ANALYSE D'ARTICLE

Problèmes de santé attribués à l’exposition aux champs électromagnétiques et facteurs prédictifs de l’hypersensibilité électromagnétique : évolution sur 10 ans dans une cohorte prospective d’adultes néerlandais

L’intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques (IEI-CEM) ou hypersensibilité électromagnétique (EHS), telle que définie par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), se caractérise par des problèmes de santé attribués aux champs électromagnétiques (CEM) par certaines personnes. Ce syndrome peut devenir invalidant bien qu’il n’ait jamais été possible de démontrer scientifiquement que l’exposition aux CEM est la cause de ces troubles. Pour cette raison, il est important d’en savoir le plus possible sur les facteurs prédictifs de cette condition et de son évolution au cours du temps.

L’étude de Traini et al. apporte un éclairage nouveau sur les facteurs liés au développement, au maintien ou à l’abandon de l’hypersensibilité électromagnétique (EHS). Il s’agit d’une étude épidémiologique sur une population néerlandaise questionnée plusieurs fois sur une période de 10 ans. Elle a été financée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Les résultats complètent les données existantes sur : le nombre de personnes concernées, la perception de l’exposition aux champs électromagnétiques (CEM) et du risque électromagnétique, l’attribution de symptômes au CEM, le sentiment d’être EHS ou pas, la présence de troubles préexistants, et le profil des participants. Les liens statistiques entre ces variables ont été analysés ainsi que leur évolution au cours du temps. Seules les expositions liées aux communications sans fil (téléphones mobiles et autres équipements connectés sans fil), donc aux champs électromagnétiques de type radiofréquences (CEM-RF), ont été prises en compte. La nouveauté tient à la dynamique temporelle de l’étude qui a permis de mettre en évidence une instabilité de cette condition dont l’ampleur n’était pas connue à ce jour. En effet, après 10 ans, 95 % des sujets qui attribuaient des problèmes de santé aux CEM-RF ont abandonné cette explication. Pourquoi ? C’est ce que nous allons tenter de comprendre.

 

Intolérance idiopathique environnementale attribuée aux CEM ou EHS : est-ce pareil ?

Les auteurs distinguent l’intolérance idiopathique environnemental aux champs électromagnétiques (IEI-CEM) et EHS, considérant que la première appellation décrit des personnes qui attribuent des troubles de santé à l’exposition aux CEM (maux de tête, trouble du sommeil, etc.) pouvant conduire à une situation invalidante, tandis que l’EHS ferait référence à des individus qui prétendent être hypersensibles aux CEM sans nécessairement attribuer des problèmes de santé à l’exposition. Les deux termes sont généralement utilisés indistinctement ce qui peut influencer les résultats des études d’incidence de ces troubles de santé dans la population, qui s’étalent actuellement de 1,5 et 21 % dans les pays industrialisés.

 

Déroulement de l’étude

Les données utilisées proviennent de la cohorte prospective sur la santé au travail et environnementale (AMIGO) définie en 2011-2012 pour étudier les déterminants environnementaux et professionnels des maladies et des symptômes dans la population adulte néerlandaise. Au départ, 14 829 sujets ont répondu au questionnaire en ligne en 2011-2012 (T0) ; un sous-ensemble de personnes a été interrogées en 2013, 2 228 ont répondu (T1), dont 892 ont répondu aux questions posées en 2021 (T4). Ces derniers ayant répondu à T0, T1 et T4 représentent donc la sous-population analysée dans l’étude. Les données de groupes interrogés en 2014 et 2015 (T2 et T3) ne sont pas prises en compte ici.

La proportion de participants présentant des symptômes attribués aux RF, donc une IEI-RF, a été évaluée tout au long de l’enquête (T0, T1 et T4). En 2021 (T4), il a aussi été demandé aux participants s’ils se considèrent EHS (réponse sur une échelle de 0 à 6) ; sont considérés EHS ceux dont le score se situe entre 4 et 6. L’exposition perçue ainsi que le risque perçu aux CEM-FR (parmi d’autres facteurs environnementaux) sont évalués sur une échelle de 0 à 6, en fonction des sources à T0 et T1, avec ajout de la 5G à T4. Les symptômes non spécifiques (détresse, somatisation, anxiété, dépression, maux de tête, palpitations, lombalgie, etc.) et les troubles du sommeil autodéclarés sont évalués chaque fois par des méthodes validées.

