ANALYSE D'ARTICLE

Risque de cancer colorectal associé aux nitrates et sous-produits de désinfection de l’eau dans la cohorte de l’IWHS

Cette analyse des données d’une vaste cohorte de femmes de l’Iowa (États-Unis) s’ajoute à une littérature encore peu fournie sur le lien entre le cancer colorectal et l’exposition aux nitrates et sous-produits de chloration de l’eau. Ses résultats suggèrent essentiellement une influence de l’exposition à long terme aux trihalométhanes sur le risque de cancer rectal.

L’eau de boisson est une source potentielle d’exposition à deux familles de substances suspectées d’augmenter le risque de cancer colorectal : les sous-produits de chloration – principalement des trihalométhanes (THM) et acides haloacétiques (AHA) – et les nitrates/nitrites qui se combinent à des amines dans le tube digestif pour former des composés N-nitrosés (NOC) cancérogènes.

Le niveau de preuve fourni par l’épidémiologie est limité dans les deux cas. Les études ayant examiné l’effet de l’exposition aux sous-produits de désinfection de l’eau sont peu nombreuses et rapportent inconstamment des associations variables selon la localisation tumorale (colon ou rectum) ou le sexe des participants. Les travaux soutenant une relation entre la contamination de l’eau par les nitrates et le cancer colorectal sont de type écologique et/ou fondés sur des données de mortalité, à l’exception d’une vaste étude de cohorte danoise. Par ailleurs, deux études cas-témoins suggèrent des effets modificateurs des apports alimentaires en viande rouge, fibres et antioxydants (vitamines C et E), ce qui est en accord avec les facteurs de risque (consommation de viande rouge) et protecteurs (consommation de fruits et légumes) admis du cancer colorectal, ainsi que la connaissance du processus de nitrosation endogène (favorisé par un repas riche en précurseurs aminés et pauvre en nutriments anti-oxydants).

Les auteurs de cette investigation dans l’Iowa Women's Health Study cohort (IWHS constituée en 1986 par l’inclusion de 41 836 résidentes de l’Iowa âgées de 55 à 69 ans) ont pris en compte les facteurs alimentaires susceptibles d’influencer la formation de NOC et pertinents vis-à-vis du risque de cancer colorectal, sur la base du questionnaire de fréquence alimentaire administré à l’entrée (127 questions relatives aux consommations des 12 derniers mois à partir desquelles ont été estimés les apports en : viande rouge, produits carnés transformés et charcuterie, nitrates et nitrites totaux, fibres, vitamines C et E, calcium et graisses). Son autre intérêt majeur est d’avoir évalué l’effet de l’exposition aux nitrates sur le risque de cancer colorectal en tenant compte de l’exposition simultanée aux sous-produits de désinfection et vice-versa (modèles avec ajustement mutuel).

Analyse principale

L’information sur la principale source d’alimentation en eau de boisson (réseau public, puits privé, eau embouteillée, autre) avait été recueillie lors du deuxième questionnaire de suivi en 1989. L’analyse principale a été restreinte aux 15 532 utilisatrices du même réseau de distribution public depuis au moins 10 ans (dont 87 % depuis au moins 20 ans), qui étaient indemnes de cancer et ménopausées à l’inclusion, pour lesquelles toutes les informations relatives aux covariables d’intérêt avaient été collectées à l’entrée (outre l’alimentation, le statut tabagique, l’indice de masse corporelle, la consommation d’alcool, le niveau d’activité physique et la prise d’un traitement hormonal substitutif ont été considérés comme des facteurs de confusion potentiels). Dans cette population, 612 cas de cancer du colon et 155 cas de cancer du rectum avaient été diagnostiqués entre 1986 et 2010.

Les données historiques de surveillance de la qualité de l’eau distribuée par chaque réseau ont été utilisées pour restituer l’exposition individuelle aux nitrates et aux trihalométhanes totaux (THMT) sur la période antérieure à 1989. Des données de mesures annuelles étaient disponibles depuis 1955 pour les nitrates (concentration de NO3- ou d’azote[N] en mg par litre) et depuis 1980 pour les THMT (des estimations fondées sur la source d’eau et les procédés de traitements mis en œuvre ont été produites pour les années antérieures). L’exposition à chaque contaminant a été appréciée en termes de concentration moyenne sur toute la durée d’utilisation du réseau et de nombre d’années avec une concentration dépassant la moitié de la limite de qualité (5 mg/l pour le NO3--N et 40 μg/l pour les THMT).

Résultats

L’exposition aux nitrates via l’eau de boisson n’apparaît pas associée au risque de cancer du colon ni du rectum. Un seul résultat statistiquement significatif se dégage de l’analyse selon l’exposition moyenne à long terme : le hazard ratio de cancer du colon dans le troisième quintile (HR [Q3 versus Q1] égal à 1,32[IC95 = 1,03-1,69]). L’HR est égal à 0,97 (0,75-1,26) dans le dernier quintile d’exposition, et égal à 0,82 (0,63-1,06) dans la catégorie supérieure du nombre d’années d’exposition à une eau contenant plus de 5 mg/l de NO3--N. Une influence des facteurs modulant la production endogène de nitrosamines (alimentation et tabagisme) n’est pas détectée.

Un excès de risque de cancer du rectum est observé dans les deux derniers quintiles d’exposition aux THMT : HR (Q4 versus Q1) égal à 1,83(1,06-3,16) et HR (Q5 versus Q1) égal à 1,71(1-2,92). Toutefois, les résultats obtenus avec le second indicateur d’exposition ne sont pas significatifs : en prenant pour référence le groupe des femmes qui n’ont jamais bu une eau contenant plus de 40 μg/l de THMT, l’HR est égal à 1,43 (0,93-2,20) dans le groupe exposé à ce niveau pendant 1 à 35 ans (n’incluant que 26 cas) et égal à 1,13 (0,69-1,84) dans le groupe exposé pendant au moins 36 ans (19 cas). À l’opposé, le risque de cancer du colon n’apparaît pas augmenté avec l’exposition moyenne aux THMT (HR dans le dernier quintile = 1,13[0,89-1,44]), tandis que l’analyse utilisant le nombre d’années d’exposition à une eau contaminée par plus de 40 μg/l suggère un effet : HR successifs égaux à 1,26 (1,01-1,58) puis 1,23 (0,97-1,56).

Des analyses spécifiques pour deux THM (le chloroforme et le bromodichlorométhane) et trois AHA (les acides trichloroacétique, dichloroacétique et bromochloroacétique) orientent vers une toxicité particulière de l’exposition à long terme au bromodichlorométhane, ainsi qu’à l’acide trichloroacétique, associée au risque de cancer rectal. Peu d’études ont jusqu’ici examiné l’effet de sous-produits de désinfection de l’eau spécifiques et ces résultats, obtenus dans une cohorte faiblement exposée, demandent à être confirmés dans des populations desservies par une eau plus contaminée.


Publication analysée :

* Jones RR1, DellaValle CT, Weyer PJ, et al. Ingested nitrate, disinfection by-products, and risk of colon and rectal cancers in the Iowa Women's Health Study cohort. Environ Int 2019 ; 126 : 242-51. doi : 10.1016/j.envint.2019.02.010

1 Occupational and Environmental Epidemiology Branch, Division of Cancer Epidemiology and Genetics, National Cancer Institute, National Institutes of Health, Rockville, États-Unis.