Milieu de vie

Qualité de l'eau

YearBook 2024

Fabien Squinazi (1), Nicolas Roche (2)

1. Haut Conseil de la santé publique, Président de la Commission spécialisée « Risques liés à l’environnement » (Cs-RE)
2. Centre de recherche et d’enseignement en géosciences de l’environnement (CEREGE Aix-Marseille-Université), membre de la Cs-RE (HCSP)

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Synthèse publiée le : 01/11/2024

SYNTHÈSE :
Réutilisation des eaux dans les bâtiments : quelles indications ? Quels modes de gestion ?

La politique sanitaire d’une utilisation généralisée de l’eau potable pour l’ensemble des usages de l’eau dans le bâtiment est, depuis quelques années, mise à l’épreuve en raison des tensions sur les ressources en eau et de la multiplication des épisodes de sécheresse. Pour prévenir les difficultés liées à ces pénuries, notamment en termes d’hygiène, la réglementation évolue pour autoriser le recours, sous conditions et dans les situations le nécessitant, à des eaux traitées et réutilisées pour couvrir certains besoins en eau. Ces pratiques se développent progressivement depuis 2019 pour répondre à l’objectif fixé par l’action 7 de la seconde séquence des Assises de l’eau : « tripler le volume d’eaux non conventionnelles utilisées à la place de l’eau potable, d’ici à 2025 ». Un projet de décret en Conseil d’État définit les indications et les exigences techniques et sanitaires d’utilisation d’eaux impropres à la consommation humaine pour des usages domestiques dans les bâtiments.

 

L’article L. 111-9 du code de la construction et de l’habitation a été modifié par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat pour définir des exigences de limitation de la consommation d’eau potable pour chaque catégorie de bâtiments. Le projet de décret, pris en application de l’article L. 1322-14 du code de la santé publique, permet l’utilisation d’eaux impropres à la consommation (EICH) pour certains usages domestiques, lorsque la qualité de ces eaux n’a aucune influence, directe ou indirecte, sur la santé des usagers et dans certains lieux dans lesquels ces eaux sont utilisées. Ce décret vise à définir les usages domestiques pour lesquels le recours à des EICH est possible, les eaux ou mélanges d’EICH pouvant être utilisés pour ces usages ainsi que les exigences techniques et sanitaires à satisfaire. Ces mesures ont pour objet de prévenir les risques d’exposition des personnes à des pathogènes et substances chimiques, susceptibles d’altérer leur état de santé. Il précise également les modalités de conception, de mise en service, de surveillance, d’entretien et de contrôle applicables aux systèmes d’utilisation d’EICH.

 

Des usages domestiques selon l’origine de l’eau

Les EICH peuvent être utilisées, directement ou après un traitement adapté, pour certains usages domestiques dans les lieux ouverts au public, les établissements recevant du public, les lieux de travail, les bâtiments d’habitation collective et les maisons individuelles. Toutefois, la réutilisation des eaux issues des systèmes d’utilisation d’EICH est interdite. Les EICH sont évacuées après utilisation, vers le réseau de collecte des eaux usées. Les EICH et leurs usages comprennent :

  • les eaux de pluie issues des précipitations atmosphériques, collectées à l’aval de surfaces inaccessibles aux personnes en dehors des opérations d’entretien ou de maintenance pour des usages de lavage du linge, de nettoyage des surfaces intérieures, d’évacuation des excreta, d’alimentation de fontaines décoratives, de nettoyage des surfaces extérieures, dont le lavage des véhicules lorsqu’il est réalisé exclusivement au domicile, d’arrosage des jardins potagers, d’arrosage des espaces verts et des toitures et murs végétalisés à l’échelle des bâtiments ;
  • les eaux douces dont les installations, ouvrages, travaux et activités sont réglementés au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement et qui entraînent des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines pour des usages et indications similaires aux eaux de pluie ;
  • les eaux des puits et des forages à usage domestique mentionnées à l’article L. 2224-9 du code général des collectivités territoriales et qui font l’objet d’une déclaration auprès du maire de la commune concernée dans les 3 mois suivant leur réalisation pour des usages et indications similaires aux eaux de pluie ;
  • les eaux grises correspondant aux eaux évacuées à l’issue de l’utilisation des douches, des baignoires, des lavabos, des lave-mains et des lave-linges pour des usages après traitement d’évacuation des excreta, d’alimentation de fontaines décoratives, de nettoyage des surfaces extérieures dont le lavage des véhicules lorsqu’il est réalisé exclusivement au domicile, d’arrosage des espaces verts et des toitures et murs végétalisés à l’échelle des bâtiments ;
  • les eaux issues des piscines à usage collectif définies à l’article D. 1332-1 du code de la santé publique, provenant exclusivement des opérations de vidanges complètes des bassins, des vidanges partielles liées à l’obligation de renouvellement d’eau journalier, des pédiluves et rampes d’aspersions pour pieds, ainsi que du lavage des filtres pour des usages et indications similaires aux eaux grises ;
  • des mélanges d’EICH pouvant être réalisées entre les eaux citées précédemment dès lors que les eaux composant le mélange peuvent être utilisées individuellement pour les usages envisagés.

