ANALYSE D'ARTICLE

S’adapter à un monde plus chaud : jusqu’où l’homme peut-il aller ?

Des sociétés humaines ont su s’établir en tous points de la planète, des régions polaires aux régions tropicales, faisant preuve d’une grande capacité d’adaptation à une large palette d’environnements thermiques. Ce qui peut être faussement rassurant selon les auteurs de cet article : face à la chaleur, l’organisme a des limites qui ne peuvent être repoussées.

Human inhabitation of the entire planet, from polar to tropical regions, shows their ability to adapt to a wide range of thermal environments. The authors of this article believe that this can be falsely reassuring: in coping with heat, the organism has limitations that cannot be stretched.

En l’espace d’une décennie (entre 2001 et 2010), alors que le réchauffement de la planète n’a pas encore atteint 1 °C, la mortalité mondiale liée à la chaleur a augmenté de 2 300 %. Les épisodes de chaleur extrême ont fait des victimes partout, particulièrement dans les populations qui n’y étaient pas habituées (70 000 morts en Europe en 2003, 55 000 en Russie en 2010). Des plans canicule ont été mis en place, qui reposent sur deux pivots : l’alerte précoce (avec la diffusion de messages tels qu’éviter l’exposition à la chaleur, l’exercice physique intense, boire beaucoup, se réfugier plusieurs heures par jour dans des endroits frais) et la capacité de réponse (préparation des équipes et moyens de secours à une intervention rapide, coordonnée et effi - cace). Ces plans fonctionnent : la vague de chaleur qui a touché la France en 2006 a fait 4 400 morts de moins que celle de 2003. Toutefois, la comparaison des deux épisodes montre que le deuxième était moins intense. Or, les sociétés doivent plutôt se préparer à affronter des vagues de chaleur plus fréquentes, longues et intenses, dans un climat de fond plus chaud.

Très concernés par ce problème, les deux auteurs australiens de cet article de 40 pages alertent sur un point précis : les chercheurs, les épidémiologistes et les responsables politiques qui travaillent sur l’adaptation au changement climatique ne prennent pas suffisamment en compte les limites de l’organisme. Le réchauffement climatique progressant, ces limites s’imposeront comme le « maillon faible » de la capacité d’adaptation des sociétés, qui reposera de plus en plus sur la modification des comportements et les progrès technologiques. Ces deux facteurs ont leurs propres limites : toute l’humanité n’aura pas accès à l’air conditionné et dans les régions déjà très chaudes, la marge de manœuvre en termes de modes de vie (habitat, vêtements, rythmes d’activités, etc.) est limitée. Partant de considérations purement physiologiques, le champ de cet article s’ouvre de l’individu à la société, puis de la société à l’humanité tout entière, appelée à s’occuper de sa survie.

 

Les limites de la thermorégulation

La thermorégulation permet de maintenir notre température corporelle dans une fourchette étroite de fonctionnement biologique optimal (approximativement 36,8 °C ± 0,5). Il s’agit d’un mécanisme de régulation à court terme, avec une composante interne (l’organisme réduit ou augmente sa production de chaleur en adaptant le niveau du métabolisme basal et surtout celui de l’activité musculaire) et une composante externe (régulation de la déperdition de chaleur). Quand la température corporelle s’élève, la vasodilatation cutanée permet d’évacuer de la chaleur vers le milieu extérieur par convection. Ce mécanisme n’est plus efficace au-dessus d’une température interne de 38 °C et obéit à la loi immuable de la thermodynamique (aucun corps ne peut se refroidir s’il est placé dans un environnement plus chaud).

