ANALYSE D'ARTICLE

Risque de méningiome associé à l’utilisation de téléphones sans fil

Cette analyse poolée de deux études cas-témoins suédoises ne montre pas de relation entre l’utilisation de téléphones sans fil et le risque de méningiome. Les auteurs réservent toutefois leur conclusion tenant compte d’une augmentation du risque dans la catégorie de nombre d’heures d’utilisation cumulées la plus élevée et du recul disponible, encore limité pour une tumeur à croissance lente.

This pooled analysis of two Swedish case-control studies shows no association between use of wireless telephones and risk of meningioma. However, in view of the increased risk among those with the most hours of cumulative use and the latency period, still insufficient for a slow-growing tumor, the authors do not draw any definitive conclusions.

Cette nouvelle analyse porte sur un total de 1 625 cas de méningiomes et 3 530 témoins appariés sur le sexe et l’âge, recrutés entre 1997 et 2003 d’une part, et entre 2007 et 2009 d’autre part. Les mêmes méthodes ont été appliquées au cours des deux périodes d’étude pour sélectionner la population à inclure et évaluer l’exposition passée aux champs électromagnétiques de radiofréquence (CEM-RF) émis par les téléphones fixes sans fil et par les téléphones mobiles. Les cas ont été identifiés à partir des registres régionaux du cancer (centre de la Suède pour la période 1997-2003 et totalité du territoire pour la période 2007-2009), sur lesquels sont également reportées les tumeurs cérébrales bénignes (le méningiome n’étant qu’exceptionnellement malin). N’ont été inclus que les cas de méningiomes diagnostiqués chez des adultes (tranches d’âges 20-80 ans pour la période 1997-2003 et 18-75 ans pour la période 2007-2009) et confirmés histologiquement, les sujets étant en vie au moment de l’évaluation de l’exposition (la restitution par un tiers pouvant être moins fi able). Les témoins ont été sélectionnés par randomisation dans le registre national de la population. Les taux de participation élevés parmi les cas (88 %) comme les témoins (87 %) constituent un point fort de ce travail ; ils n’atteignaient respectivement que 78 et 53 % dans l’étude internationale Interphone [1], et l’écart entre le taux de participation des cas (75 %) et celui des témoins (45 %) était plus marqué dans l’étude française CERENAT [2].

L’exposition a été évaluée à partir des réponses à un questionnaire postal interrogeant les sujets sur leurs habitudes d’utilisation des téléphones fixes sans fil ainsi que des téléphones mobiles : type d’appareil, année de début d’utilisation, durée moyenne quotidienne des appels, côté d’utilisation habituel pour un appareil porté à l’oreille, utilisation d’un kit mains libres ou d’une antenne externe de voiture. Le questionnaire comportait également des questions relatives aux expositions professionnelles et environnementales, à la consommation de tabac, aux examens médicaux avec irradiation de la tête et du cou et aux antécédents familiaux de cancers. Si les réponses n’étaient pas claires, le sujet était appelé par un enquêteur qui reprenait l’ensemble du questionnaire.

 

 

Analyse selon le nombre d’années d’utilisation

Le temps de latence a été défi ni comme le nombre d’années entre la date de début d’utilisation d’un téléphone et la date du diagnostic (arrêtant également la période d’observation du sujet témoin). Un temps de latence supérieur à 1 an était nécessaire pour classer le sujet dans le groupe exposé (qui incluait 1 117 cas et 2 472 témoins). Le temps de latence médian était de 9 ans pour les portables (de 2 à 28 ans, durée moyenne 9,4 ans) et de 8 ans pour les téléphones fixes sans fil (de 2 à 21 ans, moyenne 8,2 ans). Six catégories ont été déterminées : de 2 à 5 ans, de 5 à 10 ans, de 10 à 15 ans, de 15 à 20 ans, de 20 à 25 ans et plus de 25 ans. Les covariables prises en compte étaient l’âge au diagnostic, le sexe, la catégorie socioprofessionnelle (valant indicateur socioéconomique) et l’année du diagnostic.

Le risque de méningiome n’apparaît pas associé à la durée d’utilisation des téléphones sans fil. L’odds ratio (OR) est égal à 1,3 (IC95 = 0,7-2,5) pour une ancienneté d’utilisation de plus de 25 ans. Aucune augmentation significative du risque n’est mise en évidence dans un quelconque groupe de temps de latence et/ou pour une catégorie de téléphone particulière (portable analogique, numérique 2G ou 3G, tout type de portable, téléphone fixe). L’analyse en fonction de la localisation de la tumeur (temporale, frontale, autre) n’indique pas non plus de lien entre l’utilisation de téléphones sans fil et le risque de méningiome : pour une tumeur du lobe temporal (468 cas), l’OR est égal à 1,1 (IC95 = 0,8-1,4) tout temps de latence confondu, et à 1,4 (IC95 = 0,5-4) pour une antériorité excédant 25 ans. L’analyse selon le côté de la tumeur par rapport à l’oreille habituellement exposée (plus de 50 % du temps) est également négative : l’OR de méningiome homolatéral est égal à 1,2 (IC95 = 0,9-1,5) et celui de méningiome controlatéral est égal à 1 (0,8-1,3) pour les portables (tout temps de latence confondu). Les résultats concernant les fixes sans fil sont similaires : OR de méningiome homolatéral égal à 1,1 (0,9-1,4) et OR de méningiome controlatéral égal à 1 (0,8-1,3).