Pour certains usages domestiques, l’utilisation d’EICH peut être mise en œuvre dans le cadre d’une expérimentation régie par un arrêté ministériel :

  • les eaux grises traitées pour le lavage du linge, le nettoyage des surfaces en intérieur et l’arrosage des jardins potagers ;
  • les eaux issues des piscines pour le lavage des sols en intérieur et l’arrosage de jardins potagers ;
  • les eaux vannes traitées issues des toilettes pour l’évacuation des excreta, l’arrosage des jardins potagers, le nettoyage des surfaces extérieures dont le lavage des véhicules au domicile, l’arrosage des espaces verts et des toitures et murs végétalisés à l’échelle des bâtiments.

Avant toute utilisation, les eaux grises et les eaux issues des piscines à usage collectif, ainsi que les EICH utilisées pour le lavage du linge et l’alimentation de fontaine décorative, font l’objet d’un traitement adapté aux caractéristiques des eaux et aux usages envisagés, qui ne dégrade pas la qualité des EICH, par exemple par la formation de sous-produits. Il doit permettre de garantir en permanence, au point de soutirage, leur conformité vis-à-vis des critères de qualité fixés par arrêté. Un contrôle mensuel des paramètres est réalisé pendant 3 mois après la première mise en service, puis selon une fréquence différente selon les paramètres : en continu (turbidité, chlore total, résiduel de chlore libre, si chloration), 6 fois par an (Escherichia coli, coliphages somatiques, carbone organique total) ou 1 fois par an (Legionella spp. et Legionella pneumophila).

 

Des modalités de gestion et de contrôle des systèmes d’utilisation des EICH

Les systèmes d’utilisation d’EICH font l’objet avant leur première mise en service d’une déclaration du propriétaire des réseaux intérieurs de distribution d’eau auprès du préfet du département. Toutefois, les systèmes utilisant uniquement des eaux de pluie, des eaux douces, des eaux de puits et de forage peuvent être réalisés sans procédure sauf pour le lavage du linge.

Les établissements recevant du public sensible (établissements de santé, établissements thermaux, établissements sociaux et médicosociaux, établissements d’hébergement pour personnes âgées, cabinets médicaux et dentaires, laboratoires d’analyse de biologie médicale, établissements de transfusion sanguine, crèches) peuvent utiliser des EICH dans leur enceinte à la condition d’une demande d’autorisation au préfet du département déposée par le propriétaire des réseaux intérieurs de distribution d’eau. La demande est accompagnée d’une évaluation des risques sanitaires et de propositions de mesures préventives et correctives pour maîtriser et gérer ces risques, notamment lors des dysfonctionnements du système d’utilisation des EICH, de la description détaillée des modalités de contrôle, de surveillance, d’entretien et d’exploitation des installations d’utilisation des EICH et des informations qui seront enregistrées dans un carnet sanitaire ainsi que des modalités de transmission au préfet des données collectées et enregistrées. Toutefois, l’utilisation d’eaux de pluie, d’eaux douces et d’eaux des puits et des forages dans les établissements recevant du public sensible n’est pas soumise à autorisation pour des usages d’arrosage de toitures et murs végétalisés, d’arrosage des espaces verts et de nettoyage des surfaces extérieures, dont le lavage des véhicules exclusivement à domicile. Dans ce cas, les systèmes d’utilisation d’EICH sont localisés dans des zones dont l’accès est réservé au personnel de ces établissements.

