Synthèse publiée le : 28/05/2018

SYNTHESE : Changement climatique, perte de biodiversité et santé

Le changement climatique est un facteur de perte de biodiversité et, de ce fait, de dégradation de la santé humaine, mais, parmi bien d’autres facteurs (comme le développement du transport international) ; or, la biodiversité peut limiter les effets de ce facteur et des autres, en faveur de la santé humaine.

 

Biodiversité, ou fonctionnement du vivant

Avant tout, qu’entend-on par biodiversité ? Je propose la définition suivante de ce terme très récent[1] (proposé par un chercheur américain, Edward O. Wilson, lors d’un colloque international en 1986 : National Forum on Biological Diversity, organisé par le National Research Council, aux États-Unis) : sur toute la Terre ou dans un espace donné, l’ensemble de la diversité des êtres et associations d’êtres qui y vivent, humain compris, et de leurs interrelations, cet ensemble étant considéré comme une entité évolutive – elle conditionne la perpétuation et l’adaptation du vivant – et fonctionnelle – elle régule les processus nécessaires à la vie (les cycles de l’eau et des éléments chimiques, le climat, le renouvellement des sols, etc.) ; en somme, le vivant et son fonctionnement, depuis 3,8 milliards d’années (un sacré laboratoire !).

Deux éléments essentiels à retenir :

  • à chaque reproduction, le nouvel être, du fait du hasard des recombinaisons d’ADN, est légèrement différent. Et, l’environnement va induire ou non la survie : si cette adaptation n’est pas viable, l’être disparaîtra, mais, surtout, il ne se reproduira pas. Inversement, si l’environnement lui prête vie, le nouvel être transmettra ses gènes. Si un moustique survit au dichlorodiphényltrichloroéthane, sa descendance y résistera, et les autres moustiques tués n’auront pas de descendance. Si une bactérie survit à un antibiotique, sa descendance sera antibiorésistante ;
  • l’environnement, ce sont justement ces multiples interrelations, notamment de proie à prédateur, d’hôte à pathogène. Des êtres ont su survivre à des agressions de bactéries, développant diverses stratégies, comme l’émission de toxines ou de principes actifs divers, etc. Et ces ensembles d’interrelations constituent des écosystèmes, y compris en et sur nous : ce sont nos microbiotes intestinaux, vaginaux, etc.

Enfin, l’être humain est un être vivant. Notre santé physique est donc directement liée au bon fonctionnement de notre physiologie, mais aussi à nos interrelations avec notre environnement, notamment les milieux naturels et autres êtres vivants. Notre santé dépend directement de la biodiversité.

 

Le changement climatique impacte et est impacté par la biodiversité

Après la dernière glaciation, les chênes sont peu à peu « remontés » vers le nord, atteignant la Scandinavie environ 6 000 ans plus tard, donc à la vitesse d’environ 300 à 500 m par an. Il est clair donc que le changement climatique va induire des évolutions, mais elles impacteront différemment les espèces, suivant leurs capacités à évoluer et s’adapter. Certaines, trop inféodées à un écosystème ne survivront pas, d’autres au contraire profiteront des opportunités nouvelles. Un récent rapport de l’Académie des sciences [1] note ainsi que « les capacités d’adaptation individuelle par plasticité (par exemple de la physiologie ou du calendrier de reproduction) et l’adaptation génétique (par sélection) au changement climatique varient fortement selon l’organisme considéré : les organismes les plus spécialisés et à la démographie la plus lente sont les moins capables de telles adaptations. » Cependant, les constats actuels ne sont globalement pas probants : la remontée vers le nord de la chenille processionnaire, par exemple, est plus à imputer à la poursuite de l’enrésinement volontaire de nos forêts qu’à une hausse de la température.

Inversement, il est bon de rappeler la merveille de la biodiversité végétale, qui utilise l’énergie solaire (les rayons nous arrivant en permanence et pour encore longtemps) pour absorber le carbone de l’atmosphère et créer du vivant. La photosynthèse est un facteur majeur de capture et de séquestration du carbone. Mais si l’on détruit les plantes, en particulier les forêts tropicales à pousse rapide et dense, ou le plancton végétal des océans, on détruit ce moteur permanent.

Mais, au-delà, la biodiversité atténue les effets du changement climatique : les forêts de montagne évitent ou ralentissent ravinements, ruissellements torrentiels et inondations ; les mangroves encaissent et limitent les vagues des submersions marines résultant de cyclones, etc. Dans tous ces cas, le nombre de victimes humaines de ces catastrophes sont donc limitées.

