Synthèse publiée le : 12/06/2021

SYNTHÈSE :
Biodiversité et maladies infectieuses

Les maladies infectieuses accompagnent l’homme depuis toujours. Loin d’être vaincues par les progrès de la médecine, il semble même qu’elles se fassent plus nombreuses et soient responsables d’épisodes épidémiques plus fréquents au cours des dernières décennies. Il est logique de s’interroger sur le lien possible avec les mutations qui se sont accélérées en parallèle (changement climatique, modification de l’usage des terres, urbanisation, mondialisation des échanges…) et qui ont des conséquences sur la biodiversité. La crise Covid a mis en lumière les liens entre la santé humaine, animale et des écosystèmes et l’importance de l’approche « One-Health ».

Les maladies infectieuses : de la « fin des maladies infectieuses » [1] à l’« épidémie d’épidémies » [2]

Les maladies infectieuses font partie de l’histoire de l’humanité et la mémoire collective garde trace d’épidémies marquantes aux lourdes conséquences comme la Grande peste ou les maladies apportées par les colons européens aux populations amérindiennes. Les progrès de l’hygiène, le développement de l’antibiothérapie et des vaccinations ont permis le déclin de nombreuses maladies infectieuses au cours du XXe siècle, laissant espérer que cette menace pourrait « être vaincue ». Bien au contraire, de nouvelles maladies infectieuses apparaissent ou réapparaissent [1] : le Sida ou bien sûr la Covid-19 pour ne citer que deux exemples parmi les plus marquants. En parallèle, les maladies infectieuses anciennes, pour la plupart, constituent toujours une menace : le paludisme continue à concerner la moitié de la population mondiale (OMS). Depuis les années 40, à l’échelle mondiale, le nombre de maladies infectieuses émergentes a considérablement augmenté puisqu’on observe une multiplication par quatre entre les décennies 1940-1950 et 1990-2000 [3-5], une tendance à la croissance confirmée dans la décennie suivante [6]. Et non seulement leur nombre mais aussi le nombre d’épisodes épidémiques dû à chacune de ces maladies augmente, conduisant l’écologue Serge Morand à proposer le terme d’« épidémie d’épidémies ».

Des maladies considérées jusque-là comme « exotiques » ou « tropicales » font leur apparition dans le sud de la France : l’année 2018 a été marquée par une épidémie de virus West Nile (VWN) dans le sud-est, épidémie attribuée aux « changements climatiques propices à la pullulation du vecteur (moustiques du genre Culex) et d’un changement de l’épidémiologie du VWN en France, probablement du fait de l'endémisation dans la faune aviaire locale du lignage 2 du virus […] à la suite de son importation via les oiseaux migrateurs. » [7] ; en 2019, les cas de maladie à West Nile sont moins nombreux, mais plusieurs transmissions autochtones de Zika sont rapportées pour la première fois [7, 8]. Enfin, de juillet à septembre 2020, plusieurs cas autochtones de dengue ont été signalés dans des départements du sud de la France [9] ; des cas autochtones de dengue avaient déjà été rapportés dans les années précédentes.

Ces maladies « émergentes » (du moins pour la métropole) ne doivent pas faire oublier les maladies infectieuses « classiques » comme la rougeole, toujours présente en France et en Europe [7](SPILF) et bien sûr la grippe.

 

Quels sont les déterminants des maladies infectieuses ? Quel rôle pour la biodiversité ?

« L'émergence d'un nouveau phénomène infectieux est très souvent le fait d'une conjonction de plusieurs facteurs » [1]. Parmi ces facteurs, le contact homme-animal est déterminant. L’origine zoonotique de la majorité des maladies infectieuses (60,3 % selon Jones [3], 70 % selon IPBES [10]) est en effet un fait établi : variole, peste, choléra, fièvre jaune, Sida, dengue, Zika ont tous une origine animale [11] (Roche 2020) et dans la plupart des cas, ce sont des animaux sauvages qui sont en cause [3, 12].

Globalement, il semble exister un lien statistique entre le nombre total de maladies infectieuses et la richesse d’un pays en espèces d’oiseaux et mammifères. Logiquement, une biodiversité riche est aussi synonyme d’une richesse en vecteurs et réservoirs pour les agents pathogènes ([4] pour l’Europe, [13]) mais il faut se méfier d’une simplification abusive car si la présence de pathogènes est une chose, leur capacité à infecter les êtres humains et à créer des épidémies en est une autre [14]. De nombreux autres facteurs entrent en jeu.