Le propriétaire des réseaux intérieurs de distribution d’EICH est tenu :

  • de recourir à des systèmes conçus, installés et exploités de manière à limiter la stagnation de l’eau et l’élévation importante de température, et de préférence en dehors des périodes de fréquentation du public pour les opérations de lavage et d’arrosage, afin de ne pas présenter de nuisances pour l’usager, de risque de contamination du réseau d’eau destinée à la consommation humaine ou de risque d’exposition des personnes à des agents pathogènes ou substances chimiques susceptibles d’altérer leur état de santé ;
  • de s’assurer de la conformité de son système vis-à-vis des obligations de protection des réseaux d’eau destinée à la consommation humaine contre les pollutions par retours d’eau ainsi que des obligations de distinction et de repérage explicite des réseaux d’eau, d’absence de voisinage des points de soutirage, de verrouillage des points d’EICH, situés dans un local fermé non accessible au public ;
  • de mettre en place une démarche d’analyse et de gestion préventives des risques liés à l’utilisation des systèmes d’utilisation d’EICH ;
  • de s’assurer, préalablement à tout raccordement initial ou périodique des usagers au système d’utilisation d’EICH, de sa conformité à l’ensemble des exigences précédemment citées ;
  • le cas échéant, d’assurer une surveillance de la qualité des EICH au niveau d’un point de soutirage représentatif de la qualité de l’eau mise à disposition des usagers à une fréquence adaptée aux risques qu’elles peuvent présenter ;
  • d’effectuer les vérifications et l’entretien périodique nécessaires afin de s’assurer du maintien en bon état de fonctionnement du système (examen visuel hebdomadaire, maintenance annuelle) ;
  • de mettre à l’arrêt le système en cas de dysfonctionnement de nature à créer un risque pour la santé des personnes ;
  • de mettre en place un affichage mentionnant la présence d’EICH à chaque point de soutirage du système de ces eaux par une signalétique « eau non potable » ;
  • d’informer les usagers concernés de la présence et des modalités de fonctionnement du système et, le cas échéant, de la qualité et du prix de l’eau mise à disposition par le système ;
  • d’assurer la traçabilité de l’ensemble des informations du système, consignées dans un carnet sanitaire et les tenir à disposition des autorités sanitaires.

Afin d’assurer la continuité de l’approvisionnement en eau pour les usages domestiques nécessitant un apport constant d’eau (évacuation des excreta et lavage du linge), les réservoirs de stockage du système d’utilisation des EICH sont équipés d’un dispositif permettant leur remplissage avec de l’eau destinée à la consommation humaine issue du réseau intérieur de distribution d’eau potable, en cas d’aléas au niveau du système. Lors de la désactivation du système d’utilisation des EICH, les eaux collectées sont directement évacuées dans le réseau de collecte des eaux usées. Avant toute nouvelle remise en service, le système est nettoyé, désinfecté, rincé, et la conformité des EICH aux critères de qualité est vérifiée.

Le directeur général de l’agence régionale de santé peut, dans le cadre de ses missions d’inspection et de contrôle, procéder au contrôle de la mise en œuvre des dispositions de gestion des systèmes d’utilisation des EICH. En cas de non-respect, le préfet du département met en demeure le propriétaire de prendre les mesures préventives ou correctives. En cas de risque imminent pour la santé publique ou de menace sanitaire grave, le propriétaire met à l’arrêt le système d’utilisation d’EICH et met en œuvre les mesures nécessaires afin de s’assurer de l’innocuité de son système vis-à-vis des usagers du bâtiment. Il le notifie à l’agence régionale de santé qui peut, sans formalité préalable, suspendre ou interdire l’utilisation du système d’EICH et imposer la mise en œuvre de mesures correctives et de vérification avant la remise en usage du système.

La réutilisation des eaux dans les bâtiments devient aujourd’hui possible pour certains usages domestiques mais elle est soumise à des règles précises de conception, d’installation, de protection, de traitement éventuel, d’exploitation, d’entretien et de maintenance, de déclaration ou d’autorisation pour les établissements recevant du public sensible, de vérification de leur conformité à des critères de qualité et de mise à l’arrêt, d’enregistrement des informations, d’information du public, afin de protéger la santé des usagers du bâtiment.

 

Pour en savoir plus

Haut Conseil de la santé publique. Avis du 22 avril 2022 relatif aux impacts sanitaires des politiques de substitution des eaux destinées à la consommation humaine dans les usages domestiques par des eaux « non conventionnelles », 2022 : https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=1198