Milieu de vie

Qualité des sols

YearBook 2024

Guillaume Karr (1), Valérie Bert (2)

1. Ingénieur Études et Recherche, spécialisé en santé environnementale
2. Ingénieur Études et Recherche, spécialisée en phytomanagement

Télécharger le PDF de la synthèse

Les autres synthèses de la rubrique :

Synthèse publiée le : 01/11/2024

SYNTHÈSE :
Usage de renaturation dans la gestion des sites et sols pollués : premiers éléments de méthodologie

Dans le contexte de la gestion des sites et sols pollués, l’usage de renaturation, entré dans la réglementation française depuis janvier 2023, a besoin d’être encadré par une méthodologie de référence au niveau national.

 

Contexte

En application de la loi n° 2021-1104, dite « climat et résilience », le décret n° 2022-1588 du 19 décembre 2022 définit « les différents types d'usages à prendre en compte » dans la gestion des sites et sols pollués, à partir du 1er janvier 2023. En particulier, ce décret introduit l’« usage de renaturation ».

Pour encadrer la mise en œuvre de ce nouvel usage réglementaire par les différents acteurs de la gestion des sites et sols pollués, l'Ineris a proposé au ministère chargé de l’écologie, dans le cadre de ses missions d’appui aux pouvoirs publics, de travailler sur une première ébauche pour la future méthodologie de référence.

Ces premiers éléments pourraient, à terme, intégrer la méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués [1]. D’une manière plus générale, ces travaux exploratoires s’inscrivent dans la dynamique du projet de directive européenne sur les sols, en cours de préparation [2], visant notamment à « établir des règles favorisant une utilisation et une restauration durables des sols ».

 

Méthode retenue

Les travaux sont en cours et la démarche retenue inclut les principales étapes suivantes :

  • réaliser une revue bibliographique portant sur la notion de renaturation et sur ses déclinaisons concrètes, dans des zones urbaines ou industrielles ;
  • mener une veille sur les projets finalisés ou en cours de réalisation, en France, et dont les contenus pourraient correspondre à l’usage de renaturation ;
  • proposer des premiers éléments de méthodologie, sur la base des informations obtenues, visant à initier et à appuyer l’élaboration d’une méthodologie nationale de référence pour encadrer l’usage de renaturation.

La veille réalisée a visé à collecter des retours d’expériences issus de projets concrets, pour différents types de clients, en lien avec l’usage de renaturation et hors du cadre de la « recherche et développement ». Dans cet objectif, 13 entretiens ont été menés avec des chefs de projets issus de différents types de structures (bureau d’études spécialisé dans la gestion des sites et sols pollués, paysagistes, urbanistes, etc.).

Le contenu de ces entretiens a été synthétisé et analysé en utilisant une démarche qui s'appuie sur l'identification de « forces », de « faiblesses », d’« opportunités » et de « verrous à lever » (inspirée de l’analyse SWOT [Strengths, Weaknesses, Opportunities, and Threats]) liés à l’usage de renaturation et tels que perçus par les personnes interviewées.

 

Premiers besoins identifiés : trois exemples

Besoin de préciser la définition de l’usage de renaturation

Pour la gestion des sites et sols pollués, le décret n° 2022-1588 définit l’usage de renaturation comme « impliquant une désartificialisation ou des opérations de restauration ou d’amélioration de la fonctionnalité des sols, notamment des opérations de désimperméabilisation, à des fins de développement d’habitats pour les écosystèmes ».

Cette définition inclut plusieurs notions qui peuvent être comprises et déclinées de manières différentes, en fonction des auteurs et des acteurs du domaine, et dont les définitions respectives peuvent présenter des zones de recouvrements. Par conséquent, ces notions ont besoin d’être précisées dans le cadre de la gestion des sites et sols pollués.

La notion même de renaturation a fait l’objet de questionnements récurrents au cours des entretiens réalisés, par exemple :

  • l’usage de renaturation pourrait sous-entendre le besoin d’une action humaine, alors que certains sites présentent d’ores et déjà des fonctions et des écosystèmes d’intérêt. Est-ce que l’usage de renaturation inclut un « usage de nature », une « renaturation spontanée »1, en complément d’une « renaturation aidée » voire d’une « renaturation (re)construite » ?
  • la renaturation pourrait sous-entendre un retour à un écosystème proche de celui qui était présent sur le site considéré avant sa dégradation [3]. Or, revenir à un état « originel » peut être difficile à définir, en particulier dans certaines zones urbaines ou industrielles. Vise-t-on un retour à la nature originelle du site ou un retour vers de la nature (locale) ?

 

Besoin de préciser les possibilités de présence humaine

Une littérature grandissante suggère que le contact régulier avec la nature est un facteur favorisant la santé, mentale et physique. Par conséquent, les possibilités de présence humaine associée à l’usage de renaturation ont besoin d’être considérées, en complément des enjeux écologiques. A priori, « la fréquentation humaine pour ce type d’usage n’est pas exclue, quoique jugée occasionnelle. » [4].