La richesse en espèces peut être vue comme une opportunité de réduire le nombre de maladies infectieuses grâce à l’effet dit « de dilution » : parmi les nombreuses espèces présentes, certaines ne seront pas compétentes pour transmettre la maladie (espèces impasses). Ce mécanisme a fait l’objet de plusieurs études récentes ; s’il est très séduisant en théorie, son application sur le terrain se révèle plus délicate car un milieu naturel avec des paramètres multiples et des interactions nombreuses est toujours plus complexe qu’une étude en laboratoire ou une modélisation. Par exemple, entrent en ligne de compte non seulement les espèces présentes et leur nombre mais aussi la composition des communautés et la dynamique des populations [14]. Parfois, c’est le phénomène inverse, dit d’amplification, qui est observé sur le terrain [14].

Comme le soulignait le rapport du CGEDD dès 2013 et comme le démontre la crise de la Covid-19, « Le plus important n'est pas l'existence de pathogènes au sein de la faune sauvage, mais plutôt les comportements humains qui perturbent les interactions entre espèces et favorisent ainsi des liaisons entre une source lointaine et notre propre espèce qui s'avèrent parfois dangereuses ». Le State of knowledge de la CBD en 2015 [14] va dans le même sens : « ecological determinants are interfacing more and more with socioeconomic dynamics, affecting disease risks. »

Parmi ces facteurs socio-économiques, le facteur principal dont découlent tous les autres est la pression exercée par une population mondiale toujours plus nombreuse. L’espèce humaine, qui a longtemps été peu nombreuse à l’échelle de la planète (1 milliard d’habitants seulement en 1800 !) et en groupes dispersés, occupe actuellement environ 75 % des écosystèmes terrestres avec un coup d’accélérateur depuis le dernier siècle pour répondre aux besoins croissants des presque 8 milliards d’habitants actuels. Ces besoins croissants ont conduit à une déforestation accrue dans certaines parties du globe ainsi qu’au développement de l’agriculture et de l’élevage industriels. Or cette agriculture et cet élevage industriels, fort efficaces certes en termes de production, soulèvent de nombreuses questions d’un point de vue « One Health » : la fragilité des espèces « uniformisées » face aux maladies infectieuses, l’apport de nombreux intrants (engrais, médicaments) qui posent des problèmes lorsqu’ils sont rejetés dans l’environnement soit parce qu’ils sont dangereux pour la faune et la flore, soit parce qu’à terme ils posent des problèmes d’antibiorésistance pour l’homme et l’animal. Par ailleurs, les biens produits, alimentaires ou autres, sont échangés au niveau mondial dans des flux qui ont eux aussi explosé depuis 1900. Si l’on ajoute à ces facteurs un contexte de changement climatique et d’urbanisation croissante, tous les éléments sont réunis pour favoriser l’apparition de nouvelles maladies infectieuses et leur dissémination : contact avec des nouveaux agents pathogènes lors des déforestations pour changement d’usage des terres, milieu favorable à leur développement (concentration humaine, animale, végétale) et transport d’un bout à l’autre du globe via marchandises ou humains, qui voyagent par nécessité ou plaisir (le tourisme joue aussi un rôle important !).

La Convention sur la diversité biologique (CBD), dans le cadre d’un « Questions-Réponses » sur le sujet des maladies infectieuses et de la biodiversité rédigé avec l’OMS en 2020, a dressé un panorama des changements induits par l’homme avec, pour chacun, les conséquences en termes de risques et impacts sanitaires possibles. On notera que seuls des accroissements de risques sont mentionnés, à l’exception d’une réduction du risque d’onchocercose en lien avec des aménagements liés à l’eau (tableau 1).

Préserver et restaurer la biodiversité, une piste pour prévenir les futures pandémies ?

Dans le cadre d’un colloque tenu en juillet 2020 sous l’égide de l’IPBES, il a été rappelé que le nombre de virus encore inconnus ayant pour hôtes des mammifères et des oiseaux est estimé à 1,7 millions, parmi lesquels entre 631 000 et 827 000 pourraient présenter la capacité d’infecter l’être humain. Les mammifères sauvages (chauves-souris, primates…) ou domestiques (chameaux, porcs…) ainsi que les oiseaux sont les principaux réservoirs de pathogènes et sont effectivement impliqués dans toutes les épidémies récentes.