 

Que montre l’étude de Traini et al. ?

Les participants sont pour moitié des hommes et des femmes, majoritairement urbains, d’âge moyen 50 ans, avec un niveau d’éducation élevé.

Environ 1 % attribue des problèmes de santé au CEM-RF (IEI-RF) durant les 10 ans de suivi, tandis que les individus qui signalent des IEI-RF changent au fil du temps. À la fin, il en reste seulement 1 sur 9 ayant déclaré des troubles au départ, soit une probabilité de 95 % de ne plus attribuer les problèmes de santé à l’exposition aux CEM-RF chez les personnes qui en attribuaient au départ. Ce constat inattendu est cependant cohérent avec ceux d’autres équipes, en Suisse et en Allemagne, qui avaient rapporté une diminution de l’ordre de 30 % au bout d’un an ou deux. À l’inverse, seulement 1 % des personnes n’attribuant pas de problèmes de santé au départ le fait en 2021. Pourtant, environ 12 % des participants estiment être EHS, dont 6 sur 108 attribuent des problèmes de santé aux CEM-RF, tandis que tous ceux qui attribuent des problèmes de santé aux CEM ne s’estiment pas EHS (6 sur 11). L’étude ne permet pas de savoir d’où vient ce décalage (compréhension des termes, formulation des questions, évitement des sources par ceux qui s’estiment EHS, autres sources de CEM incriminées, etc.).

Les sujets s’estimant EHS ou attribuant des symptômes aux CEM ont une perception du risque et de leur exposition aux CEM-RF significativement plus élevée, et rapportent plus de symptômes non spécifiques et de troubles du sommeil du début à la fin de l’étude.

Ces résultats concordent avec l’hypothèse d’un effet nocebo rapporté dans de nombreuses études, mais la disparition de l’IEI-CEM chez les individus au cours du temps suppose que l’effet nocebo ne persiste pas. Ils sont aussi compatibles avec le fait que des personnes peuvent attribuer aux ondes les causes de symptômes pré-existants.

 

Conclusion

C’est la première étude sur l’EHS dans laquelle un échantillon issu de la population générale est suivi sur un temps aussi long pour chercher des paramètres prédictifs.

La bonne nouvelle est que les personnes souffrant d’IEI-CEM ne sont pas irrémédiablement enfermées dans cette condition. La plupart n’attribuent que transitoirement la cause de leurs maux à l’exposition aux ondes. Il serait maintenant utile de rechercher ce qui a changé dans leur vie pour motiver cette évolution. À l’inverse, très peu de ceux qui n’attribuent pas de troubles de santé aux CEM-RF au départ le font tardivement. Un autre enseignement important est qu’il y a beaucoup plus de personnes qui se considèrent EHS que de personnes qui attribuent des problèmes de santé aux ondes, mais cette attribution ne conduit pas systématiquement à se considérer EHS. Ce flou pourrait expliquer en partie les variations d’incidence de l’EHS selon les pays en l’absence de questionnaire standardisé. Enfin, l’étude confirme que la perception accrue du risque électromagnétique et du sentiment d’être exposé, ainsi que la prépondérance de troubles inexpliqués et du sommeil, sont des facteurs prédictifs du risque d’EHS ou IEI-CEM. Les auteurs concluent que les connaissances sur ces facteurs et leur dynamique « peuvent offrir des opportunités pour la communication et la prévention des risques futurs, en ciblant en particulier les personnes de la population qui attribuent systématiquement des problèmes de santé à l’exposition aux CEM-RF au fil du temps ».

Notons que ces résultats confirment une fois de plus que les informations inquiétantes de nature à attiser les craintes et augmenter la perception d’un danger lié aux expositions RF sont à bannir au profit d’une information validée et claire sur l’innocuité des radiofréquences, et plus largement des CEM ambiants, aux niveaux d’exposition autorisés par la réglementation.

 

Publication analysée :
Traini E, Martens AL, Slottje P, Vermeulen RCH, Huss A. Time course of health complaints attributed to F‑EMF exposure and predictors of electromagnetic hypersensitivity over 10 years in a prospective cohort of Dutch adults. Science of the Total Environment 2023 ; 856(2) : 159240.

Anne Perrin