ANALYSE D'ARTICLE

Retombées radioactives de l’accident de Tchernobyl et incidence du cancer dans les trois comtés les plus contaminés de Suède

Alors que les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl en Europe du Nord sont toujours débattues, cette étude identifie un faible excès de risque de cancer dans les trois comtés de la côte est de la Suède où la population a été la plus exposée aux retombées de césium 137. Les auteurs restent prudents dans l’interprétation de leurs résultats.

Environ 5 % du césium 137 (137Cs) rejeté dans l’atmosphère après l’accident de la centrale de Tchernobyl (26 avril 1986) s’est déposé en Suède. Ces retombées ont surtout affecté les régions ouvertes sur la mer Baltique où elles se sont réparties inégalement en fonction des pluies dans la semaine suivant l’accident. La cartographie de la contamination du sol (maille de 200 × 200 m) établie après le quadrillage du territoire par un aéronef équipé d’un détecteur de rayonnement gamma a permis d’identifier trois comtés principalement touchés : Uppsala, Gävleborg et Västernorrland.

 

Les auteurs de ce travail ont choisi de se focaliser sur ces trois comtés qui rassemblaient 88 % de la population vivant sur un sol avec un niveau de radioactivité dans le dernier quartile (> 25,42 kBq/m2) au 31 décembre 1986 (199 711 des 226 063 Suédois les plus exposés). Précédemment, ils avaient réalisé une étude de type écologique couvrant une zone plus vaste (les neuf comtés du nord du pays), qui n’avait pas retrouvé d’influence de la contamination du sol par le 137Cs sur l’incidence du cancer jusqu’en 2009. Ces résultats venaient contredire une précédente estimation sur une période d’observation plus courte (jusqu’en 1999). D’une manière générale, les investigations dans les pays nordiques ont été peu nombreuses relativement à l’inquiétude soulevée, et elles n’ont pas permis de trancher la question d’un excès de cancers attribuable à l’accident. Les études initiales se sont concentrées sur la leucémie infantile pour sa sensibilité à l’exposition aux rayonnements ionisants et sa brève période de latence, mais elles se sont heurtées à la difficulté de mettre en évidence un faible excès de cas d’une maladie rare. Le manque de puissance statistique, l’imprécision de l’exposition, un contrôle incomplet des facteurs de confusion potentiels, un suivi trop court ou d’autres faiblesses des études réalisées par la suite ont pu empêcher de démasquer un réel « effet Tchernobyl ».

Atouts de cette nouvelle étude

L’influence de facteurs, notamment socio-économiques, professionnels et liés au mode de vie, à l’origine de différences régionales dans l’incidence du cancer a été limitée par la restriction de la zone étudiée aux trois comtés adjacents de la côte est ayant concentré les dépôts de 137Cs. La contrepartie est un contraste d’exposition réduit mais jugé suffisant par les auteurs, qui se sont efforcés de calculer une exposition cumulée sur cinq ans alors que les précédentes études se référaient à la valeur de la radioactivité du sol en 1986. L’autre point fort de ce travail est l’utilisation de données d’incidence (et pas de mortalité) dans une population indemne de cancer à la base.

En pratique, la population de départ était celle des 803 703 résidents des trois comtés au 31 décembre 1986. Leur numéro de sécurité sociale a été croisé avec le registre national du cancer (mis en place en 1958), aboutissant à l’exclusion de 31 674 cas (tout type de cancer) identifiés jusqu’au 31 décembre 1990. Le suivi a démarré le 1er janvier 1991 et a pris en compte tous les diagnostics de cancers recensés jusqu’au 31 décembre 2010 (date du premier événement en cas de diagnostic multiple).

Relation avec l’exposition au césium 137

L’exposition cumulée sur cinq ans (période 1986-1990) a été estimée en tenant compte de l’histoire résidentielle (source : Land Survey of Sweden où les coordonnées des résidents Suédois sont mises à jour annuellement) et de la décroissance radioactive du 137Cs déposé au sol.

Après exclusion de 9 936 sujets pour lesquels l’exposition n’a pas pu être établie et de 26 965 décès survenus entre 1986 et 1990, la cohorte comptait 734 537 sujets. Au cours des vingt années de suivi, 82 495 cas de cancers ont été enregistrés. Le taux d’incidence dans le groupe le moins exposé (premier quartile : 0 à 45,4 kBq/m2) a été pris pour référence. Un excès de cancer a été recherché dans les autres catégories d’exposition après ajustement sur l’âge (en 1986), le sexe, le caractère rural (moins de 3 000 habitants) ou urbain de la commune de résidence en 1986, et l’incidence du cancer dans la région avant Tchernobyl (taux standardisé sur l’âge et le sexe pour 100 000 personnes-années entre 1980 et 1985).

Les analyses indiquent un effet de l’exposition au 137Cs : le hazard ratio est égal à 1,03 (IC95 : 1,01-1,05) dans la catégorie intermédiaire (cumulant les deuxième et troisième quartiles : 45,41-118,8 kBq/m2) et égal à 1,05 (1,03-1,07) dans la catégorie supérieure (118,81 à 564,71 kBq/m2).

Les auteurs proposent une interprétation prudente de leurs résultats, en termes de causalité comme de relation dose-réponse, considérant les faibles excès de risque observés et le chevauchement des intervalles de confiance entre les deux catégories. Le raffinement dans l’estimation de l’exposition individuelle ne tient compte que de l’irradiation externe. Elle méconnaît l’apport lié à l’ingestion de denrées contaminées, alors que sa participation à la dose totale reçue a pu être importante pour certaines personnes. Trente ans après l’accident de Tchernobyl, la limite fixée pour la protection du public (1 500 Bq/kg) est encore dépassée dans certains produits (poisson, gibier, baies) provenant des territoires les plus touchés par les retombées radioactives.

 


Publication analysée :

* Alinaghizadeh H1, Wålinder R, Vingård E, et al. Total cancer incidence in relation to 137Cs fallout in the most contaminated counties in Sweden after the Chernobyl nuclear power plant accident: a register based study. BMJ Open 2016 ; 6 : e011924. doi : 10.1136/bmjopen-2016-011924

1 Department of Medical Sciences, Occupational and Environmental Medicine, Uppsala University, Uppsala, Suède.