ANALYSE D'ARTICLE

Renforcer les données des études épidémiologiques pour les rendre plus utiles

Reprenant les recommandations issues d’un workshop du Health and Environmental Sciences Institute (HESI) sur les moyens d’améliorer la pertinence des données épidémiologiques pour l’évaluation des risques sanitaires, cet article met l’accent sur l’importance de mieux caractériser l’incertitude.

This article, based on the recommendations from a Health and Environmental Sciences Institute (HESI) workshop on how to improve the relevance of epidemiological data to assess health risks, stresses the importance of characterizing uncertainty.

L’évaluation des risques sanitaires est la pierre angulaire de l’élaboration des politiques de santé publique. À côté des données toxicologiques et expérimentales, celles des études épidémiologiques sont fondamentales dans le champ des expositions environnementales et professionnelles. Or, comme pour tout travail de recherche scientifique, les informations fournies par une étude épidémiologique sont entourées d’incertitudes, liées aux faiblesses de l’étude elle-même (mesure de l’exposition, facteurs de confusion, autres sources de biais) et aux limites de sa validité externe (possibilité de généraliser à d’autres populations que celle de l’étude).

Des approches épidémiologiques et des techniques statistiques existent pour caractériser l’incertitude, mais bien que leurs intérêts soient reconnus en théorie, elles tardent à être appliquées en pratique. Les sources potentielles d’erreurs sont souvent présentées dans les articles et leurs impacts possibles sur les résultats sont discutés, mais de manière qualitative et non quantitative. À titre d’exemple, les études publiées pendant une année entière dans trois revues d’épidémiologie ont été compilées dans l’objectif d’examiner la façon dont l’erreur de mesure de l’exposition était traitée. Sur 57 articles, 35 seulement la mentionnaient, dont 16 décrivaient ses effets possibles qualitativement et un allait jusqu’à mesurer son impact sur les résultats, par une analyse de sensibilité. Cette démarche doit être encouragée, ainsi que la conduite d’études de validation.

 

 

Préciser les effets des biais

Si la possibilité de biais, dus notamment à des facteurs de confusion résiduels et à des erreurs de mesure de l’exposition, est généralement reconnue et assumée par les auteurs, un effort doit être fait pour préciser la direction et l’ampleur de leurs effets, ainsi que le niveau d’incertitude global résultant des différentes sources d’incertitudes individuelles. Une catégorisation, même grossière (incertitude importante, modérée ou faible), qui permettrait d’estimer le poids des preuves apportées par l’étude, serait éclairante. Tenant compte de l’investissement nécessaire (en temps et en budget) pour réaliser des analyses complémentaires ou alternatives, les auteurs devraient au moins mettre à disposition les données permettant à d’autres de le faire (dans l’article ou sinon en tant que matériel supplémentaire). L’acceptation courante de manuscrits comportant seulement une vague discussion sur l’incertitude ne motive pas les auteurs à adopter ces recommandations : le groupe de travail de l’HESI incite les relecteurs et les éditeurs de revues à relever leur niveau d’exigence.

Au rang des outils analytiques disponibles, il recommande d’utiliser plus fréquemment les méthodes bayésiennes qui présentent l’avantage, par rapport aux méthodes fréquentistes, d’intégrer les connaissances antérieures. Par ailleurs, les graphes orientés acycliques (directedacyclic graph – DAG), qui fournissent une représentation des relations complexes entre différentes variables, sont particulièrement utiles pour repérer les facteurs de confusion ou modificateurs d’une association entre une exposition et un événement.

 

Focus sur les problèmes de mesure de l’exposition

La littérature statistique indique que les erreurs de mesure de l’exposition et les erreurs de classement qui en découlent sont susceptibles d’avoir un impact beaucoup plus profond, complexe et imprévisible sur les résultats que ce qui est communément admis (ces erreurs sont à l’origine d’un biais non-différentiel qui tend à atténuer et rendre imprécise l’estimation de l’effet). Pour les participants au workshop, ce problème mérite donc une attention particulière, dès l’étape initiale de la conception de l’étude. La mise au point, en amont, d’une approche robuste de mesure de l’exposition, est préférable à l’analyse, en aval des résultats, des limites de l’étude.

La collaboration entre chercheurs d’horizons variés nécessite d’être promue pour qu’une équipe multidisciplinaire, incluant par exemple des experts en épidémiologie, expologie, hygiène industrielle, et chimie analytique, élabore la meilleure stratégie possible de mesure de l’exposition. Cette équipe devrait discuter d’éléments clés tels que la méthode de collecte des données, les sources de variabilité de l’exposition, les fenêtres d’exposition critiques ou la disponibilité de données biologiques pertinentes pour l’organe ou le tissu d’intérêt (dose absorbée, dose interne efficace) et, lorsqu’elles sont indisponibles, les avantages et limites des modèles de transport et de devenir de la substance dans l’environnement ou des modèles pharmacodynamiques physiologiques (PBPK).

Dans l’objectif de servir à l’évaluation et à la gestion des risques, deux autres points sont importants : la détermination de la relation exposition-réponse (ce qui nécessite un recueil des données ad hoc), et l’estimation des effets de l’exposition à un mélange de substances ou de l’exposition à une même substance selon les différentes voies possibles. Les études observationnelles sont, à cet égard, beaucoup plus informatives que les études expérimentales. Les efforts de développement et d’évaluation de méthodes permettant d’estimer les expositions multiples et de caractériser l’incertitude liée à cette estimation doivent être poursuivis.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Burns CJ1, Wright M, Pierson JB, et al. Evaluating uncertainty to strengthen epidemiologic data for use in human health risk assessments. Environ Health Perspect 2014; 122: 1160-5.

doi: 10.1289/ehp.1308062

 

1 The Dow Chemical Company, Midland, Michigan, États-Unis.