ANALYSE D'ARTICLE

Prévalence de l’ autisme et expositions environnementales : les tendances temporelles sont-elles cohérentes

Les auteurs de ce travail ont examiné la prévalence de l’autisme aux États-Unis sous une perspective temporelle, et l’ont comparée à l’évolution des expositions à différents toxiques environnementaux désignés par les études épidémiologiques. Dans la majorité des cas, les courbes sont discordantes.

The authors of this study examined the prevalence of autism in the United States over time. They compared it to the trends in exposure to various suspected environmental factors based on epidemiological studies. In most cases, the trends are conflicting.

 

Aujourd’hui, aux États-Unis, le diagnostic de trouble du spectre autistique (TSA) est porté chez 1 enfant sur 68. En comparaison, au début des années 1970, la prévalence de l’autisme était d’environ 1 pour 2 500. Ces chiffres, qui suggèrent une impressionnante augmentation de la prévalence de l’autisme en quelques décennies, posent deux questions : cette augmentation est-elle réelle ou reflète-t-elle une amélioration du dépistage de la maladie, autrefois sous-diagnostiquée ? Et, s’il y a réellement une flambée des cas d’autisme, quelle pourrait en être la cause ? L’état actuel des connaissances soutient l’hypothèse d’un trouble d’origine multifactorielle, résultant de l’interaction entre un terrain génétiquement favorable et des pressions environnementales. Sur la base des études épidémiologiques, une liste de 10 facteurs de risque suspectés a été récemment publiée, qui inclut le plomb, le méthylmercure, des polychlorobiphényles (PCB), des pesticides organophosphorés et organochlorés, des perturbateurs endocriniens, les émissions des véhicules à moteur, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des polybromodiphényléthers (PBDE) et des composés perfluorés. Après avoir traité la question de l’augmentation réelle ou fictive de la prévalence de l’autisme aux États-Unis, les auteurs de ce travail ont comparé son évolution, chez les enfants nés entre 1970 et 2005, aux tendances observées concernant l’exposition à chacun des 10 facteurs environnementaux. Sans présumer d’une relation causale, une corrélation des tendances temporelles oriente vers une possible influence du facteur considéré.

 

Augmentation de la prévalence de l’autisme

Deux méthodes ont été employées pour représenter l’évolution dans le temps de la prévalence de l’autisme en fonction de l’année de naissance, à partir des rapports annuels de l’Individuals with Disabilities Education Act (IDEA) publiés de 1991 à 2010 (qui fournissent des données pour les enfants âgés de 6 à 17 ans, et, à partir de 2000 pour les enfants de 5 ans) complétés par les données du California Department of Developmental Services (CDDS) pour couvrir une période plus ancienne. La première méthode (constant-age tracking method) consiste à suivre la prévalence à un âge donné, constant, au fil des rapports successifs. Elle a été appliquée pour les âges de 8, 9, 10 et 11 ans. La seconde (age-resolved snapshot method) s’appuie sur les chiffres pour différents âges publiés dans un rapport à date donnée. Les auteurs ont utilisé les rapports de l’IDEA publiés en 2002, 2005 et 2010. L’intérêt de cette méthode tient à son indépendance par rapport à « l’effet dépistage ». Si l’augmentation de la prévalence de l’autisme au fil du temps est due à une amélioration du dépistage, celle-ci doit théoriquement bénéficier à tous les enfants, quel que soit leur âge. La courbe de prévalence de l’autisme en fonction de l’année de naissance devrait donc être plate, même si son niveau augmente à chaque nouveau rapport, sous l’effet d’une amélioration continue du dépistage. Les deux représentations ont été confrontées et le rapport des pentes (courbe snapshot sur courbe tracking) a été calculé pour différents intervalles d’années de naissance. Les résultats suggèrent que 75 à 80 % de l’augmentation de la prévalence de l’autisme observée depuis la fin des années 1980 correspondent à une réelle augmentation. De plus, ils identifient les années 1988-1989 comme un point d’inflexion à partir duquel la prévalence de l’autisme a crû fortement.