Les deux conséquences majeures du changement climatique sur la santé humaine les plus régulièrement invoquées sont l’accroissement du nombre des victimes de catastrophes naturelles, avec une fréquence et une intensité accrue (pluies intenses, cyclones, vents et tempêtes) et le développement de maladies infectieuses, soit anciennes mais « remontant » des zones tropicales vers les zones tempérées (comme la dengue), soit « émergentes »

En fait, les chercheurs considèrent que la recrudescence et l’expansion des maladies infectieuses résultent, d’une part, des pressions humaines sur les écosystèmes [2] (sous deux aspects : comme la destruction de forêts, ou comme les contacts nouveaux des humains avec des pathogènes existants dans ces forêts : installations de villages ou créations de routes dans des forêts tropicales), d’autre part dans la mondialisation, avec les déplacements continuels de personnes (tourisme, émigrations, etc.) et de biens [3]. Des espèces animales (moustiques, guêpes asiatiques, etc.) ou végétales (ambroisie) peuvent transiter par avion ou par bateau. Les effets du changement climatique sur les liens santé/biodiversité ne sont donc pas vraiment marqués [4], et semblent bien moindres que les effets des pratiques humaines destructrices de la biodiversité. De plus, la biodiversité constitue elle-même un facteur majeur d’atténuation du changement, et elle est utile à notre adaptation à ce phénomène.

 

La biodiversité impacte et est impactée par la santé

Serge Morand rappelle [5] qu’il existe « une corrélation positive entre la richesse en espèces d’oiseaux et de mammifères et la richesse en maladies parasitaires et infectieuses des populations humaines ... ». Mais, tout parasite a coévolué avec les défenses ou les prédations d’autres espèces. Ainsi, on trouve d’autant plus de principes actifs, nous permettant de découvrir de nouveaux médicaments, qu’il y a justement une biodiversité riche. En revanche, la réduction ou destruction de la biodiversité peut se traduire notamment par deux situations distinctes : l’isolement local d’un parasite sans la (ou les) espèces lui résistant efficacement ou même prédatrices de ce parasite ; la transplantation d’un parasite hors de son environnement (par exemple par transports) avec l’absence, à l’arrivée dans le nouvel environnement, d’organismes résistants ou d’un prédateur. Dans les deux cas, ceci peut se révéler porteur de conséquences graves.

De plus, il est généralement constaté qu’une grande diversité des espèces d’hôtes potentiels limitent fortement la dispersion, la survie d’un parasite ou pathogène : c’est ce qu’il est convenu d’appeler « l’effet dilution ». Il a pu être assez bien démontré lors de la survenue il y a quelques années de la fièvre du Nil occidental (West Nile), qui avait tué des centaines de personnes en Israël, puis est arrivé, porté par des moustiques, par avion, sur la côte Est des États-Unis : sa dispersion par le sud et les grandes plaines, où subsistent fort peu d’espèces d’oiseaux, a été rapide, le virus s’adaptant vite, alors que sa progression vers l’ouest par le nord a été fortement ralentie, du fait d’un grand nombre d’espèces d’oiseaux, certaines non « compétentes » pour le virus et devenant, pour lui, des « culs de sac ».

Il est utile de rappeler les effets bénéfiques pour la santé psychique et mentale d’un côtoiement d’une biodiversité saine, ce qui a d’ailleurs amené des médecins, comme la docteure Thérèse Jonveaux, du CHU de Nancy, à créer et promouvoir la création de jardins thérapeutiques dans les établissements de santé, avec des effets tant pour les patients (notamment ceux subissant des troubles cognitifs) que pour les soignants.

Mais, en retour, nos pratiques médicales impactent la biodiversité, tant par les résidus de médicaments répandus dans les effluents hospitaliers et urbains, que par les pratiques d’entretien et nettoyage des établissements de santé. Les rejets, par exemple, d’antibiotiques (environ 700 tonnes consommés en France en médecine humaine, et 500 en médecine vétérinaire), malgré leur dilution le long des cours d’eau, mais avec des concentrations dans les sols et les biofilms, génèrent la prolifération de bactéries antibiorésistantes. L’effet boomerang est terrible et menace notre capacité à soigner des maladies infectieuses que nous croyions avoir vaincues.

