Synthèse publiée le : 12/06/2021

SYNTHÈSE :
Méthodologie de construction
d’indicateurs santé-environnement
pour l’aide à la décision

Les données environnementales sont le reflet de la qualité des milieux environnementaux et peuvent permettre la constitution d’indicateurs d’impact sanitaire pour orienter des politiques publiques de gestion du risque.

 

Le besoin d’indicateurs pour éclairer la décision

L’objectif recherché à travers la construction ou l’analyse d’indicateurs est la représentation simplifiée d’un ou plusieurs phénomène(s) sur une échelle relative à partir d’informations chiffrées conformément à un ou plusieurs critère(s) d’appréciation [1]. Les indicateurs sont des moyens pratiques de communiquer des informations scientifiques et techniques à différents groupes d'utilisateurs, d'enrichir le débat public et de transformer l'information en action. Les indicateurs en santé-environnement sont développés pour évaluer les impacts de façon globale des décisions en matière de gestion des risques environnementaux, pour faciliter le suivi et la surveillance à long terme en santé-environnement ou pour orienter les décisions relatives à la santé ou à l'environnement [2]. Le Plan National Santé Environnement (PNSE) constitue un cadre de programmation de l’action gouvernementale à travers l’identification d’actions à engager visant à prendre en compte la santé environnementale dans les politiques publiques de façon pérenne. Les travaux de l'Inspection générale des affaires sociales et du Conseil général de l'environnement et du développement durable doivent pouvoir se baser sur la construction d’indicateurs pertinents pour permettre l’évaluation des différents PNSE. Les données environnementales sont le reflet de la qualité des milieux environnementaux et peuvent permettre la constitution d’indicateurs d’impact sanitaire pour orienter des politiques publiques de gestion du risque.

 

Ce que l’on veut mesurer

Deux principales dimensions peuvent être caractérisées pour décrire l’impact des activités anthropiques sur la santé :

  • l’« exposition » des populations qui comprend l’ensemble des informations caractérisant une contamination et pouvant renseigner directement ou indirectement sur un niveau du continuum source-vecteur-cible du schéma conceptuel de l’exposition.

Par exemple, les quantités de substances toxiques rejetées par les sources de pollution, peuvent être utilisées comme indicateur d’exposition. D’autres indicateurs représentant des concentrations de contaminants dans les différents compartiments (air, eau, sol) ont été largement utilisésdans différentes études. Le compartiment atmosphérique est celui qui est le plus souvent considéré notamment en épidémiologie environnementale. Cependant, ce type d’indicateurs ne reflète pas la réelle exposition des individus et reste limité pour caractériser les risques pour la santé humaine. En effet, l’exposition réelle des individus dépend des relations entre l’individu et les médias d’exposition, par exemple la provenance des aliments, le temps passé dans la zone d’étude, les milieux intérieurs...

L’analyse de biomarqueurs spécifiques permet une mesure directe de l’exposition totale d’un individu aux polluants de l’environnement, intégrant les différentes sources et voies d’exposition. De telles analyses sur des échantillons représentatifs sont lourdes, coûteuses et techniquement difficiles pour caractériser l’exposition à des résolutions spatiales fines et à l’échelle de larges territoires. L’élargissement de la notion d’exposition environnementale lié à l’émergence du concept d’exposome et sa prise en compte dans les politiques publiques impliquent une caractérisation plus large des pressions environnementales.

  • Des impacts sur la santé plus indirects peuvent être le fruit de dégradation de la qualité de l'environnement autre que « chimique », les menaces, immédiates ou différées, pour les écosystèmes ou les populations, la limitation de l’accès aux ressources, les sources de stress provoquées par un environnement dégradé ou par des activités polluantes.