 

Comparaison avec les tendances concernant les expositions

Les données d’exposition ont été prioritairement recherchées dans les études de biosurveillance nationales rapportant des mesures dans des échantillons biologiques, en particulier la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES). À défaut, des enquêtes provenant d’autres pays ou des revues de la littérature ont été utilisées. Les émissions des véhicules ont été estimées dans le cadre plus large d’indicateurs généraux de pollution atmosphérique. Les données de concentration de mercure dans le sang, qui ne couvraient que la période récente, ont été complétées par d’autres sources (données de consommation de poisson et de sirop de maïs à haute teneur en fructose, niveaux de mercure atmosphérique, utilisation de vaccins contenant du thiomersal). En complément, l’évolution historique des pratiques vaccinales et de la composition des vaccins (additifs à base de mercure ou d’aluminium) a été examinée, ainsi que l’éventualité d’une corrélation entre l’augmentation de la prévalence des TSA et celles de l’obésité maternelle et de maladies dysimmunitaires (asthme, maladie de Crohn, lupus et diabète de type 1). Pour la plupart des facteurs environnementaux, la tendance temporelle apparaît incompatible avec l’hypothèse de leurs rôles dans l’augmentation de la prévalence de l’autisme. Ainsi, les tendances sont dégressives pour le plomb, les PCB et les dioxines, les pesticides organochlorés et les HAP. Il en est de même pour la pollution atmosphérique, ce qui semble contradictoire avec les résultats de récentes études épidémiologiques qui montrent des associations entre l’autisme et l’exposition des femmes enceintes aux PM2,5 ou à l’ozone, ou la proximité résidentielle d’une autoroute ou voie express urbaine, très empruntée notamment par les poids lourds roulant au diesel. Les courbes sont plates pour les concentrations sanguines et atmosphériques de plomb ainsi que pour les phtalates, tandis que les données concernant le bisphénol A étaient trop pauvres pour reconstituer l’évolution de l’exposition. Des hausses et des baisses sont observées pour les pesticides organophosphorés, les composés perfluorés et le thiomersal contenu dans les vaccins, mais les tendances récentes sont à la baisse. Ainsi, la courbe du thiomersal montre que l’exposition a augmenté à la fin des années 1980 et au début des années 1990, ce qui coïncide avec le début de l’ascension marquée de la prévalence de l’autisme, mais celle-ci s’est poursuivie après l’interdiction de ce conservateur dans les vaccins infantiles.

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Commentaires

Ce travail utilise une méthode originale pour estimer la part réelle dans l’augmentation observée de la prévalence d’une pathologie (ici l’autisme) au fil du temps. Pour cela, les auteurs font le rapport des pentes de deux courbes, l’une étant celle des taux de prévalence de l’autisme chez les enfants d’un âge donné selon l’année d’observation (tracking method), l’autre étant celle des taux de prévalence de l’autisme selon l’année de naissance des enfants, observés une année donnée (snapshot method). Dans la première approche, on observe une augmentation (pente positive), mais on ne sait pas si elle est due à une augmentation réelle de la prévalence ou à une augmentation de la sensibilité du dépistage. C’est le problème habituel des études de tendance, que ce travail essaie de résoudre. Si l’on considère une seule année donnée d’observation (snapshot method), on neutralise l’effet « évolution du dépistage » : si la prévalence réelle restait constante, on devrait donc avoir grosso modo les mêmes taux de prévalence quelle que soit l’année de naissance, puisqu’on considère les enfants de six ans et plus et que l’autisme est en principe diagnostiqué avant 6 ans. Une augmentation de la prévalence observée avec l’année de naissance (donc une prévalence plus élevée pour les enfants les plus jeunes) doit donc être interprétée plutôt comme une augmentation de la prévalence réelle. Si les deux pentes sont positives (ce qui est le cas), le rapport des deux pentes (snapshot method/tracking method) est une estimation du pourcentage de l’augmentation observée de la prévalence qui est due à une augmentation réelle de la prévalence et non à un effet « dépistage ». Cette méthode parait intéressante, avec des limites : il est possible que si le diagnostic devient de plus en plus sensible, ceci bénéficie avant tout aux enfants les plus jeunes. Cependant, comme le font remarquer les auteurs de l’article, même dans cette hypothèse, la pente obtenue avec la « snapshot method » devrait être nettement plus plate que celle obtenue avec la « tracking method » s’il n’y avait pas d’augmentation réelle de la prévalence. Une deuxième limite est que la méthode ne peut valablement s’appliquer que pour les pathologies qui sont toutes dépistées avant un certain âge. Il ne paraît pas possible d’utiliser cette méthode pour le cancer du sein ou de la prostate par exemple, mais elle pourrait peut-être s’appliquer pour certains cancers survenant chez de jeunes enfants.