Mais un autre aspect des relations entre antibiorésistance et milieux naturels est beaucoup moins connu, et rarement cité : les agressions des milieux par divers éléments (biocides, pesticides, métaux lourds) provoquant des résistances croisées, c’est-à-dire l'émergence et la diffusion de bactéries antibiorésistantes par adaptation/évolution liées aux agressions précitées [6]. Ce dernier aspect reste insuffisamment exploré. L'ANSES y travaille de plus en plus, sous le pilotage d’un chef de projet, Jean-Yves Madec. Les vecteurs de transmission à l'humain sont dès lors multiples (sols, eaux et biofilms, faune sauvage, faune domestique, etc.) et avec des transmissions à l'humain. Les changements de pratiques au sein de près de 500 établessements de santé en France, avec l’arrêt de l’usage de détergents au profit d’un nettoyage mécanique et à la vapeur, se traduisant par une baisse significative de la prévalence d’antibiorésistances dans les effluents, à l'initiative du docteur Carenco [7], médecin hygiéniste, au centre hospitalier de Hyères (Var), donnent des éléments très intéressants. 

 

Comprendre pour agir

Les erreurs passées doivent nous rendre circonspects et nous inciter à avoir des approches scientifiques.

Il y eut un temps où, pour limiter la progression de la rage en France, le ministère de l’Agriculture décida d’éliminer les renards, considérés comme les propagateurs de cette zoonose. Or, de par son éthologie, avec une répartition territoriale, la blessure d’un renard attirait ses congénères pour prendre son territoire, avec bagarres, morsures ; de même, si le renard était tué, les voisins venaient vite vérifier, et mordre le cadavre, avant de s’emparer de son territoire ; dans les deux cas, la rage bondissait vers les nouveaux venus, et la campagne d’élimination s’est vite traduite par une expansion accélérée de la rage, sans parler d’une explosion des populations de rongeurs moins prédatés, détruisant massivement des récoltes, et eux-mêmes porteurs d’autres parasites, sans parler du champ libre pour les chiens errants, tout autant porteurs de la rage. Nos voisins suisses optèrent avec succès pour la vaccination de masse, en répandant des boulettes de viande traitées, touchant et immunisant donc tous les carnivores, et stoppant ainsi net cette zoonose.

Il est donc utile, dans le respect d’un principe international reconnu One World, One Health, d’avoir, comme le préconise Serge Morand [8], des approches intégratives économie/climat/biodiversité/santé. Le récent rapport de l’Académie des sciences [1] recommande : « … le rapprochement des recherches de santé publique et d’écologie des pathogènes et des vecteurs doit être accéléré. » Et ceci est conforme à l’engagement de la France, lors de la COP XII de la convention pour la diversité biologique, en octobre 2014, de s’associer à la recommandation sur la santé et la biodiversité, tendant en particulier à « encourager … à promouvoir la coopération au niveau national entre les secteurs et agences responsables de la biodiversité et ceux responsables de la santé humaine[2] », et à la déclaration finale de la conférence nationale à Lyon quelques jours plus tard [4].

Une amélioration de la santé des populations sur un territoire nécessite donc un cadre d’analyses, puis d’actions, sur les deux champs de la santé des milieux naturels et de la santé humaine. Elle nécessite aussi d’y inscrire une participation communautaire citoyenne, à l’échelle des territoires, territoires de vie aux dimensions perceptibles pour les populations et qui représentent des espaces coconstruits, partagés et garantissant bonne santé et bien-être, en y incluant les dimensions sociales et économiques.

Pour les analyses, il importe de rechercher des indicateurs simples et pertinents de caractérisation de l’état d’un milieu naturel (par mesures dans les sols, les plantes ou les animaux sauvages sentinelles de ces états), en s’inspirant des pratiques et indicateurs dans les milieux aquatiques (cf. la teneur en nitrates dans les eaux) :

  • état sanitaire : teneurs en agents pathogènes (E. coli, autres bactéries fécales, algues toxiques…), bactéries antibiorésistantes, protozaires parasites comme T. gondii
  • état écologique : diversité et hétérogénéité spatiale (dont infrastructures écologiques, comme les haies, etc.), fonctionnement des écosystèmes, agressions, polluants, etc. ;
  • en parallèle, se donner des grilles d’analyses sur la base d’indicateurs pertinents des états de santé et de bien-être en territoire, et en comparant entre territoires :
  • état sanitaire : maladies, notamment infectieuses ; teneurs (sang, urine, etc.) en polluants (polychlorobiphényles [PCB], pesticides, …), antibiorésistance, en bactéries pathogènes, etc.
  • relations avec les milieux naturels : lieux de résidences, usages des milieux et des habitats et de leur fréquentation/exposition, etc.

