainsi dans les pays à bas revenus et à revenus intermédiaires. Or, ce que disent les membres de la Commission mise en place par le Lancet, c’est que cette phase où « les choses empirent avant d’aller mieux », par laquelle sont passés la plupart des actuels pays riches, n’est pas une fatalité : d’une part, parce qu’elle n’est économiquement avantageuse que si on oublie de calculer les coûts induits par la pollution ; d’autre part, parce que les solutions alternatives, qui ont été expérimentées et développées pour l’essentiel dans les pays les plus riches, peuvent et doivent être utilisées dans les pays en développement afin de leur éviter de refaire les mêmes erreurs.

Georges Salines


Publication analysée :

* Landrigan PJ1, Fuller R, Acosta NJR, et al. The Lancet Commission on pollution and health. Lancet 2018 ; 391 : 462-512. doi : 10.1016/S0140-6736(17)32345-0

1 Arnhold Institute for Global Health, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, États-Unis.