En outre, dans un contexte urbain, un usage de renaturation peut correspondre à un souhait de gestionnaires publics que les habitants puissent se réapproprier le site considéré, ce qui suppose au minimum un chemin de promenade fait de matériaux non pollués et, si besoin, de zones rendues inaccessibles.

En parallèle, les risques sanitaires liés à la présence de certaines espèces sont également à considérer (allergies liées à certaines plantes, maladies transmissibles par certains animaux, etc.), pour les populations visitant le site et aussi pour les populations riveraines.

Dans tous les cas, le niveau de présence humaine permis sur le site doit être décidé au début du projet de renaturation, car ce choix a une influence sur :

  • le contenu du projet (choix des espèces, mesures de contrôle, etc.) ;
  • les objectifs de dépollution et de maîtrise des risques, et donc sur le choix des indicateurs de suivi ;
  • les coûts des interventions et de la surveillance associés au projet.

 

Besoin de référentiels écologiques

Le décret n° 2022-1588 fournit une définition basée sur des processus. En pratique, l’objectif à atteindre fait l’objet de questionnements récurrents.

L’objectif d’un projet de renaturation pourrait être défini au cas par cas, avec un milieu écologique de référence. Ce « référentiel », adapté au contexte pédo-bioclimatique du site considéré, pourrait être caractérisé par une sélection d’indicateurs de référence, de différentes natures. À titre d'exemple, les indicateurs suivants peuvent être considérés : indicateurs agro-pédologiques, teneurs en polluants à enjeux, bio-indicateurs (ex. : micro-organismes, nématodes [microfaune], collemboles [mésofaune], insectes de la macrofaune, phytotoxicité), transfert vers les plantes, transfert vers les escargots, indicateurs caractérisant la végétation de surface (ex. : pourcentage de couverture végétale, présence ou absence de certaines plantes, indice de Shanon, etc.), gaz du sol, indicateurs caractérisant les services écosystémiques visés, etc.

Au regard des retours d’expériences collectés, le choix du référentiel d’un projet de renaturation pourrait utilement considérer ces trois étapes successives :

  • choix du type de milieu écologique visé, adapté au contexte pédo-bioclimatique et aux potentielles pollutions en présence, en se basant sur une classification générique (ex. : typologie EUNIS [European Nature Information System]), sur des avis d’expert, sur des recherches bibliographiques, etc. ;
  • sélection d’indicateurs de suivi appropriés et en nombre proportionné, en fonction des enjeux écologiques en présence, des niveaux de fonctions ciblés et des sous-usages projetés, voire des services souhaités. Cette sélection pourrait inclure un socle de base transversal et systématique, complété par des indicateurs spécifiques au type de milieu visé ;
  • choix d’un environnement local témoin (ELT), dans le prolongement et en cohérence avec l’utilisation de cette notion en gestion des sites et sols pollués [1], caractérisé avec les indicateurs sélectionnés. Cet ELT serait le référentiel qui servirait d’objectif pour le projet de renaturation.

 

Suites de la démarche

Sur la base des informations et des retours d’expériences collectés, des définitions opérationnelles et des premiers éléments de cadrage méthodologique seront proposés en 2024 au ministère chargé de l’écologie. Dans un second temps, les éléments retenus pourraient être testés sur des cas concrets, dans des contextes variés, afin de tester plus avant leur pertinence et leur faisabilité. Le cas échéant, ces retours d’expériences seraient à partager avec tous les acteurs de la gestion des sites et sols pollués, dans une approche intégrée des risques environnementaux et sanitaires.

 

Références

[1] Direction générale de la Prévention des Risques (DGPR) - Bureau du Sol et du Sous-Sol. Méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués. Ministère chargé de l'écologie, 2017 : https://www.ecologie.gouv.fr/sites-et-sols-pollues#scroll-nav__2

[2] Commission européenne. Santé des sols – protéger, gérer et restaurer durablement les sols de l’UE, 2023 : https://ec.europa.eu/info/law/better-regulation/have-your-say/initiatives/13350-Sante-des-sols-proteger-gerer-et-restaurer-durablement-les-sols-de-lUE_fr

[3] Gann G, McDonald T, Walder B, et al. Principes et normes internationaux pour la pratique de la restauration écologique. Deuxième édition. Society for Ecological Restoration (SER), 2019 : https://cdn.ymaws.com/www.ser.org/resource/resmgr/docs/ser_international_standards_.pdf

[4] Velly N. Guide sur les types d'usages définis dans le cadre des cessations d'activité des installations classées pour la protection de l'environnement et de projets d'aménagement. Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), 2023 : https://www.ineris.fr/sites/ineris.fr/files/contribution/Documents/Rapport-Ineris-213282-279342-Typologie%20d%27usage%20SSP%20v3.pdf

[5] European Environment Agency (EEA). European Nature Information System (EUNIS), 2022 : https://eunis.eea.europa.eu/index.jsp

 

 

1 L’arrêt des perturbations humaines (ex. : désimperméabilisation) peut suffire à permettre le développement de la flore et de la faune présente sur le site.