La stratégie actuelle repose essentiellement sur des mesures de santé publique une fois l’alerte lancée telles que l’abattage massif d’animaux (sauvages ou d’élevage), le confinement (animaux et humains), et bien sûr le développement et l’application de traitements et/ou de vaccins. Certaines de ces mesures, qu’il s’agisse de l’abattage ou du confinement, ont de lourdes conséquences économiques, environnementales, sociales et même psychologiques et une efficacité parfois limitée. Les experts et les principales agences impliquées dans les questions de santé humaine et animale appellent donc à mettre en place des dispositifs de prévention et d’anticipation, sur la base de mesures de protection des zones désignées comme des « hotspots » de la biodiversité. L’objectif est d’identifier les espèces réservoirs clés, les pathogènes potentiellement les plus dangereux et de réduire l’interface homme-animal [10]. Plusieurs programmes de recherche visent à mettre en place une surveillance dans les zones « chaudes » de la planète, zones qui conjuguent en général la présence d’animaux sauvages, de grandes métropoles et des animaux d’élevage qui vont avec pour en nourrir les habitants ce qui favorise les interactions humain/animal [15]. Malheureusement, ces zones sont aussi majoritairement situées dans des parties du globe où les structures sanitaires ne sont pas toujours adéquates, et le financement de cette surveillance, comme toujours, reste le problème clé. C’est pourtant bien ainsi que l’on arrivera à transformer le concept « One Health », un seul monde, une seule santé (hommes, animaux, écosystèmes), en autre chose qu’une coquille vide.

 

Covid-19 et biodiversité

Il existe des liens multiples entre COVID-19 et biodiversité. Tout d’abord, et c’est le phénomène le plus médiatisé, dans l’émergence de l’épidémie de Covid-19 [16]. Même si des zones d’ombres subsistent, l’origine de l’épidémie est liée à la proximité de l’homme avec des animaux sauvages dont il fait commerce. Les analyses effectuées montrent une identité génétique à 96 % entre le SARS-CoV-2 et un virus retrouvé chez la chauve-souris (espèce Rhinolopus affinis) qui serait probablement le réservoir primaire. Pour le passage à l’homme, après la mise en lumière, à tort, du pangolin, animal présent et vendu sur le marché de Wuhan, origine de l’épidémie, l’analyse génétique des différentes souches de virus associé à l’histoire d’autres coronavirus, montre l’implication d’un hôte intermédiaire encore inconnu dans la transmission du virus à l’homme. Par ailleurs, depuis le début de l’épidémie, de nombreux animaux ont été testés positifs (chats, chiens, furets, visons…) au SARS-CoV-2 et leur rôle comme éventuel hôte intermédiaire dans la transmission virale est encore inconnu.

Mais les liens ne s’arrêtent pas là. Des interactions sont également mises au jour concernant les symptômes et la sévérité de la maladie ainsi que sa dissémination.

Au fur et à mesure de l’avancée des connaissances scientifiques sur le virus, la place du système immunitaire devient prépondérante. On sait notamment que selon la réponse immunitaire de l’hôte, la maladie restera une infection nasale comme pour la plupart des coronavirus, ou aboutira à une infection pulmonaire généralisée du fait d’une réponse immunitaire trop faible ou de ce que l’on a appelé l’orage cytokinique lié à l’emballement de la réponse immunitaire. La pollution atmosphérique joue également un rôle sur la fragilisation des voies respiratoires et donc la sensibilisation aux infections telles que la Covid-19.

Or, de nombreuses publications pointent le lien entre immunité et activité physique, qui a elle-même un lien avec la présence et l’accessibilité à la nature et la biodiversité, ainsi qu’avec la qualité de notre alimentation notamment dans sa biodiversité. Les facteurs de risques des formes sévères de la maladie sont d’ailleurs en partie liés à une mauvaise alimentation. Notons également l’impact important de l’épidémie sur l’économie et la pauvreté et de l’insécurité alimentaire sur la perte de la biodiversité.

Par ailleurs, la littérature scientifique fait état des liens entre la composition du microbiote intestinal et Covid-19 [17], à l’instar de nombreuses autres pathologies comme le diabète, les maladies inflammatoires de l’intestin, la dépression, problèmes immunitaires… Il existerait un lien important entre microbiote intestinal, lui-même très lié à l’alimentation et la biodiversité en agriculture, et la santé pulmonaire grâce à un dialogue croisé vital entre le microbiote intestinal et les poumons appelés « axe intestin-poumon ».

