Milieu de vie

Qualité des sols

YearBook 2021

Nathalie Velly

Responsable de l’unité Impact sanitaire et expositions,
Direction Sites et Territoires,
INERIS, Parc technologique ALATA,
Verneuil-en-Halatte

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Synthèse publiée le : 12/06/2021

SYNTHÈSE :
Les enjeux sanitaires
associes aux transferts de polluants
entre les compartiments environnementaux

L’évaluation des transferts des polluants dans l’environnement constitue le préalable indispensable à l’évaluation des expositions et des risques sanitaires qui en découlent.

L’évaluation des risques sanitaires des substances émises par une installation classée pour la protection de l’environnement repose notamment sur l’identification de leurs principales voies de transfert dans l’environnement et des modes d’exposition des populations [1]. Parallèlement, toute démarche de gestion de sites pollués consiste à établir un état des lieux destiné à appréhender l’état des pollutions des compartiments de l’environnement (ou milieux) et les voies d’exposition des populations aux polluants.

Ces deux démarches s’appuient sur la description des relations existantes entre une source de pollution, son potentiel de transfert et les usages des milieux par les populations qui vont déterminer les modes potentiels d’exposition ; ces relations étant traduites au travers d’un schéma conceptuel définissant le continuum Source-Vecteur-Cible [2] (figure 1). La combinaison de ces trois composantes peut conduire à un risque pour la santé de populations présentes sur un site pollué ou riveraines et sous l’influence d’une source d’émission de polluants.

Selon la toxicité des polluants émis, leur devenir dans l’environnement peut constituer un réel enjeu sanitaire vis-à-vis des populations qui pourraient y être exposées.

Dans ce contexte, une attention particulière est portée aux caractéristiques physico-chimiques des substances telles que la densité, la solubilité dans l’eau, le degré d’affinité de la substance avec différents types de solvants, la volatilité, le caractère biodégradable, la faculté à migrer ou à rester piégé dans les sols. L’ensemble de ces paramètres vont conditionner le comportement des polluants dans le milieu de transfert.

Il existe d’ailleurs des phénomènes de transformations physico-chimiques lors des transferts conduisant à la formation de nouvelles substances présentant des caractéristiques distinctes des substances mères. Il est donc important d’identifier les substances en jeu ainsi que les substances qui ont pu se former au cours du temps (métabolites de biodégradation par exemple) ; la dégradation d’un polluant pouvant conduire à l’apparition d’un composé plus toxique [3].

Outre les propriétés intrinsèques des polluants, les voies de transfert à considérer en premier lieu face à une source de pollution sont associées au milieu dans lequel s’effectue l’émission de polluants.

Ainsi, dans le cas d’émissions dans l’atmosphère, la dispersion atmosphérique, qui dépend des caractéristiques des sources d’émission, du comportement des substances et des conditions relatives à l’environnement telles que les caractéristiques météorologiques et topographiques, va permettre la migration de polluants sous forme gazeuse ou particulaire. La présence de polluants dans l’atmosphère induit ainsi une exposition potentielle directe par inhalation. Les gaz et les particules émises peuvent rester en suspension dans l’air ambiant sur de longues distances ou se déposer sur des compartiments environnementaux tels que les sols, les végétaux ou les eaux de surface. Ainsi, en présence de polluants persistants, il est possible d’observer au cours du temps leur accumulation dans la couche superficielle des sols non remaniés ou dans les sédiments de cours d’eau. De par ces phénomènes, le sol est considéré comme un compartiment dit intégrateur pour ces polluants qui s’y déposent.

 

Figure 1. Principe et exemple de schéma conceptuel d’exposition

 

Présence de pollutions dans les sols

La présence de pollutions dans les sols peut induire une exposition directe par ingestion de terre vis-à-vis des populations qui seraient en contact avec les terres et les poussières issues des sols ; les enfants étant particulièrement exposés de par leur comportement (portage main bouche notamment) ainsi que les adultes à travers les activités de jardinage par exemple. Des phénomènes de transferts de polluants entre les sols et les végétaux sont par ailleurs observables du fait des transferts s’opérant au niveau du système racinaire des plantes. Des transferts dans les plantes peuvent également s’effectuer par dépôts de particules sur la surface des plantes ou dans une moindre mesure par transferts de vapeurs depuis les sols. Enfin, l’eau contenue dans la porosité du sol, l’eau de pluie ou l’eau d’arrosage (qu’elle soit souterraine ou superficielle), peuvent aussi constituer une source de contamination des plantes. Les polluants captés par la plante peuvent ensuite s’accumuler de manière différenciée entre les différents organes de la plante (fruit, tige, feuille, racine). Il en résulte une vigilance accrue vis-à-vis des potentiels de transfert vers les organes des plantes effectivement consommés par l’homme ; l’exposition des consommateurs diffère selon l’âge, en raison des rations alimentaires pondérées par le poids corporel spécifiques à chaque classe d’âge et d’une contribution des substances variable en fonction du végétal considéré [4].

En cas d’émissions aqueuses, les substances selon leurs comportements, sont susceptibles de se dissoudre dans les eaux et ainsi migrer sur de longues distances ou bien de s’adsorber sur les particules en suspension et se retrouver ainsi dans les dépôts sédimentaires. Les couches superficielles des sédiments peuvent ensuite être remises en suspension par des phénomènes physiques tels que les inondations, les vagues ou les courants ou bien par des phénomènes biologiques du fait de la faune aquatique.

