Synthèse publiée le : 01/11/2024

SYNTHÈSE :
Changement climatique et santé : de la prise de conscience à l’action ?

Bien que les impacts du changement climatique sur la santé soient de plus en plus visibles et suscitent un intérêt croissant, il est dorénavant indispensable de renforcer la production de connaissances et la mise en œuvre d’actions d’adaptation et d’atténuation efficaces.

 

Contexte

Si les liens entre changement climatique et santé sont conceptualisés depuis les années 1980, ils ont trouvé jusqu’à récemment un écho trop limité dans la communauté scientifique et auprès des décideurs. Malgré les conclusions des rapports successifs du groupe intergouvernemental d’experts sur le climat (Giec) et le plaidoyer de l’organisation mondiale de la santé (OMS), les liens entre climat et santé ont été jusqu’à présent peu pris en compte dans les politiques climatiques nationales et internationales, et peu étudiés par les chercheurs. Le manque de travaux est encore plus criant sur les liens entre biodiversité et santé. La pandémie de Covid-19, la multiplication d’événements climatiques extrêmes, dont certains sans équivalent historique, et la prise de conscience de la gravité de la situation conduisent aujourd’hui un nombre croissant de chercheurs et d’institutions à s’interroger sur leur rôle face à la crise climatique et à la crise de la biodiversité. Cependant, l’examen de la littérature montre encore un faible nombre d’articles au regard de l’importance et de la complexité du sujet, et une surreprésentation des éditoriaux par rapport aux études originales. Ceci interroge sur la volonté et sur les moyens réellement alloués à la communauté scientifique pour aborder ces sujets. Il est remarquable de constater qu’un risque connu depuis les années 1950, faisant l’objet de travaux intensifs depuis la création du Giec en 1988 et d’accord internationaux depuis la mise en place de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 1992, génère in fine une faible mobilisation de la communauté de santé publique.

Les évolutions climatiques observées et prévues en l’absence d’actions fortes sont désormais qualifiées de risque existentiel par le Giec et par l’OMS (2022) et « d’alerte rouge » par l’Organisation mondiale de la météorologie (2024).

L’Association internationale des agences de santé publique (IANPHI) a pourtant explicitement exprimé que l’action climatique était une action de santé publique, mais également que les outils et méthodes de la santé publique pourraient aider à mettre en œuvre des politiques d’adaptation (réduction des effets négatifs du changement climatique) et d’atténuation (réduction des émissions de gaz à effet de serre et augmentation des puits de carbone) favorables à la santé et à la réduction des inégalités.

 

État des connaissances et apports marquants de 2023

Le 6erapport du Giec publié en 2023 synthétise 7 ans de travaux autour des questions de science du climat, d’impacts, d’adaptation et d’atténuation [1]. Le changement climatique est sans équivoque dû aux activités humaines, et en particulier à l’utilisation des énergies fossiles. Si les conclusions et recommandations de ce 6rapport sont cohérentes avec les 5 rapports précédents, il met en évidence des impacts plus graves que précédemment anticipés, en particulier via la multiplication d’événements météorologiques extrêmes ayant des conséquences dramatiques sur la santé humaine mais également sur les écosystèmes (y compris des mortalités massives d’espèces et des modifications irréversibles de certains écosystèmes). Ces événements sont observés alors que le réchauffement de la température moyenne de la terre est de 1,1 °C par rapport à l’ère préindustrielle, et dépassent pour certains les capacités d’adaptation des écosystèmes naturels et des sociétés humaines. Or, avec les politiques climatiques actuelles, les modèles climatiques prédisent un réchauffement de l’ordre de 3,2 °C à la fin du siècle.

Le Giec montre également que des politiques plus ambitieuses, impliquant des transformations rapides et profondes des sociétés et des modes de vie, permettraient de maintenir le réchauffement à 2 °C voir 1,5 °C. Ceci nécessite notamment une réduction très importante de l’utilisation des énergies fossiles, mais également des mesures fortes de protection et de restauration des écosystèmes naturels. Ces actions auraient des répercussions positives pour la santé, en agissant sur des déterminants fondamentaux de la santé publique (qualité de l’air, alimentation, sédentarité et activité physique). Le Giec détaille ainsi de nombreuses solutions permettant d’agir de manière conjointe sur la crise climatique, la crise de la biodiversité et la réduction des inégalités, et conclut que les obstacles à leur mise en œuvre sont avant tout d’ordre psychologique et politique.

En termes d’événements climatiques extrêmes, 2023, dans la suite de 2022, est une illustration marquante du contenu du rapport du Giec : vagues de chaleur, inondations et sécheresses meurtrières, feux de forêt, événements évoluant rapidement et prenant en défaut les systèmes de protection mis en place. Aucune zone de la terre n’est épargnée. Le bilan 2023 de l’Organisation météorologique mondiale sur les services climatiques conclut que la rapidité et l’intensité des évolutions climatiques observées pourraient déjà remettre en question les progrès des dernières décennies en matière de santé, en particulier pour les communautés les plus vulnérables [2]. Ce bilan souligne également que la chaleur extrême est l’aléa climatique générant les impacts sanitaires les plus importants (en termes de mortalité, et recours aux soins notamment), mais que seule la moitié des pays du monde dispose aujourd’hui de systèmes d’alerte et de prévention, montrant le retard pris dans la mise en œuvre de politiques d’adaptation. Les risques liés à la chaleur et les options d’adaptation possibles (collaboration entre services météorologiques et sanitaires, systèmes d’alerte précoces, information du grand public, formation des professionnels de santé, réduction des îlots de chaleur urbains, méthode pour réduire la température dans les bâtiments, en limitant autant que possible le recours à la climatisation, aménagement des environnements et horaires de travail, etc.) sont pourtant connus depuis deux décennies. Mais ils demeurent peu mis en place dans le monde, et font l’objet de trop peu de travaux visant à en évaluer l’efficacité et à identifier les points de blocage et les leviers d’action.

