ANALYSE D'ARTICLE
Risque de cancer chez les travailleurs exposés aux rayonnements ionisants : nouveaux résultats de la cohorte internationale INWORKS (France, Royaume-Uni, États-Unis)
De nouveaux résultats de l’étude épidémiologique INWORKS (International Nuclear Workers Study) publiés en août 2023 renforcent la preuve de l’existence d’une relation entre le risque de cancer et l’exposition à de faibles doses de rayonnements ionisants.
Le système actuel de radioprotection des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants repose sur une extrapolation des connaissances des risques radio-induits issues du suivi épidémiologique des survivants des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Or les modalités d’exposition de ces groupes de populations sont différentes, aiguës versus chroniques notamment. Il est donc nécessaire de mener des recherches sur les effets sanitaires de faibles doses de rayonnements ionisants répétées dans le temps. Plusieurs cohortes nationales et la cohorte internationale INWORKS ont été constituées dans cet objectif [1].
L’étude INWORKS regroupe des cohortes de travailleurs français (60 697), britanniques (147 872) et américains (101 363) employés au moins une année dans l’industrie nucléaire (préparation du combustible, recherche, production d’électricité, retraitement des combustibles irradiés) et surveillés pour une exposition externe aux rayonnements ionisants par le port de dosimètres individuels. La population étudiée dans INWORKS inclut au total 309 932 travailleurs employés entre 1944 et 2016, dont 87 % d’hommes.
À partir des enregistrements dosimétriques individuels annuels, la dose absorbée au côlon, exprimée en gray (Gy), a été calculée pour chaque travailleur, puis cumulée pour toute la période de suivi. Les statuts vitaux et les causes médicales de décès codées selon la classification internationale des maladies ont été collectés dans différentes sources selon les pays : registres nationaux, données des employeurs, fichiers des impôts, etc. La relation dose-risque de décès par cancer a été étudiée en ajustant des modèles en excès de risque relatif. Des analyses excluant le cancer du poumon, largement lié au tabagisme tandis que le statut tabagique n’est pas connu pour les travailleurs de la cohorte, ont également été réalisées. Les analyses statistiques ont inclus différents ajustements sur le sexe, le pays, l’année de naissance, l’âge atteint, la durée d’emploi, le niveau socio-économique en fonction de l’emploi occupé à l’embauche et l’exposition aux neutrons. Enfin, pour tenir compte de l’apparition différée d’un cancer après l’exposition associée, une période de latence de dix ans a été considérée pour le calcul de la dose cumulée.
La durée moyenne de suivi était de 34,6 années, avec un âge moyen à la fin du suivi de 65,9 ans. La moyenne de la dose cumulée au côlon était de 20,9 mGy pour les travailleurs avec une dose non nulle et 17,7 mGy incluant les travailleurs avec une dose nulle. Sur les 103 553 décès comptabilisés pendant le suivi, 31 009 l’étaient en raison d’un cancer, incluant 28 089 cas de cancers solides. L’excès de risque relatif de décès par cancer était de 0,53 pour 1 Gy (intervalle de confiance à 90 % [IC 90] : 0,30-0,77) et par cancer solide (i.e. excluant les hémopathies malignes) de 0,52 par Gy (IC 90 : 0,27-0,77). Après exclusion du cancer du poumon, l’excès de risque relatif était égal à 0,46 par Gy (IC 90 : 0,18-0,76) ; la méconnaissance du statut tabagique ne modifie donc pas substantiellement les résultats.
Des analyses de sensibilité ont été réalisées : modification de la période de latence, exclusion des travailleurs avec les doses les plus élevées, exclusion des travailleurs embauchés dans les périodes les plus anciennes lorsque la dosimétrie était moins performante, exclusion des données d’un des trois pays, etc. Ces analyses ont légèrement fait varier les valeurs de l’excès de risque relatif, mais sans modifier l’observation d’une relation statistiquement significative entre la dose de rayonnements ionisants reçue et le risque de décès par cancer.
Commentaire
INWORKS est l’étude épidémiologique la plus importante jamais réalisée pour quantifier les risques sanitaires potentiellement associés à une exposition chronique à de faibles doses de rayonnements ionisants. Les résultats sont ainsi très robustes et permettent de conforter les hypothèses fondant le système actuel de radioprotection, à savoir une relation linéaire sans seuil entre la dose de rayonnements ionisants reçue et le risque de cancer.
À partir de la relation dose-risque estimée dans INWORKS, la part du risque de décès par cancers solides attribuables à l’exposition aux rayonnements ionisants peut être calculée. Pour une population de 1 000 travailleurs ayant les mêmes caractéristiques moyennes que les travailleurs de l’étude INWORKS en termes de sexe, d’âge, de durée de suivi, etc., et ayant cumulé la dose moyenne de l’étude au cours de leur carrière, on observerait 1 décès par cancer solide attribuable à l’exposition aux rayonnements ionisants [2].
Les travaux d’INWORKS se poursuivent pour la mise à jour des résultats relatifs au risque de décès par leucémie, lymphome et myélome multiple. En effet, des résultats antérieurs ont montré un excès de risque relatif de décès par leucémie, en excluant la leucémie lymphoïde chronique qui n’est pas radio-induite, égal à 2,96 par Gy (IC 90 : 1,17–5,21) [3].
Références
[1] Hamra GB, Richardson DB, Cardis E, et al. Cohort profile: The International Nuclear Workers Study (INWORKS). Int J Epidemiol 2015 ; 45 : 693-9.
[2] Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Note d’information – Publication de nouveaux résultats de l’étude épidémiologique INWORKS sur le risque de cancer chez les travailleurs de l’industrie nucléaire. IRSN, 2023.
[3] Leuraud K, Richardson DB, Cardis E, et al. Ionising radiation and risk of death from leukaemia and lymphoma in radiation-monitored workers (INWORKS): an international cohort study. Lancet Haematol 2015 ; 2 : e276-81.
Publication analysée :
Richardson DB, Leuraud K, Laurier D, et al. Cancer mortality after low dose exposure to ionising radiation in workers in France, the United Kingdom, and the United States (INWORKS): cohort study. BMJ 2023 ; 382 : e074520.
Corinne Mandin