Si l’on accepte la validité de la méthode, on assiste alors à une augmentation réelle impressionnante de la prévalence de l’autisme aux Etats-Unis : les taux de prévalence observés ayant été multipliés par un facteur de l’ordre de 36 depuis le début des années 1970. Si 75 % de cette augmentation est réelle, l’autisme serait de l’ordre de 27 fois plus fréquent aujourd’hui qu’il ne l’était alors !

S’il reste toutefois difficile de se prononcer sur ce qui s’est passé avant la décennie 1990, la méthode utilisée dans cet article indique que la fréquence de l’autisme aurait approximativement doublé dans la décennie 1992-2002 pour laquelle on dispose des chiffres les plus fi ables.

La deuxième partie de l’article s’attache à la question des causes possibles de cette augmentation, mais avec un objectif modeste : les auteurs passent en revue une liste de dix neurotoxiques, établie lors d’un récent workshop organisé aux États-Unis, considérés comme étant les principaux contaminants chimiques suspects d’être des facteurs de risque de l’autisme. Ils examinent les tendances temporelles de l’exposition à ces différents contaminants et en déduisent que la plupart peuvent être éliminés de la liste des suspects car l’exposition à ces composés demeure inchangée ou même diminue, alors que la fréquence de l’autisme augmente. Il reste quelques facteurs pour lesquels l’exposition augmente de manière plus ou moins parallèle à la fréquence de l’autisme, ce qui ne permet donc pas de les dédouaner, mais ce qui ne suffit bien sûr pas non plus à les mettre en cause : c’est toutefois une orientation utile pour de futures recherches.

Georges Salines

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Cinq facteurs environnementaux présentent une évolution temporelle cohérente avec celle de la prévalence de l’autisme : les PBDE, le glyphosate, l’obésité maternelle, les adjuvants vaccinaux à base d’aluminium, et le nombre cumulé de vaccinations. Les propriétés neurotoxiques de l’aluminium sont connues et des hypothèses mécanistiques soutenant sa possible implication dans l’autisme ont récemment été formulées. L’exposition des nourrissons à l’aluminium contenu dans les vaccins a fortement augmenté depuis le début des années 1980. Les preuves épidémiologiques se limitent toutefois à une étude qui montre une augmentation du risque d’autisme chez les garçons, associée à la pratique d’une première dose de vaccin contre l’hépatite B à la naissance. Les autres études ayant examiné le rôle de la vaccination sont négatives, mais elles étaient focalisées sur le thiomersal ou le vaccin trivalent rougeole-oreillons-rubéole plutôt que sur l’aluminium. Le glyphosate fait exception parmi les organophosphorés, par son mécanisme de toxicité, différent de l’inhibition de la cholinestérase, et par l’augmentation de son usage agricole, qui tend à décliner pour les autres pesticides. Cependant, ce n’est qu’à partir du milieu des années 1990 que son utilisation a fortement augmenté, postérieurement à l’ascension de la prévalence de l’autisme. L’évolution parallèle des courbes depuis peut laisser supposer que le glyphosate contribue, avec d’autres toxiques, à soutenir l’augmentation de la prévalence de l’autisme. Celle-ci apparaît par ailleurs bien corrélée à la tendance temporelle concernant l’évolution de l’obésité féminine, et l’obésité maternelle a été associée au risque de TSA dans une récente étude épidémiologique. Ces éléments incitent à rechercher une relation directe ou indirecte entre les deux conditions, et à étudier notamment les rôles de l’inflammation chronique, du stress oxydant et des altérations du microbiote.

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Nevison CD1. A comparison of temporal trends in United States autism prevalence to trends in suspected environmental factors. Environ Health 2014; 13: 73.

doi: 10.1186/1476-069X-13-73

 

1 Institute for Artic and Alpine Research, University of Colorado, Boulder, États-Unis.