Le principal moyen d’évacuer de la chaleur est la sudation. Son efficacité dépend de la température extérieure, mais aussi de la saturation de l’air en eau et du flux d’air sur la peau, qui favorisent l’évaporation de la sueur ou l’empêchent (air très humide et stagnant). Elle entraîne une déshydratation et une perte d’électrolytes dangereuses pour la pompe cardiaque, sollicitée pour maintenir la perfusion des organes vitaux et des muscles (même si la sensation de fatigue a normalement conduit à restreindre au minimum l’activité physique), alors que le volume sanguin est réduit et largement détourné vers la surface corporelle. L’âge et l’état de santé (notamment cardiaque et rénal) vont ainsi influencer la tolérance de l’organisme à la chaleur et le seuil de température corporelle au-dessus duquel l’effondrement du système de thermorégulation conduit à l’hyperthermie létale. D’autres facteurs individuels interviennent, tels que l’indice de masse corporelle, la composition corporelle (pourcentages de masse maigre et de masse grasse), la surface corporelle, la morphologie, le sexe et les traitements médicamenteux, ainsi que les différents facteurs (santé mentale, capacités cognitives, autonomie physique) conditionnant les capacités d’adaptation comportementales (s’abriter de la chaleur, se découvrir, boire, cesser de s’agiter, etc). Les travaux sur les facteurs de tolérance à la chaleur manquent, celle-ci n’ayant été explorée que chez des sujets jeunes (sportifs de haut niveau, personnel militaire, étudiants) dont la condition physique est largement meilleure que celle de la majorité des individus.

 

La carte de l’acclimatation

La relation entre la chaleur et la mortalité met clairement en évidence la vulnérabilité particulière de sous-groupes de populations partout où elle a été étudiée. Elle fournit une autre information primordiale : la tolérance à la chaleur varie considérablement d’un endroit de la planète à l’autre, ce qui illustre le phénomène d’acclimatation.

L’acclimatation est un mécanisme d’adaptation physiologique à long terme, qui permet d’optimiser la thermorégulation. Les réponses physiologiques surviennent plus vite et sont à la fois plus amples et moins coûteuses pour l’organisme. L’augmentation de la capacité de sudation s’accompagne ainsi d’une augmentation de la capacité de réabsorption rénale (eau et électrolytes). La moindre souffrance de l’organisme repousse la sensation d’inconfort thermique et l’impossibilité de fournir un effort physique ou intellectuel.

Le phénomène d’acclimatation à la chaleur a été étudié chez des athlètes, mais aussi chez des sujets pratiquant une activité physique de loisir. Ces études indiquent que la vitesse d’adaptation de l’organisme dépend du nombre d’heures d’exercice quotidien sous la chaleur et de son intensité. Les recommandations pour les athlètes sont ainsi d’un à deux semaines d’exercice quotidien intensif, tandis qu’une personne qui fait environ 2 h d’exercice modéré par jour aura besoin de deux à six semaines pour être parfaitement adaptée au nouveau climat. Dans tous les cas, l’acclimatation est un phénomène progressif qui nécessite une exposition à la chaleur. Or, jusqu’à présent, lorsqu’une vague de chaleur touche une région tempérée, les conseils délivrés aux populations sont des recommandations d’éviction. L’évolution vers des messages incitant à une exposition graduelle, très prudente au début, serait pertinente pour préparer l’avenir.

À l’échelle d’une population, trois niveaux d’acclimatation peuvent co-exister. Du plus faible, chez les sujets sédentaires qui passent la majeure partie de leur temps à l’intérieur dans un environnement climatisé, au plus élevé chez des personnes qui travaillent à l’extérieur ou sont habituellement exposées à la chaleur par leur activité professionnelle. Avec l’augmentation du nombre de jours très chauds dans l’année et la banalisation des épisodes caniculaires, le sous-groupe de population le moins acclimaté sera forcément obligé d’affronter la température extérieure pour poursuivre son activité. Ces sujets sont à haut risque de stress thermique pour des niveaux de température relativement peu élevés à l’occasion, par exemple d’une interruption du trafic ou d’une panne d’électricité. Mais les personnes les mieux acclimatées ne sont pas pour autant invulnérables. La canicule qui s’est abattue en Inde en mai 2015 a fait des milliers de morts. Lors de l’Open d’Australie de janvier 2014, les champions de tennis et les ramasseurs de balles ont tous développé des symptômes plus ou moins graves, tandis que près d’un millier de spectateurs a dû être évacué pour coup de chaleur. Horaires de travail et exigences de productivité, organisation des manifestations sportives, résistance à la chaleur des infrastructures de transport notamment, le réchauffement climatique exige l’adaptation de la communauté interconnectée des hommes à l’échelle mondiale.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Hanna E, Tait P. Limitations to thermoregulation and acclimatization challenge human adaptation to global warming. Int J Environ Res Public Health 2015; 12: 8034-74.

National Centre for Epidemiology and Population Health, Research School of Population Health. Australian National University, Mills St Acton, Australie.

doi: 10.3390/ijerph1207080342