Dès lors que des polluants sont en contact ou peuvent s’accumuler dans les écosystèmes terrestres ou aquatiques, ils peuvent entrer dans les chaînes alimentaires. Par exemple, le bétail peut se retrouver à consommer des plantes exposées à des dépôts atmosphériques. De même, les poissons peuvent être exposés aux polluants contenus dans les eaux de surface et les sédiments ou via la chaîne alimentaire. La mise en évidence de tels contextes a généré par le passé des préoccupations sanitaires, dans le cas de polluants toxiques et particulièrement persistants dans l’organisme, tels que les dioxines, furanes et polychlorobiphényles (PCB). Pour le cas des PCB en particulier, des travaux de surveillance de la contamination des denrées et de mesures de l’imprégnation de la population ont permis l’élaboration de recommandations pour réduire les expositions via l’alimentation [5].

Une pollution contenue dans les sols superficiels, du fait de déversements répétés sur le long terme ou accidentels de polluants depuis la surface du sol ou bien de fuites provenant par exemple d’une canalisation ou d’une cuve enterrées, peut également parvenir jusqu’à la nappe superficielle. Lorsqu’une pollution affecte l’eau souterraine, celle-ci va donc constituer à la fois un milieu de transfert, ainsi qu’une ressource à protéger en particulier pour l’alimentation en eau potable et l’irrigation.

Les composés volatils présents dans les sols et dans les eaux souterraines sont susceptibles de se transférer vers l’air intérieur ou extérieur. Ces phénomènes sont conditionnés à la fois par la volatilité des polluants, la perméabilité à l’air des sols, la structure du bâti ainsi que les paramètres environnementaux tels que conditions météorologiques. Une attention particulière est donc portée aux projets de bâtiments sur d’anciens sites pollués pour lesquels de tels transferts pourraient conduire à une exposition par inhalation de vapeurs dans les environnements intérieurs.

 

Mesure des polluants

La mesure de polluants dans les milieux constitue un moyen d’appréhender leur présence et leur potentiel de migration. Elle nécessite la mise en œuvre d’une stratégie d’échantillonnage adaptée tenant compte notamment de la variabilité dans le temps des émissions et des conditions environnementales (météorologie par exemple). La modélisation des transferts de substances émises, en s’appuyant sur une représentation simplifiée des compartiments environnementaux et des transferts, permet d’estimer les concentrations potentielles dans les milieux d’exposition. Dans le contexte de l’évaluation prospective des risques sanitaires, elle constitue une alternative aux mesures. Celles-ci ne peuvent en effet pas toujours concerner l’ensemble des milieux potentiellement impactés. Par ailleurs, la modélisation permet d’anticiper le devenir des polluants dans les différents compartiments de l’environnement ou de délimiter la zone d’influence d’une installation industrielle. Des logiciels tels MODUL’ERS permettent de construire des modèles multimédia adaptés au schéma conceptuel du site étudié en termes de mécanismes de transfert et d’évaluer les expositions et les risques associés. Quels que soient la démarche d’évaluation des transferts et le scénario d’exposition, il est nécessaire de s’interroger sur la fiabilité et la représentativité des résultats en termes d’exposition des populations.

La stratégie de gestion d’un site pollué privilégie généralement la maîtrise des sources de pollution en agissant d’abord sur le volume de pollution puis la maîtrise des transferts des polluants. Des techniques de réhabilitation peuvent modifier la mobilité des polluants soit en agissant directement sur leur comportement, ce qui peut influer leur toxicité, soit en modifiant les propriétés du milieu récepteur par réduction de la porosité et de la perméabilité. D’autres techniques permettent de traiter certaines pollutions organiques en lien avec leur potentiel de dégradation ou d’extraction. Une couverture des sols peut désactiver ou limiter les transferts verticaux vis-à-vis des gaz du sol et du réenvol de poussières par exemple. Enfin, les phytotechnologies utilisent les espèces végétales pour extraire, contenir ou dégrader des polluants inorganiques et organiques. En agissant sur le milieu ou sur les vecteurs de transfert, ces différentes techniques visent ainsi à limiter les risques sanitaires et environnementaux associés à la présence des polluants.

In fine, la compréhension des possibilités de transferts de polluants est essentielle pour évaluer les expositions directes et indirectes de l’homme via les milieux environnementaux aux sources d’émission et aider les pouvoirs publics dans la réduction des expositions et le dimensionnement des mesures de maîtrise des risques quand elles sont nécessaires.

 

Références

[1] Circulaire du 9 août 2013 relative à la démarche de prévention et de gestion des risques sanitaires des installations classées soumises à autorisation. https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=37380

[2] Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. Méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués. 2017, 128 p. http://ssp-infoterre.brgm.fr/sites/default/files/upload/documents/methodo_ssp_2017.pdf

[3] INERIS et BRGM. Guide pratique pour la caractérisation des gaz du sol et l’air intérieur en lien avec une pollution des sols et/ou des eaux souterraines, INERIS-DRC-16-156183-01401A, 2016, 216 p. https://www.ineris.fr/sites/ineris.fr/files/contribution/Documents/guide-pr%C3%A9l%C3%A8vements-gaz-du-sol-%26-air-int%C3%A9rieur-2016-11-25-1480950256.pdf

[4] ADEME, INERIS. TROPhé : évaluation des expositions et des risques sanitaires chez l’Homme - Livrable n° 3 - Évaluation des expositions et des risques sanitaires chez l’Homme. 2017, 74 p. https://www.ineris.fr/sites/ineris.fr/files/contribution/Documents/guide-prélèvements-gaz-du-sol-%26-air-intérieur-2016-11-25-1480950256.pdf

[5] InVS et Anses, Étude nationale d’imprégnation aux polychlorobiphényles des consommateurs de poissons d’eau douce. 2011, 176 p. https://www.anses.fr/fr/system/files/PASER2010sa0416Ra.pdf