Contaminants

Micro-organismes et biocontaminants

YearBook 2021

Vincent Maréchal (1,3)
Yvon Maday (2,3)
Consortium Obépine (3)

1. Professeur de virologie, Sorbonne Université, Inserm, Centre de recherche Saint-Antoine, 75012 Paris, France
2. Professeur de mathématiques appliquées, Sorbonne Université, CNRS, Université de Paris, Laboratoire Jacques-Louis Lions (LJLL), Paris, France et Institut Universitaire de France.
3. Le consortium Obépine https://www.reseau-obepine.fr. est composé de Isabelle Bertrand et Christophe Gantzer (Laboratoire de chimie physique et microbiologie pour les matériaux et l’environnement, LCPME, UMR 7564 CNRS-Université de Lorraine, Nancy, France), Mickael Boni (Institut de recherche biomédicale des armées, Direction scientifique et technique, moyens expérimentaux partagés, Brétigny-sur-Orge, France), Soizick Le Guyader (Ifremer Nantes, France), Yvon Maday2,3, Vincent Maréchal1,, Jean-Marie Mouchel (Sorbonne Université, CNRS, EPHE, UMR 7619 Metis, Paris, France, e-LTER Zone Atelier Seine), Laurent Moulin et Sébastien Wurtzer (Laboratoire R&D Eau de Paris, France).

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Synthèse publiée le : 12/06/2021

SYNTHÈSE :
Obépine : premier observatoire épidémiologique
des eaux usées en France

L’épidémiologie basée sur les eaux usées est une démarche qui a fait ses preuves à l’occasion du suivi de l’épidémie de Covid-19. Le réseau sentinelles mis en place par Obépine a permis de construire un nouvel indicateur – homogène d’une station à l’autre – qui reflète le niveau de circulation du virus sur les territoires. Par ailleurs, cet indicateur permet d’évaluer l’impact des mesures collectives (confinements, couvre-feux) mais également d’anticiper les reprises épidémiques.

 

Les eaux usées sont le reflet indirect des activités humaines et de la santé des populations. On y détecte des polluants industriels, des résidus médicamenteux, des drogues illicites mais également les virus, bactéries et parasites, émis dans nos selles et nos urines. Leur analyse est une source d’informations riche qui relève d’un domaine appelé épidémiologie des eaux usées (wastewater-based epidemiology) [1]. Cette démarche a été récemment intégrée aux stratégies de suivi de l’épidémie de Covid-19 [2], mais elle avait été précédemment développée en France notamment pour suivre des virus responsables de gastro-entérites [3].

 

L’analyse des eaux usées : un outil macroépidémiologique efficace et peu coûteux

  • Le suivi épidémiologique du SARS-CoV-2, agent étiologique de la Covid- 19, est indispensable pour mettre en place des mesures de contrôle individuelles ou collectives adaptées. Le choix des indicateurs est particulièrement complexe dans le cadre de la Covid-19 : plus de 50 % des sujets infectés sont peu ou pas symptomatiques alors qu’ils peuvent transmettre le virus. Le suivi de l’épidémiesur des critères syndromiques est donc insuffisant.
  • La détection des sujets infectés repose sur des campagnes de tests qui, pour être efficaces, se doivent d’être massives à défaut de répondre à des sondages aléatoires. L’expérience française montre combien cette approche, très coûteuse, reste limitée dans ses résultats. Rappelons que les mesures d’isolement – réponse essentielle à la découverte d’un cas positif – sont encore trop peu évoquées dans le débat public et qu’elles ne sont ni contrôlées ni évaluées de façon rigoureuse.

Bien que le SARS-CoV-2 infecte principalement les voies respiratoires, il se réplique aussi dans le tube digestif. Il est alors excrété dans les selles [4] des porteurs symptomatiques et asymptomatiques, et chemine en quelques heures ou jours jusqu’aux stations de traitement des eaux usées (STEU). Les prélèvements qui y sont réalisés, dès lors qu’ils sont correctement analysés, peuvent permettre d’évaluer le niveau de circulation du virus dans une population de plusieurs centaines de milliers d’individus sans même les consulter. Le caractère infectieux du virus dans les selles, a priori très faible, laisse
entendre que cette matrice est très virucide, quoique l’activité antivirale des selles semble dépendre
des individus (Wurtzer et al. in prep).
Le projet Obépine (OBservatoire ÉPidémiologique daNs les Eaux usées) a officiellement commencé en mars 2020 avec les premières mesures de charge virale SARS-CoV-2 conduites dans les eaux usées de plusieurs STEU d’Île-de-France.