Enfin évoquons l’impact des actions de gestion de la pandémie sur la biodiversité. Le confinement et son corollaire, le ralentissement des activités humaines, a eu un impact positif au niveau environnemental avec une baisse de la pollution et le retour de nombreuses espèces animales notamment dans les villes. Dans une enquête dirigée par « Plantes & Cité », la majorité des collectivités répondantes estime que l’inflexion, voire l’arrêt, des activités d’entretien et de travaux dans les espaces verts est favorable à l’expression de la biodiversité. Parmi elles, plus des trois quarts souhaiteraient faire évoluer leurs pratiques pour prolonger ces bénéfices supposés pour la biodiversité.

Cette épidémie nous a également amené à nous interroger sur nos besoins et nos modes de vies, notamment en termes de transport. A nous de profiter de ces événements pour redessiner notre modèle économique pour plus de durabilité.

 

Tableau 1. Exemples de changements environnementaux induits par l’homme affectant l’émergence, l’occurrence ou le risque de maladies infectieuses

(https://www.cbd.int/health/doc/qa-infectiousDiseases-who.pdf)
Traduction S. Billot Bonef, et F. Wallet

 

Références

[1] Desenclos JC, De Valk H. Les maladies infectieuses émergentes : importance en santé publique, aspects épidémiologiques, déterminants et prévention. Med Mal Infect 2005 ; 35 : 49-61.

[2] Morand S. Emerging diseases, livestock expansion and biodiversity loss are positively related at global scale. Biological Conservation 2020 ; 248 : 108707.

[3] Jones KE, Patel NG, Levy MA, Storeygard A, Balk D, Gittleman JL, Daszak P. Global trends in emerging infectious diseases. Nature 2008 ; 451 : 990-93.

[4] Morand S, Waret-Szkuta A. Les déterminants des maladies infectieuses humaines en Europe: influences de la biodiversité et de la variabilité climatique. BEH 2012 ; 12-13 : 156-9.

[5] Conseil général de l'environnement et du développement durable. Les liens entre santé et biodiversité. Paris : Conseil général de l'environnement et du développement durable, 2013.

[6] Smith KF, Goldberg M, Rosenthal S, Carlson L, Chen J, Chen C, Ramachandran S. Global rise in human infectious disease outbreaks. J R Soc Interface 2014 ; 11 : 20140950.

[7] SPILF Emergences. Bulletin de veille épidémiologique REB. Décembre 2019. Consulté le 11 mai 2021 sur : https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/emergences/vigilance-reb-1912-pour-site-vf.pdf

[8] ECDC. Communicable disease threats to public health in the European Union. Annual Epidemiological Report for 2019. Solna : ECDC, 2020.

[9] Santé publique France. Chikungunya, dengue et zika - Données de la surveillance renforcée en France métropolitaine en 2020. 30 novembre 2020. Consulté le 11 mai 2021 sur : https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-a-transmission-vectorielle/chikungunya/articles/donnees-en-france-metropolitaine/chikungunya-dengue-et-zika-donnees-de-la-surveillance-renforcee-en-france-metropolitaine-en-2020

[10] IPBES. Workshop Report on Biodiversity and Pandemics of the Intergovernmental Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. Bonn : IPBES, 2020.

[11] Roche B, Garchitorena A, Guégan JF, et al. Was the COVID-19 pandemic avoidable? A call for a “solution-oriented” approach in pathogen evolutionary ecology to prevent future outbreaks. Ecology Letters 2020 ; 23 (11).

[12] Allen T, Murray KA, Zambrana-Torrelio C, et al. Global hotspots and correlates of emerging zoonotic diseases. Nat Commun 2017 ; 8 : 1124.

[13] Morand S, Lajaunie C. Biodiversité et santé. Les liens entre le vivant, les écosystèmes et les sociétés. ISTE Editions, 2018.

[14] Convention on Biological Diversity and World Health Organization. Connecting Global Priorities: Biodiversity and Human Health, a State of Knowledge Review. Montréal, Genève : Convention on Biological Diversity, World Health Organization, 2015.

[15] Walsh MG, Sawleshwarkar S, Hossain S, Mor SM. Whence the next pandemic? The intersecting global geography of the animal-human interface, poor health systems and air transit centrality reveals conduits for high-impact spillover. One Health 2020 ; 11 : 100177.

[16] Rondeau D, Perry B, Grimard F. The Consequences of COVID-19 and Other Disasters for Wildlife and Biodiversity. Environ Resource Econ 2020 ; 76 : 945-61. https://doi.org/10.1007/s10640-020-00480-7

[17] Dhar D, Mohanty A. Gut microbiota and COVID-19- possible link and implications. Virus Res 2020 ; 285 : 198018.https://doi.org/10.1016/j.virusres.2020.198018