Pathologies

Troubles du métabolisme

YearBook 2024

Laurence Guldner (1), Julie Chesneau (2), Magali Corso (1), Perrine de Crouy-Chanel (2), Sandrine Fosse-Edorh (3), Sarah Goria (2), Alexia Peyronnet (1), Clara Piffaretti (3), Morgane Stempfelet (1)

1. Direction santé environnement travail (DSET), Santé publique France, Saint-Maurice
2. Direction appui, traitement et analyse de données (DATA), Santé publique France, Saint-Maurice
3. Direction des maladies non transmissibles et traumatismes (DMNTT), Santé publique France, Saint-Maurice

Télécharger le PDF de la synthèse

Les autres synthèses de la rubrique :

Synthèse publiée le : 01/11/2024

SYNTHÈSE :
Variations spatiotemporelles de l’incidence du diabète de type 1 chez l’enfant et liens avec des facteurs géographiques environnementaux

Plusieurs études récentes, dont une menée en France entre 2010 et 2017, ont mis en évidence une augmentation de l’incidence du diabète de type 1 de l’enfant ainsi que des disparités géographiques, en lien avec des déterminants environnementaux, suggérant notamment une association positive entre l’incidence de diabète et les niveaux d’émission de polluants atmosphériques à l’échelle locale ou nationale.

 

Contexte

Le diabète de type 1 (DT1) est une maladie auto-immune causée par le dysfonctionnement des lymphocytes T du système immunitaire, qui détruisent les cellules β des îlots de Langerhans du pancréas [1]. Le traitement par insuline est vital, et un retard au diagnostic peut entraîner des complications graves (acidocétose, comas) pouvant aller jusqu’au décès. Les complications chroniques du DT1 sont fréquentes et sévères (maladies cardiovasculaires, insuffisance rénale, amputations, cécité). Le DT1 apparaît souvent brutalement, chez des individus jeunes (dans 50 % des cas avant l’âge de 20 ans avec un pic vers 12 ans). C’est l’une des maladies métaboliques chroniques les plus courantes chez les enfants et les adolescents, et son incidence ne cesse d’augmenter depuis une trentaine d’années, en France et à l’international [2]. Cette augmentation temporelle laisse suspecter l’influence de certaines modifications concomitantes de l’environnement, au-delà des facteurs génétiques connus (gènes de prédisposition), avec de probables interactions gènes-environnement, de plus en plus fréquemment rapportées dans la littérature.

À l’échelle individuelle, des études de cohorte et cas-témoins ont montré que le risque de DT1 varie d’un sujet à l’autre en fonction de facteurs génétiques (gènes du système HLA, impliqué dans la tolérance immunitaire vis-à-vis des cellules du « soi »), infectieux (entérovirus), mais également, de façon plus récente, en fonction des niveaux d’exposition à des polluants environnementaux, notamment atmosphériques [2, 3].

À l’échelle populationnelle, des études de corrélation géographique ont montré que ce risque variait également d’un territoire à l’autre, en lien avec des facteurs environnementaux. Ces études ont permis d’observer une hétérogénéité géographique de l’incidence du DT1 de l’enfant, avec des zones dans lesquelles l’incidence locale dépasse l’incidence de référence, ces zones de surincidence partageant par ailleurs des caractéristiques communes en termes des facteurs de risque du DT1. L’étude menée par Di Ciaula et al. dans 19 pays européens a notamment montré que l’incidence du DT1 était plus élevée dans les pays où les concentrations dans l’air de particules en suspension de diamètre inférieur à 10 microns (PM10), de composés organiques volatils (COVs) et d’oxydes d’azote (NOx) étaient les plus élevées [4]. Dans l’étude de Sheehan et al., menée au sein des 354 « local authority districts » anglais chez 13 948 enfants de 0 à 9 ans, les auteurs ont mis en évidence une association entre l’incidence de DT1 et des facteurs de risque environnementaux (PM10, NO, monoxyde de carbone, radon, plomb dans les sols, ensoleillement) ou sociodémographiques (densité de population, répartition ethnique) [5].

 

Surveillance du DT1 de l’enfant en lien avec l’environnement à Santé publique France

Santé publique France a publié en 2023 un rapport d’étude sur le DT1 de l’enfant et ses liens avec les caractéristiques environnementales à l’échelle des cantons français [2]. Il visait à répondre à trois questions, soulevées notamment par les résultats des études précédentes :

  • comment l’incidence du DT1 chez l’enfant a-t-elle évolué, en France, entre 2010 et 2017 ?
  • sur cette période, existait-il des disparités géographiques dans la répartition des cas de DT1 et notamment des zones de surincidence ?
  • les zones où la proportion de sujets atteints de DT1 est plus élevée partagent-elles des caractéristiques communes en termes d’exposition à des facteurs de risque de DT1 ?

Les variations spatiotemporelles de l’incidence du DT1 chez les enfants de 6 mois à 14 ans entre 2010 et 2017 en France ont ainsi été décrites à l’échelle des départements (n = 101 incluant les DROM) et des cantons (n = 1972, hors DROM). Un algorithme a permis de sélectionner les cas incidents de DT1 dans le système national des données de santé (SNDS) pour estimer l’incidence.