 

Commentaires

Plusieurs brèves de ce numéro, rédigées à partir des derniers articles publiés sur le thème santé-environnement, traitent des effets des rayonnements non ionisants ou de la perception des risques liés à ces rayonnements. Les articles ont à nouveau des résultats qui n’indiquent pas d’augmentation du risque vis-à-vis de tel ou tel événement de santé, et pourtant des alertes continuent à être lancées par des militants qui accusent les champs magnétiques de tous les maux, que ceux-ci soient émis par les lignes à haute tension, les téléphones cellulaires, les antennes relais, les réseaux wifi , et tout ce que ces militants incluent sous le vocable de « dirty electricity ». Tout cela repose sur une information trompeuse diffusée dans les médias, et contredite par la très grande majorité des études scientifiques solides. Le meilleur argument allant par exemple à l’encontre d’une association entre l’usage des téléphones portables et la survenue de tumeurs cérébrales est, qu’en dépit du développement exponentiel de cet usage dans le monde entier depuis 20 ans, les différents systèmes de surveillance n’ont toujours pas permis d’observer d’augmentation de ces tumeurs en population générale. Des études scientifiques de bonne qualité, et rassurantes, sont régulièrement relayées par des organisations telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la Food and Drug Administration (FDA) américaine, les différentes sociétés savantes traitant de cancers, ou encore le Scientifi c Committee on Emerging and Newly Identifi ed Health Risks (SCENIHR), spécifi quement dédié aux radiations non ionisantes. Ces organisations n’ont pas fait preuve d’une volonté de nier ou de minimiser les risques puisque les alertes qu’elles ont relayées, même au simple stade de la suspicion, au cours des années récentes, ne manquent pas : grippe H1N1 et autres viroses émergentes, conflits d’intérêt de certains chercheurs avec l’industrie du tabac, pollution atmosphérique, etc. Combien d’avis convergents et de résultats négatifs faudra-t-il encore pour que les crédits alloués par les gouvernements à la recherche soient dédiés en priorité à d’autres facteurs de risque potentiels ?

Elisabeth Gnansia

 

Analyse selon le nombre d’heures d’utilisation

Le nombre cumulé d’heures d’utilisation a été estimé à partir du nombre d’années d’utilisation et de la durée moyenne quotidienne, en décomptant le temps de communication avec un kit mains libres ou dans une voiture équipée d’une antenne extérieure. Il était en moyenne de 881 h (médiane 176 h) pour les portables et de 1 309 h (médiane 192 h) pour les fixes. La répartition en quartiles indique une augmentation du risque de méningiome dans la dernière catégorie (plus de 1 486 h d’utilisation cumulées) pour tout type de téléphone (OR = 1,3 [1,1-1,6], calculé à partir de 336 cas et 618 témoins exposés), ainsi que pour les fixes (OR = 1,7 [1,3- 2,2], 200 cas et 261 témoins). Dans les trois premiers quartiles, les OR sont égaux à 1. Lorsque le nombre cumulé d’heures d’utilisation est réparti en déciles, l’OR de méningiome associé à une utilisation de plus de 3 358 h (90e percentile) d’un téléphone fixe sans fil est égal à 2 (1,4-2,8) avec une tendance dose-réponse significative (p < 0,0001), et l’augmentation du risque pour un portable de technologie 2G ou 3G frôle le seuil de significativité statistique (OR = 1,5 [1,0005-2,3]). Une analyse non catégorielle indique également une possible augmentation du risque avec le nombre d’heures d’utilisation : par incrément de 100 h, les OR sont ainsi de 1,005 (1,0001-1,010) pour les portables (toute technologie confondue), de 1,010 (1,005-1,014) pour les fi xes et de 1,006 (1,003-1,009) pour l’ensemble des téléphones sans fil.

Ces résultats présentent certaines similarités avec ceux des études Interphone et CERENAT, qui suggèrent également que le risque de méningiome est augmenté chez les très gros utilisateurs au 90e percentile (OR = 1,15 [0,81-1,62] pour au moins 1 640 h dans la première étude, et OR = 2,57 [1,02-6,44] pour au moins 896 h dans la seconde). Le méningiome étant une tumeur à croissance très lente, des études avec une durée de suivi plus longue pourraient permettre une conclusion définitive.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Carlberg M, Hardell L. Pooled analysis of Swedish case-control studies during 1997-2003 and 2007-2009 on meningioma risk associated with the use of mobile and cordless phones. Oncology Reports 2015; 33: 3093-8.

Department of Oncology, Faculty of Medicine and Health, Örebro University, Suède.

doi: 10.3892/or.2015.3930

 

Références :

1. Environ Risque Sante 2010; 9(5): 383-5.

2. Environ Risque Sante 2014; 13(5): 379-81.