Or, il existe des outils prônés par les ministères en charge de la Santé et de l’Environnement, qui pourraient assurer le cadre de la mobilisation :

  • les contrats territoriaux de santé, portés par des collectivités territoriales en liaison avec les ARS certains intégrant déjà certains aspects liés à l’environnement (comme celui de Valence/Drôme) ;
  • les atlas de la biodiversité communale (ou ABC) ;
  • le développement de cohortes de patients, et pour lesquelles certaines, en y incluant des indicateurs supplémentaires, pourraient répondre à certains questionnements, tout en réfléchissant au recrutement d’autres cohortes plus appropriées à certains contextes territoriaux.

Ainsi, avec Jean-François Guégan, je propose donc, sur trois niveaux, autour d’une entrée « territoire » sur le lien santé et bien-être/biodiversité :

  • d’engager des recherches, puis un travail de définition d’indicateurs permettant de caractériser la « qualité » sanitaire des milieux naturels (en s’inspirant des approches de bon état écologique des milieux aquatiques) ;
  • d’examiner l’ouverture d’un volet santé dans les Atlas de biodiversité communale, et d’un volet écologique dans les contrats territoriaux de santé ;
  • de développer de nouvelles cohortes de patients, ou inclusion dans certaines déjà existantes, orientées territoires comme objet d’études et de suivi, alors que les approches sont actuellement préférentiellement sujet-orientées (ex. contaminants en population avec un recrutement sur plusieurs territoires).

 

Liens d’intérêts : aucun

 

Références

[1]   Lavorel S, Lebreton JD, Le Maho Y. Les mécanismes d’adaptation de la biodiversité aux changements climatiques et leurs limites, Académie des Sciences, 2017.

[2]   Guégan JF. Une grande partie des maladies émergentes résultent des pressions humaines sur les écosystèmes. Sciences et avenir 2016, 86-8. http ://www.pourlascience.fr/ewb_pages/a/article-maladies-emergentes-une-grande-part-resulte-des-pressions-humaines-sur-les-ecosystemes-37771.php

[3]   Smith KF and Guegan JF. Changing geographic distributions of human pathogens. Annu Rev Ecol Evol Syst 2010 ; 41 : 231-50.

[4]   Conférence nationale « Notre santé dépend-elle de la biodiversité ? », Vetagro-Sup, 2014, atelier A – le changement climatique induit-il une aggravation des maladies infectieuses ? http ://sante-biodiversite.vetagro-sup.fr/?page_id=507

[5]   Morand S. La prochaine peste, une histoire globale des maladies infectieuses, Fayard, 2016.

[6]   Carlet J, et al. Rapport à la ministre de la Santé « tous ensemble, sauvons les antibiotiques / propositions du groupe de travail spécial pour la préservation des antibiotiques », juin 2015 http ://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_antibiotiques.pdf

[7]   Carenco Ph, et al. Usage raisonné des détergents et des désinfectants pour l'entretien des locaux en EMS (hors épidémie), Bulletin Cclin-Arlin-Informations
du réseau national de prévention des infections associées aux soins, N°2, mars 2016,
http ://www.cpias.fr/bulletin/2016/02/02-une.html

[8]   Morand S, Lajaunie C. Linking Life, Ecosystems and Societies, ISTE Press - Elsevier , 2017, https ://www.elsevier.com/books/biodiversity-and-health/morand/978-1-78548-115-4

 

Pour en savoir plus

Site du Docteur Jonveaux

https://lebonheurestdanslejardin.org/tag/therese-jonveaux/

Recommandation de la COP XII

https://www.cbd.int/recommendation/sbstta/default.shtml?id=13339

Contrats territoriaux de santé

http://sante.decisionpublique.fr/organisation-de-loffre-de-soin

Atlas de la biodiversité communale (ou ABC)

http://www.developpement-durable.gouv.fr/L-Atlas-de-la-biodiversite.html

 

 

Notes :

[1] Au niveau international, on s’en tient à la notion plus restreinte de « diversité biologique ».

[2] Texte original en anglais : « Encourages Parties and other Governments to promote cooperation at the national level between sectors and agencies responsible for biodiversity and those responsible for human health »