ANALYSE D'ARTICLE

Production d’hydrocarbures non conventionnels : identification des polluants atmosphériques à activité endocrinienne

Partant d’une liste a priori non exhaustive des polluants atmosphériques générés par l’exploitation de gisements d’hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis, les auteurs de cette étude en identifient 34 susceptibles de perturber l’activité hormonale. Tout en invitant la communauté scientifique à s’appuyer sur leur travail pour étoffer l’information, ils appellent à ne pas perdre de temps dans la mise en place de mesures protectrices pour les populations riveraines de ces installations polluantes en pleine expansion.

Avec l’avancée des techniques de forage horizontal et de fracturation hydraulique, la production d’hydrocarbures non conventionnels (HNC : pétrole et gaz prisonniers de la roche-mère) s’est considérablement développée au cours de la dernière décennie, en particulier aux États-Unis où près de 18 millions de personnes vivent à moins d’1 mile (1,6 km) d’un puits selon une récente estimation.

Cette population est la première exposée à un mélange de polluants atmosphériques provenant de la plateforme d’exploitation, où de nombreux produits chimiques sont utilisés (comme solvants, surfactants, détergents, biocides, etc.) dans le procédé d’extraction des HNC et pour l’entretien de l’installation, sans compter les émissions des effluents (liquide de fracturation remontant du puits) et les composés volatils d’hydrocarbures. Montrant une relation entre la proximité d’un puits ou leur densité en une zone donnée et l’incidence de troubles de la reproduction et du développement dans la population alentour, une littérature épidémiologique naissante appuyée par des études in vitro et dans des modèles animaux indique la présence de substances à activité endocrinienne au sein du mélange de polluants. L’objectif de ce travail était de les identifier.

Démarche suivie

Dans un premier temps, les auteurs ont balayé la littérature à la recherche d’articles rapportant la mesure de polluants atmosphériques associés à la production d’HNC (exploitations installées aux États-Unis, mesures effectuées sur site ou à proximité). Deux bases de données bibliographiques (PubMed et Web of Science) ont été interrogées jusqu’en juin 2016, permettant de retrouver 43 articles pertinents (en langue anglaise, publiés dans des revues à comité de lecture) donnant accès à cinq articles supplémentaires listés en références. Les 48 publications mentionnaient plus de 200 polluants appartenant à diverses familles incluant les alcanes/alcènes, les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le groupe des BTEX (benzène, éthylbenzène, toluène et xylène) et les aldéhydes. Cent six substances étaient signalées dans au moins deux articles, dont 20 dans 10 rapports et plus. Respectivement 56 et 54 % des études mentionnaient la présence d’éthane et de benzène.

Après avoir établi la liste des substances identifiées dans l’air des zones de production d’HNC, les auteurs l’ont croisée avec celle des perturbateurs endocriniens potentiels de la base de données de l’Endocrine Disruption Exchange (TEDX), organisation non gouvernementale d’appartenance des auteurs fondée par Theo Colborn. Vingt-six polluants y étaient déjà répertoriés dont cinq des 20 rapportés avec la plus grande fréquence. Une recherche complémentaire a été effectuée dans PubMed pour les 15 autres, permettant d’identifier huit substances satisfaisant au critère d’inclusion dans la base TEDX (au moins une étude indiquant une activité endocrinienne).

Polluants particulièrement préoccupants

Les preuves d’activité endocrinienne disponibles pour les 34 substances de la liste finale ont été classées en directes (impact sur la production d’hormones, mimétisme hormonal, inhibition d’une voie de signalisation) ou indirectes (perturbations d’un processus physiologique, notamment développemental, sous dépendance hormonale). Des preuves à la fois directes et indirectes étaient réunies pour 19 substances dont celles formant le groupe des BTEX qui retient l’attention par rapport aux substances de la famille des HAP, également représentées dans les deux catégories mais moins fréquemment détectées autour des installations. Un autre composé aromatique monocyclique, le styrène, peut également être considéré comme particulièrement préoccupant en raison à la fois de sa fréquence de détection et de l’étendue de son activité perturbatrice endocrinienne potentielle (hormones thyroïdiennes, progestérone et glucocorticoïdes) au-delà des preuves existantes pour les BTEX (activité œstrogénique, androgénique et perturbation de la stéroïdogenèse).

Point de départ pour d’autres travaux

Les auteurs engagent à considérer leur étude comme une base d’orientation pour des recherches dans les populations et dans la faune sauvage autour des sites de production d’HNC, visant à établir l’impact possible de l’exposition à des polluants atmosphériques à activité endocrinienne. Ils incitent par ailleurs à la réalisation de revues systématiques des effets sanitaires des polluants les plus fréquemment détectés, pour ceux dont la toxicité est méconnue, ce qui n’est pas le cas des BTEX, du styrène ou encore du naphtalène, parmi les substances les plus régulièrement mentionnées dans les articles examinés.

Cette littérature ne couvre que partiellement la gamme des émissions associées à l’activité de production d’HNC. Les données existantes sont en effet centrées sur les polluants visés par le Clean Air Act (ces hazardous air pollutants représentaient 28 des 34 substances de la liste finale) pour lesquels des méthodes de détection et de mesure standardisées existent. Les données manquent pour d’autres polluants moins surveillés en routine et moins faciles ou plus coûteux à mesurer.

S’il est nécessaire de compléter l’information, les auteurs estiment qu’il serait déraisonnable de reporter l’application de mesures visant à protéger la santé des populations résidant autour des sites.


Publication analysée :

* Bolden AL1, Schultz K, Pelch KE, Kwiatkowski CF. Exploring the endocrine activity of air pollutants associated with unconventional oil and gas extraction. Environ Health 2018 ; 17(1) : 26. doi : 10.1186/s12940-018-0368-z.

1 The Endocrine Disruption Exchange (TEDX), Eckert, États-Unis.