Moins directement quantifiables, ces indicateurs environnementaux peuvent être principalement estimés par l’utilisation de données de géolocalisation de sources polluantes pour construire des indicateurs de proximité. La présence, l’absence ou le nombre de sites pollués ou de sources de pollution est l’indicateur le plus simplifié. Un simple comptage du nombre de sites peut dissimuler de grandes variations des impacts réels et potentiels. Le nombre de sites peut être pondéré par une estimation de l’importance du site par rapport à un impact qu’il engendre.

Généralement les effets sanitaires de multiples stresseurs environnementaux sur des populations ou des écosystèmes plus ou moins vulnérables sont méconnus. Les approches d'évaluation des risques sanitaires, source par source, et voie d’exposition par voie d’exposition, ne sont pas adaptées à l'évaluation des impacts au niveau populationnel d’un ensemble de stresseurs environnementaux. Des outils méthodologiques comme l’évaluation des risques cumulatifs [3] peuvent alors être développés pour organiser et analyser les informations scientifiques pertinentes afin d'examiner, caractériser et quantifier, autant que possible, les effets combinés sur la santé humaine d’un ensemble de facteurs de stress environnementaux agrégés et cumulés.

 

Des données à mobiliser

Les indicateurs reposent sur l’accessibilité de données représentatives de qualité. L’existence d’un système de production de données structuré constitue bien souvent le levier pour une évaluation fiable du phénomène à caractériser.

Les bases de données disponibles ont été construites selon des logiques et des modèles répondant à des besoins et des contraintes spécifiques (surveillance de la qualité de l’environnement, application de la réglementation, alerte…). Dans le cadre d’une réutilisation de ce type de données dans un objectif de construction d’indicateur, une base de données de travail doit être mise en place dans laquelle seront intégrées les variables après traitement dans un Système d’Information Géographique (SIG) pour les approches spatialisées.

Les travaux de préparation du PNSE 4 ont été initiés début 2018, avec, notamment, une mission confiée à l’Ineris, l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (ANSES) et Santé Publique France (SPF) par la Direction Générale de la Prévention des Risques (DGPR) et la Direction Générale de la Santé (DGS) concernant les données environnementales et de santé disponibles. Il s’agissait de recenser les bases de données existantes et les modalités d’exploitation pertinentes pour guider la démarche de choix et d’élaboration d’indicateurs d’impact et de suivi du PNSE 4 [4].

 

Exemples d’approches existantes

En santé, le QALY (année de vie pondérée par la qualité) décrit une mortalité et une morbidité supplémentaires attendues d’un impact quantifié. Un QALY se définit comme une année de vie passée en parfaite santé. Une année de vie ajustée sur l'incapacité (DALY) associée à une maladie ou un état tient compte des années de vie perdues en raison d'un décès prématuré (mortalité) et des années de vie en bonne santé perdues en raison de l'incapacité (morbidité). Une DALY peut être considérée comme une année perdue de vie « saine ». Ce type d’indicateur semble intéressant pour quantifier objectivement un ensemble d’impacts. Toutefois, il n’y a que très peu de dose-réponses disponibles permettant des estimations de QALY et DALY pour les facteurs de stress environnementaux. L'IHME (Institute for Health Metrics and Evaluation) produit des estimations du fardeau environnemental à l’échelle mondiale permettant de partiellement prioriser les facteurs environnementaux. Les indicateurs existants sont actuellement limités dans leur capacité à décrire les effets sanitaires combinés au vu des problèmes de connaissances et de l’incertitude liées aux données disponibles. Les méthodologies de combinaison des indicateurs sont souvent basées sur des règles subjectives. Dans un contexte d’incertitude et de manque de données ne permettant pas la caractérisation fine du continuum source-environnement-exposition-impact, des simplifications sont réalisées sur l’ensemble de la chaîne de traitement de données. Deux visions s’affrontent sur la pertinence d’agréger mathématiquement des variables de natures différentes pour construire des indicateurs composites [1]. La première vision est favorable à la simplification d’ensemble de phénomènes complexes dans un objectif de représentation et dans un contexte d’incertitude. Tandis que la deuxième considérant que le produit final n’a aucune signification statistique, préfère rassembler une série limitée d'indicateurs dans un « tableau de bord » couvrant des dimensions multiples et donnant une vision à la fois riche et synthétique d’indicateurs santé-environnement.