 

Surveiller les eaux usées pour mieux appréhender la dynamique de l’épidémie de SARS-CoV-2

S’appuyant sur des protocoles sensibles et robustes1, Obépine démontre d’abord que la mesure de la charge virale dans les eaux usées par RT-qPCR2 constitue un outil remarquablement efficace pour suivre la dynamique de l’épidémie sur un territoire donnée [5]. Il illustre – et c’est une première mondiale saluée par la presse scientifique [6] – l’effet du premier confinement sur le contrôle de l’épidémie [7]. Mis en avant par trois académies (Technologie, Sciences et Médecine), Obépine a très vite reçu le soutien du CARE3 pour coordonner un plan de surveillance national. Un consortium interdisciplinaire regroupant des équipes de Sorbonne Université, Eau de Paris, de l’Université de Lorraine, de l’IRBA et d’IFREMER, s’est rapidement constitué pour proposer des outils et une stratégie nationale de suivi de l’épidémie via les eaux usées. Dès le début de l’été 2020, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI) demande aux porteurs du projet de déployer un projet pilote sur 150 STEU avec un budget de 3,5 millions d’euros.

À partir de 30 critères (économiques, hydrologiques, sociologiques, touristiques, géographiques etc.) une stratification des 22 000 STEU françaises permet de proposer 150 stations représentatives (stations mères) et d’associer à chacune 10 STEU filles, de même classe typologique, mais localisées sur des territoires distincts. Les grands opérateurs (SIAAP, Suez, SAUR, Veolia) sont invités à participer au déploiement du réseau de surveillance. Obépine distribue ses protocoles aux laboratoires qui souhaitent participer aux analyses (plus de 300 par semaines) et évalue régulièrement leur capacité à les mettre en oeuvre via des essais inter-laboratoires (EIL). Enfin, un traitement mathématique des résultats4 produits par les laboratoires permet d’intégrer aux données de charge virale des informations complémentaires (débimétrie des stations, composition chimique des eaux usées etc.) et de produire un indicateur sans unité reflétant le niveau de circulation du virus dans les eaux usées, comparable d’une station à l’autre. Obépine transmet régulièrement ces informations aux autorités de santé, aux collectivités et Agences régionales de Santé (ARS), à la DGS et aux collectivités. La loi sur l’ouverture des données autorise Obépine à mettre ces données à disposition du public dès le 25 janvier 2021 (https://www.reseau-obepine.fr/donnees-ouvertes/).

 

Que permet l’analyse des eaux usées ?

Obépine reste avant tout un consortium de recherche multidisciplinaire (virologie épidémiologie, hydrologie, mathématiques). À ce titre, il lui revient non seulement d’éclairer les autorités sanitaires mais également de valider scientifiquement un dispositif sentinelles qui reste en construction.

Plusieurs points ont été établis :

  • La charge virale dans les STEU – mesurée deux fois par semaine - est bien le reflet de la circulation
    virale, appréhendée via les indicateurs individus-centrés (figure 1).
  • 168 STEU sont suivies à ce jour, confirmant que les mesures de confinement et de couvre-feu
    ont un effet sur la circulation du virus, qui reste variable selon les territoires.
  • Le suivi des STEU constitue un système sentinelles précoce. Les analyses conduites en Ile-de-
    France ont permis de mettre en évidence le retour du virus dès le 22 juin 2020 dernier alors que
    les indicateurs épidémiologiques individus centrés n’ont réaugmenté que fin juillet-début août
    (figure 1).

 

Comment, où et quand surveiller les eaux usées ?

Le succès d’Obépine a motivé diverses initiatives publiques ou privées avec des objectifs similaires mais des approches parfois différentes. L’engouement soudain pour l’épidémiologie eaux usées ne doit toutefois pas en masquer certaines limites qui ne pourront être dépassées qu’avec des études rigoureuses, préalables à toute implémentation opérationnelle.

  • La précocité des signaux (par rapport aux signaux individus-centrés) est tributaire de la sensibilité des techniques utilisées. Une technique peu sensible – dans les STEU ou les égouts – donnera un signal tardif, peu enclin à prévenir les autorités d’une recirculation virale.
  • La sensibilité des tests doit être associée avec une forte reproductibilité, essentielle pour réduire les variations intra/inter-expérimentale et pour permettre de déceler de façon fiable une augmentation ou une diminution du signal.
  • L’analyse des eaux usées dans les égouts/collecteurs est pertinente dès lors qu’elle permet d’identifier des sources localisées, ce qui est possible si la prévalence de l’infection est faible. Dans un scénario type – tel que celui que l’Île-de-France a connu durant l’été 2020 – l’incidence très faible et l’absence de virus dans des STEU depuis début mai a motivé un vrai signal d’alerte lorsqu’il a été à nouveau détecté le 20 juin (figure 1). Ce signal a motivé une analyse des collecteurs en amont, à la recherche d’une source localisée (une ville), une opération qui aurait pu être couplée à des campagnes de tests locales (barnum). L’expérience conduite sur Paris nous indique que le suivi systématique des collecteurs est moins informatif lorsque le virus circule déjà à haut niveau (circulation diffuse), ce que nous connaissons depuis septembre 2020 dans plusieurs grandes métropoles françaises.
  • L’analyse au pied de certains bâtiments « sensibles » pose questions : (1) peut-elle nous informer sur la présence de porteurs dans le bâtiment ? Et si oui, avec quelle sensibilité ? (2) Comment doit-elle être conduite pour être pertinente. Si le suivi d’un collecteur semble opportun pour les bâtiments hébergeant des résidents permanents (prisons, pensions, EPHAD), le suivi des écoles – lieu où les enfants ne déposent que rarement leurs selles - doit être discuté en attente d’études publiées. Par ailleurs, elle pose un problème d’échantillonnage majeur : seules des techniques d’échantillonnage moyennées (sur 24 h) peuvent donner des informations pertinentes. Ce suivi, nécessitant par ailleurs des moyens humains importants et qualifiés, doit être mis en perspective avec l’utilité des données recueillies pour guider les plans d’action. Il doit également être associé si nécessaire à des tests ciblés en population (tests individuels ou échantillons individuels poolés). En matière de santé publique, le rapport bénéfice/coût doit être analysé avec une connaissance éclairée de tous les outils disponibles !

