ANALYSE D'ARTICLE

Réduire les inégalités de santé : le rôle des espaces verts urbains

Focalisé sur les inégalités sociales de santé aux États-Unis, cet article synthétise la littérature traitant de l’influence des espaces verts urbains sur l’obésité, les maladies cardiovasculaires, la vulnérabilité à la chaleur et la santé mentale. L’objectif est d’éclairer le rôle potentiel des espaces verts dans la lutte contre les inégalités de santé et d’identifier des axes de recherche pour les futurs travaux.

This article, focusing on health disparities in the US, summarizes the literature on the influence of urban green spaces on obesity, cardiovascular diseases, heat vulnerability, and psychological health. It aims to clarify the potential role of green spaces in combatting health disparities and identify future avenues of research.

Sous l’angle des services écosystémiques rendus par les espaces verts urbains au sens large, incluant les parcs, bois, jardins et autres zones couvertes d’herbes ou de plantes.

Les services écosystémiques peuvent être classés en quatre catégories : des services de soutien aux conditions favorables à la vie (cycle des nutriments, formation des sols, production primaire, etc.), d’approvisionnement (en aliments, eau, combustibles, molécules médicamenteuses, etc.), de régulation (du climat, des maladies, de la qualité de l’air, de l’eau, etc.) et culturels (récréation, éducation, esthétique du paysage, spiritualité, etc.). Les services appartenant à ces deux dernières catégories revêtent une importance toute particulière pour la santé et le bien-être de la population urbaine. Ils sont inégalement fournis aux individus en fonction, notamment, de caractéristiques socio-économiques telles que l’origine ethnique et le niveau de revenus. Cette disparité dans la répartition des services écosystémiques contribue aux inégalités de santé, et la promotion de la « justice environnementale » est l’un des leviers d’action pour les réduire.

Quatre problématiques ayant donné lieu à d’assez nombreuses publications décrivant la situation aux États-Unis ont été retenues pour illustrer ce discours : l’obésité, les maladies cardiovasculaires, la vulnérabilité à la chaleur et le mal-être psychologique.

 

Données de la littérature

Les études concernant l’obésité indiquent que sa prévalence est 3,7 fois plus élevée chez les jeunes de quartiers défavorisés ayant un mode de vie sédentaire (19,8 %) que chez les jeunes actifs physiquement vivant dans des quartiers plus aisés (6,7 %). Dans la population générale, deux groupes particulièrement affectés par l’obésité sont considérés prioritaires pour des interventions de santé publique : les personnes ayant fait le moins d’études et celles appartenant à certaines minorités ethniques. Augmenter le niveau d’activité physique est une mesure clé, et les études montrent qu’elle est favorisée par la proximité de parcs et un environnement favorable à la marche (« walkable neighborhood»).

Toutefois, si ces éléments sont incitatifs, ils ne sont pas forcément suffisants pour engager des personnes inactives à explorer leur environnement extérieur. L’activité de plein air nécessite d’être encouragée par une offre de programmes de sorties et d’organisation d’événements sportifs. Par ailleurs, des éléments dissuasifs sont à prendre en compte, comme l’insécurité ou la proximité de sources de pollution ou d’autres nuisances urbaines. L’intérêt des espaces verts dans la lutte contre l’obésité doit donc être considéré dans un contexte social et local élargi. L’accès à une alimentation saine, dont les études suggèrent la corrélation à l’accès aux espaces verts, est également un élément important. Des mesures favorisant l’activité physique peuvent aussi avoir un impact sur les maladies cardiovasculaires, dont la répartition déséquilibrée représente un enjeu majeur aux États-Unis. En 2009, le taux de mortalité prématuré par maladie cardiovasculaire était ainsi 1,5 fois plus élevé chez les Noirs que chez les Blancs. Plusieurs travaux sur l’hypertension artérielle, le stress ou les accidents vasculaires cérébraux, suggèrent indirectement que les services écosystémiques devraient être pris en compte dans les discussions sur les moyens d’améliorer la santé cardiovasculaire.

Outre les épreuves de la vie qui peuvent toucher n’importe quelle catégorie sociodémographique, certaines sources de stress spécifiques aux populations défavorisées (chômage et discrimination par exemple) contribuent à une faible qualité de vie perçue, à la survenue d’une dépression, et au passage éventuel à l’acte suicidaire. Les taux de suicide les plus élevés sont ainsi observés chez les personnes les moins diplômées et, parmi les adolescents et les jeunes adultes, chez les Noirs non-Hispaniques ainsi que dans la minorité ethnique autochtone (Amérindiens et indigènes d’Alaska). La littérature indique que la présence d’espaces verts atténue le stress émotionnel, en permettant un contact ressourçant avec la nature, des contacts sociaux qui soutiennent les capacités à faire face aux difficultés, et en favorisant des sentiments d’appartenance à une communauté et d’attachement à un quartier plaisant. Le service écosystémique culturel dépend toutefois de critères qualitatifs. Ainsi, à Kansas City, ce sont les quartiers les plus pauvres qui disposent de la plus grande surface d’espaces verts, mais ceux-ci sont de mauvaise qualité et dépourvus en aires de jeux.

La vulnérabilité à la chaleur est le dernier exemple d’un problème qui touche préférentiellement les groupes de populations les plus défavorisés pour diverses raisons incluant leur concentration dans des quartiers très peuplés disposant de peu d’espaces naturels susceptibles d’atténuer l’effet îlot de chaleur urbain. Contrairement aux services écosystémiques d’ordre culturel, ce service de régulation thermique n’exige pas un contact direct avec les espaces verts, dont le potentiel multidimensionnel pour la santé et le bien-être des populations pauvres et des minorités ethniques n’a pas encore été totalement exploré.

 

Recommandations pour la suite des recherches

Les auteurs mettent en garde contre un enthousiasme excessif qui détournerait l’attention de facteurs d’inégalités de santé majeurs comme l’accès aux services de soins, l’éducation ou le poids des expositions environnementales. Ils rappellent par ailleurs que les risques potentiels des espaces verts (pollens, insectes, dommages en cas de tempêtes, etc.) doivent être considérés au même rang que leurs bénéfices. Les enjeux méthodologiques pour des études sur les effets sanitaires des espaces verts incluent la mesure de l’exposition sans présumer d’une interaction positive entre la population et la nature, la quantification des effets, l’établissement d’une relation causale à l’échelle d’une population (et pas simplement d’une association) et la compréhension du mécanisme en jeu. Une collaboration transdisciplinaire dans les champs de la santé publique et de l’écologie urbaine est souhaitée.

Les auteurs regrettent la quasi-absence (une seule étude) de travaux en zone rurale, alors qu’une pauvreté persistante existe dans certains comtés à population majoritairement non-Blanche. Dans l’objectif de produire des connaissances nuancées sur la relation entre l’exposition à l’environnement naturel et les inégalités de santé, cette relation devrait être examinée partout où le problème se pose et dans des types d’environnement variés.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Jennings V, Johnson Gaither C. Approaching environmental health disparities and green spaces: an ecosystem service perspective. Int J Environ Res Public Health 2015; 12: 1952-68.

USDA Forest Service, Southern Research Station, Integrating Human and Natural Systems, Athens, États-Unis.

doi : 10.3390/ijerph120201952