L'espérance de vie d’une population reflète les interactions entre les facteurs environnementaux, génétiques, comportementaux, sociaux et économiques. Il n'est pas possible d’utiliser directement cet indicateur pour estimer l’impact sanitaire associé aux facteurs de risque environnementaux. Des indicateurs de santé très spécifiques peuvent néanmoins être suivis avec l’hypothèse d’une prédominance des facteurs environnementaux comme déterminant.

Les inégalités environnementales de santé font référence à un impact environnemental qui est réparti de manière disproportionnée ou inéquitable entre les groupes sociaux ou territoires les plus vulnérables. Les approches spatiales facilitant le croisement des données, la prise en compte de la dimension territoriale dans la construction des indicateurs devient essentielle pour des démarches plus holistiques [5].

 

Conclusion

La dégradation de l’environnement impacte directement la santé humaine mais également les fonctions écosystémiques nécessaires à la soutenabilité des économies et au bien-être des populations. Au-delà du constat de l’interdépendance étroite entre la santé humaine et les écosystèmes, le concept One Health implique le besoin de développer des approches intégrées pour caractériser ces interrelations.

Le 4e PNSE a l’ambition d’assurer la visibilité des enjeux sanitaires sur les territoires, le suivi des impacts territorialisés sur la base d’indicateurs régulièrement mis à jour, permettant ainsi d’appréhender l’amélioration de la santé-environnement. Des premiers travaux ont permis d’aboutir à une proposition d’un indicateur composite de qualité des environnements pour la population à travers la description des différentes étapes de construction découlant des choix d’un groupe de travail sur la chaîne de traitement de données : le développement du cadre théorique, la sélection des variables, la construction des indicateurs, la normalisation des données, le regroupement et la pondération des indicateurs puis les études de sensibilité.

Treize indicateurs environnementaux ont été proposés [6] pour décrire les deux grandes dimensions de l’indicateur composite : les indicateurs d’exposition et les indicateurs d’« effets environnementaux » décrivant la dégradation de l'environnement/écosystème et les menaces pour l'environnement/population, immédiates ou différées, la limitation de l’accès aux ressources, les sources de stress potentiel lié à des situations de pollution ou de nuisances. Ils constituent une première démarche qui sera consolidée à moyen et long termes.

 

Références

[1] Nardo M, Saisana M, Saltelli A, et al. Handbook on Constructing Composite Indicators. Methodology and User Guide. OECD Statistics Working Paper, 2008.

[2] World Health Organization. Environmental Health Indicators: Framework and Methodologies. Geneva : World Health Organization, 1999.

[3] Concepts, Methods and Data Sources for Cumulative Health Risk Assessment of Multiple Chemicals, Exposures and Effects: A Resource Document (EPA/600/R-8 06/014F); National Center for Environmental Assessment, Office of Research and Development, U.S. Environmental Protection Agency: Cincinnati, OH, USA, 2007.

[4] Caudeville J. Inventaire des bases de données nationales environnementales et spatialisées. Mise à jour dans le cadre de la préparation du PNSE 4. INERIS-DRC-18-152407-11231D, 2018.

[5] Caudeville J. Operationalizing the Health-Environment Nexus: Measuring Environmental Health Inequalities to Inform Policy. In: Laurent É. (eds) The Well-being Transition. Palgrave Macmillan, Cham, 2021. https://doi.org/10.1007/978-3-030-67860-9_6.

[6] Caudeville J. Construction de l’indicateur de qualité des environnements pour la population. Restitution de la méthodologie élaborée par le groupe de travail sous l’égide du GT3 « données, indicateurs » de préfiguration du PNSE4. Ineris-20-201069-2574515-1.0, 2020.