En complément de l’état des lieux dressés par le Giec, l’approche des frontières planétaires [3, 4] permet de dresser un tableau plus large des dégradations environnementales en cours. Neuf frontières sont actuellement documentées : le changement climatique, l’érosion de la biodiversité, la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, la couche d’ozone, la pollution chimique, la pollution par les aérosols, l’occupation des sols, l’acidification des océans et l’utilisation de la ressource en eau. Cette approche fait l’objet de débats sur le plan scientifique (comment définir les frontières, comment quantifier leurs dépassements, prendre en compte les synergies, éviter de se concentrer sur des seuils au risque de négliger les évolutions lentes, etc.), mais demeure informative de par sa dimension holistique. La mise à jour publiée en 2023 intègre désormais des critères de justice recouvrant la justice interespèces et la stabilité des écosystèmes (pour protéger les humains, les autres espèces vivantes et les écosystèmes), la justice intergénérationnelle (considérer les répercussions des actions passées sur la situation présente, et agir pour permettre de protéger les générations futures), et la justice intragénérationnelle (réduire les inégalités entre pays, entre communautés et entre individus) [4]. Les frontières planétaires font le lien avec la remise au goût du jour d’approches systémiques et interdisciplinaires telles qu’« une seule santé » ou santé planétaire, qui génèrent actuellement un intérêt massif. On note cependant que ces approches restent peu opérationnelles et assez polarisées : une analyse de la littérature récente (2020-2021) met en évidence un focus « une seule santé » sur les maladies infectieuses, tandis que les enjeux de maladies non transmissibles, d’activité physique et d’alimentation sont davantage traités par la communauté santé planétaire (et logiquement associé à la question des cobénéfices des politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre) [5]. Ceci appelle à des collaborations plus étroites entre les communautés de recherche, et à un focus plus important sur les enjeux et transformations structurelles nécessaires pour respecter les objectifs climatiques, en particulier sur les systèmes urbains et sur la production alimentaire.

En complément des débats conceptuels sur les approches systémiques, on note également une tendance forte à produire des connaissances et des données locales pour accompagner l’adaptation, par exemple avec la multiplication de projets de recherche incluant des objectifs participatifs de coconstructions de services climatiques avec des utilisateurs locaux (professionnels, décideurs). Ces initiatives sont précieuses lorsqu’elles permettent de dépasser les silos disciplinaires et de faciliter l’accès à une donnée correctement dimensionnée aux besoins. Enfin, il est intéressant de voir de premiers articles discutant d’interventions locales abordant de manière conjointe les enjeux de santé, de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’adaptation et de protection de la biodiversité. Par exemple, le programme « Nature Steps to Health » de la région de Lathi en Finlande vise, sur la période 2022-2032, à rassembler un grand nombre d’acteurs dans une démarche interdisciplinaire de transformation des environnements en ciblant les mobilités, l’alimentation, les environnements de vie et la connexion à la nature [6]. Il est issu d’une collaboration planifiée pour 10 ans entre les services de santé locaux, la ville de Lathi et l’université de Lathi, et soutenue par l’agence de santé publique de Finlande, l’institut environnemental finlandais, l’institut des ressources naturelles de Finlande et le WWF. Les résultats en matière de santé publique ne seront observables que dans les prochaines années, mais ce programme est une expérimentation de programmation stratégique transdisciplinaire s’appuyant sur des alliances inédites en matière de santé publique, et en phase avec les principes de santé planétaire.

 

Perspectives

Plus la crise climatique devient visible, plus ses impacts sur la santé sont mis au centre des débats. Reste à voir dans quelle mesure cet intérêt conduira à lever les barrières psychologiques de l’inaction et permettra de s’engager dans un nouveau modèle de société respectueux des humains, de la biodiversité et des équilibres climatiques. Au-delà des discours, il faut des investissements réels, permettant de dégager les moyens humains et financiers essentiels à la mise en œuvre d’actions concrètes d’adaptation et d’atténuation. Quant à la recherche en santé-environnement, elle doit aller davantage vers des travaux orientés actions en lien avec des interventions locales. Il faut également renforcer les approches interdisciplinaires notamment sur les questions sociologiques et économiques, afin d’identifier les leviers d’action pour réduire les inégalités, augmenter l’acceptabilité des mesures et prendre en compte les bénéfices sanitaires dans les évaluations coûts-bénéfices.

 

Références

[1] IPCC 2023. Summary for Policymakers. In : Climate change 2023, Synthesis report.

[2] WMO. 2023 State of Climate Services for Health, 2023 : https://public.wmo.int/en/our-mandate/climate/state-of-climate-services-report-for-health

[3] Rockström J, Steffen W, Noone K, et al. A safe operating space for humanity. Nature 2009 ; 461 : 472-5.

[4] Rockström J, Gupta J, Qin D, et al. Safe and just Earth system boundaries. Nature 2023 ; 619 : 102-11.

[5] de Castañeda RR, Villers J, Guzmán CAF, et al. One Health and planetary health research: leveraging differences to grow together. Lancet Planet Health 2023 ; 7 : e109-e11.

[6] Hämäläinen RM, Halonen JI, Haveri H, et al. Nature step to health 2022-2032: Interorganizational collaboration to prevent human disease, nature loss, and climate crisis. Journal of Climate Change and Health 2023 ; 10 : 100194.