ANALYSE D'ARTICLE

Pollution particulaire et anxiété dans la cohorte de la Nurses’ Health Study

Les preuves épidémiologiques d’une relation entre l’exposition à la matière particulaire en suspension et l’anxiété étaient inexistantes avant cette vaste étude états-unienne dans la population féminine vieillissante de la Nurses’ Health Study (NHS). Elle suggère un effet des particules fines mais pas de la fraction grossière, et un effet plus important de l’exposition récente que de l’exposition passée.

This large-scale US study is the first to provide epidemiological evidence of a relation between exposure to fine particulate matter in the air and anxiety in ageing women from the Nurses’ Health Study (NHS). It suggests that the effect is associated with fine rather than larger particulates and that recent exposure has greater effect than past exposure.

Étant donné la forte prévalence des troubles anxieux dans la population générale, ainsi que leurs impacts en termes de qualité de vie, de coûts sociétaux et de consommation médicamenteuse, la recherche de facteurs de risque modifiables est importante. L’exposition aux particules atmosphériques retient l’intérêt sur la base d’une littérature expérimentale qui indique qu’elle pourrait induire ou aggraver un état anxieux via une augmentation des niveaux du stress oxydant et de l’inflammation systémique ou cérébrale. La pollution particulaire pourrait également contribuer à générer ou majorer une anxiété par le biais de ses effets délétères sur la santé cardiorespiratoire.

 

Investigation dans la NHS

Les participantes à la NHS, qui a débuté en 1976, remplissent un questionnaire de suivi tous les deux ans. En 1988 et en 2004, huit questions permettant de mesurer le niveau d’anxiété sur l’échelle d’anxiété phobique de Crown-Crisp (outil utilisé en recherche comme en clinique) ont été incluses dans les questionnaires. Les données collectées en 2004 (n = 71 271 femmes âgées de 57 à 85 ans, en moyenne 70 ans) ont été utilisées pour cette analyse dans la mesure où les données d’exposition aux particules atmosphériques n’étaient disponibles qu’à partir de 1988. L’anxiété cliniquement significative était définie par un score d’au moins 6 points sur un total pouvant aller jusqu’à 16. Sa prévalence dans la population étudiée était de 15 %. Par ailleurs, 16 % des femmes rapportaient être sous traitement antidépresseur et/ou anxiolytique.

L’exposition individuelle aux particules fines (PM2,5) et grossières (PM2,5-10) a été estimée en référence à l’adresse de résidence (mise à jour au rythme bisannuel du retour des questionnaires), à l’aide de modèles incluant des données de mesure, géographiques et météorologiques. La fenêtre d’exposition la plus pertinente à considérer n’étant pas connue, les auteurs ont choisi d’examiner, d’une part les effets de l’exposition moyenne au cours des 15 années ayant précédé celle de la mesure de l’anxiété (période 1988-2003), d’autre part les effets de l’exposition récente durant l’année écoulée (moyenne des 12, 6, 3 et du mois précédant la mesure de l’anxiété). Celle-ci tendait à être moins importante que l’exposition passée. Pour les PM2,5-10, la valeur moyenne sur la période 1988-2003 était ainsi de 9 (± 4,1) μg/m3 contre 7,3 (± 4,8) μg/m3 au cours du dernier mois avant la mesure de l’anxiété. Les valeurs correspondantes pour les PM2,5 étaient 13,8 (± 2,8) μg/m3 et 12,7 (± 4,2) μg/m3.

Les odds ratio (OR) d’anxiété significative ont été calculés pour une augmentation de 10 μg/m3 de l’exposition. De nombreuses covariables ont été contrôlées : le mois au cours duquel le questionnaire avait été retourné, l’âge, le statut marital, le niveau d’études de la participante et celui de son éventuel conjoint, le statut en termes d’activité professionnelle, l’activité physique, la région géographique, le niveau d’urbanisation, le niveau de soutien social, ainsi que trois caractéristiques du quartier de résidence (pourcentage de sujets Blancs, d’adultes possédant un diplôme de l’enseignement supérieur, et valeur médiane des prix des logements).

Le risque d’anxiété significative a également été analysé en relation avec la distance à une route majeure (moins de 50 m, entre 50 et moins de 200 m et à partir de 200 m) sur la base de l’adresse en 2002 (connue et géocodée pour 63 677 femmes).

 

Association avec l’exposition aux PM2,5

L’étude montre une influence de l’exposition aux PM2,5 sur le risque d’anxiété pour toutes les fenêtres temporelles considérées, avec des OR plus élevés pour la période récente, compris entre 1,12 (IC95 : 1,06-1,19) pour l’exposition au cours du dernier mois et 1,15 (1,06-1,25) pour l’exposition au cours des 12 derniers mois, versus 1,09 (1,01-1,18) pour la période 1988-2003. Un effet des PM2,5-10 n’est pas mis en évidence.

Les résultats varient peu après un ajustement supplémentaire sur des covariables sanitaires individuelles (état de santé et de forme physique perçu, nombre de comorbidités, indice de masse corporelle, consommation d’alcool et de tabac) ou quand la population analysée est restreinte aux participantes n’ayant pas déménagé, ayant renvoyé leur questionnaire dans les trois mois, vivant en ville ou Blanches. Les résultats sont également robustes à une analyse de sensibilité utilisant une définition plus large mais moins spécifique de l’anxiété (score supérieur ou égal à 6 et/ou consommation actuelle d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques). Par ailleurs, les analyses stratifiées n’indiquent pas d’effet modificateur du niveau d’urbanisation, de la région, de maladies pulmonaires ou cardiaques chroniques, ni de l’âge (plus ou moins de 65 ans).

L’analyse fondée sur le critère de proximité d’une voie de circulation à fort trafic montre que les femmes qui habitent à une distance comprise entre 50 et 200 m (26,4 % de l’échantillon) ont un risque d’anxiété plus élevé que celles (59 %) qui vivent à plus de 200 m d’une grande route (OR = 1,06 [1,01-1,12]). Néanmoins, une tendance dose-réponse n’est pas observée, le risque n’étant pas augmenté dans le groupe des femmes (14,7 %) résidant à moins de 50 m d’une route (OR = 1,01 [0,95-1,08]).

Si elle était confirmée, la relation entre l’exposition aux PM2,5 et l’anxiété mise en évidence dans cette étude pourrait avoir des implications politiques et sanitaires importantes. Son attribution aux PM2,5 est toutefois incertaine, d’autres polluants dont les niveaux atmosphériques sont corrélés à ceux des particules fines pourraient être en cause. De plus, les résultats obtenus ici dans une population de femmes relativement âgées ne sont pas forcément généralisables. Enfin, des biais de sélection et de classement ne peuvent pas être exclus, mais leurs effets attendus sont plutôt une sous-estimation qu’une surestimation de l’association réelle.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Power M, Kioumourtzoglou MA, Hart J, Orereke O, Laden F, Weisskopf M. The relation between past exposure to fine particulate air pollution and prevalent anxiety: observational cohort study. BMJ 2015; 350:h1111.

Department of Epidemiology, Harvard School of Public Health, Boston, États-Unis.

doi: 10.1136/BMJ.h1111