 

Obépine : l’année de la pérennisation ?

Obépine a mis en place un dispositif pilote riche d’informations et déjà largement utilisé par les collectivités, les autorités de santé et les citoyens. Il pourra sans aucune difficulté être étendu à d’autres risques sanitaires. Le réseau, tout en renforçant son dispositif sentinelle, pose aujourd’hui de nouvelles questions (par exemple sur les variants) et s’interroge sur son avenir. À la recherche d’un cadre formel, de soutiens financiers, Obépine entend préfigurer ce qui pourrait devenir un observatoire épidémiologique
national dans les eaux usées, pérenne et interdisciplinaire. Conjuguant recherche, formation et surveillance épidémiologique, Obépine « V2 » pourrait s’inscrire dans un partenariat public-privé dont le cadre doit être posé au bénéfice du plus grand nombre. La France pourrait s’honorer de soutenir un tel projet, unique à notre connaissance, et parfaite illustration du concept de santé globale sur lequel nous devons construire nos futures politiques de lutte contre les maladies émergentes.

Figure 1. Suivi de la dynamique du virus dans une STEU d’Ile de France (haut) et dans
la population d’Ile de France (bas).

 (Haut) Un indicateur de suivi semi-logarithmique et sans unité a été construit (0-50 = circulation
faible ; 50-100 = circulation moyenne ; au-delà de 100 = circulation élevée). Il reflète la charge virale
dans les eaux usées et permet d’apprécier le niveau de circulation le jour du prélèvement. (Bas) l’incidence
et le taux de positivité sont indiqués (base SI-DEP). Les périodes de confinement (en gris) et de
couvre-feu (en jaune, orange et beige) sont indiquées. La détection de la seconde vague (22 juin) a
précédé de plus de 3 semaines les indicateurs individus centrés (1er août). Le niveau de circulation – au
13 mars 2021 – reste élevé malgré les mesures prises depuis fin octobre 2020, et montre une reprise
active sur cette région depuis le 21 janvier. L’indice IPQDE (de 1 à 5) indique quel est le niveau d’information
qui vient compléter la donnée de charge virale (ex : débit de la station, pluviométrie, incident
d’exploitation etc.). L’indice est d’abord faible (1) puis augmente avec l’arrivée de données complémentaires.
Cet indicateur est issu d’une modélisation mathématique qui permet d’inférer les niveaux
de circulation même lorsqu’ils sont inférieurs aux limites de détection (valeurs négatives).

 

Notes

1 OBEPINE produit et améliore des protocoles qui sont distribués aux membres du réseau, et dont la mise en œuvre est évaluée régulièrement à travers des essais inter-laboratoires (EIL).

2 Quantification du génome viral par transcription inverse et amplification génique.

3 Comité analyse, recherche et expertise mis en place par E. Macron et présidé par F. Barré-Sinoussi

4 Basé sur une technique filtre de Kalman (Forward-Backward) intégrant un modèle de dynamique d’évolution du virus dans les eaux usées.

 

Références

[1] Lorenzo M, Picó Y. Wastewater-based epidemiology: current status and future prospects. Curr Op Environ Sci Health 2019 ; 9 : 77-84.

[2] Aguiar-Oliveira M, Campos A, Matos AR, et al. Wastewater-Based Epidemiology (WBE) and Viral Detection in Polluted Surface Water: A Valuable Tool for Covid-19 Surveillance—A Brief Review. Int J Environ Res Public Health 2020 ; 17 : 9251.

[3] Prevost B, Lucas FS, Ambert-Balay K, Pothier P, Moulin L, Wurtzer S. Deciphering the diversities of astroviruses and noroviruses in wastewater treatment plant effluents by a high-throughput sequencing method. Appl Environ Microbiol 2015 ; 81 : 7215-22.

[4] Wölfel R, Corman VM, Guggemos S, et al. Virological assessment of hospitalized patients with COVID-2019. Nature 2020 ; 581 : 465-9.

[5] https://theconversation.com/on-a-retrouve-le-coronavirus-dans-les-eaux-usees-et-cela-pourrait-nous-aider-a-mieux-suivre-lepidemie-136970, consulté le 13 mars 2021.

[6] https://www.sciencemag.org/news/2020/04/coronavirus-found-paris-sewage-points-early-warning-system, consulté le 13 mars 2021

[7] https://www.eurosurveillance.org/content/10.2807/1560-7917.ES.2020.25.50.2000776, consulté le 13 mars 2021