L’association entre le taux d’incidence de DT1 et les niveaux d’exposition aux polluants environnementaux dans les cantons français a ensuite été étudiée en tenant compte d’autres facteurs de risque de DT1, via des régressions de Poisson et des modèles bayésiens hiérarchiques. Des indicateurs géographiques ont été construits afin de caractériser les cantons en termes de niveaux de polluants chimiques : polluants atmosphériques (PM10, PM2,5, NO2, O3, PCBs, dioxines et furanes [PCDD-F], contaminants de l’eau de boisson), physiques (température, UVB), de présence d’activités polluantes (activités agricoles, industries, réseau routier), de caractéristiques sociodémographiques (densité de population, indice de désavantage social) et d’autres facteurs de risque (âge maternel moyen à l’accouchement, taux d’obésité morbide, de naissances par césarienne, de prééclampsie et de diabète gestationnel, circulation virale).

 

Résultats

Parmi les 16 683 enfants de 6 mois à 14 ans nouvellement diagnostiqués pour un DT1 en France sur la période 2010‑2017, les résultats mettent en évidence :

  • un taux d’incidence annuelle moyen du DT1 sur l’ensemble de la période de 17,7 pour 100 000 enfants, ayant augmenté de 30,9 % (IC 95 % : 24,9-37,1) entre 2010 et 2017 (15,4 en 2010 versus 19,7/100 000 en 2017), correspondant à une augmentation d’environ 4 % par an, avec des taux plus élevés chez les garçons (18,3 pour 100 000) que chez les filles (17,1/100 000), qui augmentent avec la catégorie d’âge (de 12,9 chez les 6 mois-4 ans à 21,2/100 000 chez les 10-14 ans) (figure 1) ;
  • une répartition hétérogène des cas en France, avec un risque significativement plus élevé de développer un DT1 dans des cantons localisés majoritairement dans la partie nord des régions Haut-de-France, Île‑de‑France et Grand-Est, et dans le Sud‑Est (autour d’une zone située à la jonction des régions Occitanie, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Auvergne-Rhône-Alpes) (figure 1) ;
  • une très forte corrélation entre les différents niveaux cantonaux d’exposition à des polluants chimiques de l’environnement, avec des associations positives entre les niveaux de NO2, de particules PM10 et PM2,5, PCBs et PCDD-F, tous négativement corrélés aux niveaux d’O3 ou d’UVB (eux-mêmes très corrélés entre eux) et positivement corrélés à la densité de population. Ce résultat justifie l’intérêt des approches multifactorielles pour éviter les biais de confusion ;
  • après ajustement sur les autres facteurs de risque de DT1, des taux d’incidence du DT1 plus élevés de 13 % dans les cantons présentant des concentrations atmosphériques de NO2 supérieures : RR = 1,13 (IC 95 % : 1,05-1,23), pour une augmentation du 25e au 75e percentile de la distribution de la variable. Les taux de DT1 étaient également plus élevés de 11 % dans les cantons les plus défavorisés : RR = 1,11 (IC 95 % : 1 ,09-1,14) pour une augmentation du P25 au P75 du FDep (french deprivation index), et plus faible de 6 % dans les cantons où la part de la surface occupée par des cultures agricoles est plus grande (cantons moins urbanisés et où la densité de population est plus faible) : RR = 0,94 (IC95 % : 0,91-0,98) pour une augmentation du P25 au P75 de la part de surface agricole utile rapportée à la surface du canton.

 

Figure 1. Variations temporelles et spatiales du risque de DT1 sur la période 2010-2017 : taux annuel d’incidence du DT1 (pour 100 000 personnes-années) par sexe et classe d’âge (haut) et risques relatifs de développer un DT1 à l’échelle départementale ou cantonale (bas).

 

Conclusion

Cette étude nationale met en évidence une augmentation de plus de 30 % des cas de DT1 de l’enfant sur la période 2010-2017 en France et des inégalités dans la répartition spatiale des cas de DT1. Elle a permis d’identifier, parmi un grand nombre de facteurs de risque connus du DT1 de l’enfant (qui doivent être considérés dans des études multifactorielles au vu des fortes corrélations entre eux), ceux qui sont susceptibles d’influencer l’incidence de cette pathologie à l’échelle populationnelle du canton (niveaux d’urbanisation, de désavantage social et de polluants atmosphériques). Les hypothèses issues de ces travaux, cohérentes avec les éléments de la littérature sur les facteurs de risque à l’échelle individuelle, permettent d'orienter de futurs travaux de recherche et à terme de prioriser les actions, notamment en matière de prévention au niveau d’un territoire pour favoriser des environnements favorables à la santé. Ces résultats soulignent une nouvelle fois la nécessité de réduire l’exposition à la pollution atmosphérique et les enjeux associés aux inégalités sociales de santé.

Dans le cadre de la surveillance populationnelle de pathologies multifactorielles, l’approche écologique géographique multifactorielle employée ici s’avère particulièrement pertinente. Elle permet en effet de mettre en perspective, sur l’ensemble du territoire, de multiples facteurs d’inégalités territoriales (sanitaires, sociales ou environnementales), très corrélés entre eux, grâce à l’utilisation de méthodes statistiques adaptées, permettant d’isoler la contribution de ces différents facteurs. Elle s’appuie en outre sur des données de santé (SNDS) et environnementales (notamment issues du catalogue du Green Data for Health : https://gd4h.ecologie.gouv.fr/) disponibles, sans coût de recueil supplémentaire.

La méthode développée pour l’étude du DT1 de l’enfant et la multiplicité des indicateurs géographiques construits pourront être capitalisées pour une application ultérieure, sur d'autres pathologies d'intérêt dans le cadre de la surveillance des pathologies en lien avec l’environnement.

 

Références

[1] INSERM. Diabète de type 1. Une maladie auto-immune de plus en plus fréquente, 2019 :https://www.inserm.fr/dossier/diabete-type-1/

[2] Peyronnet A, Goria S, Stempfelet M, et al. Diabète de type 1 chez l’enfant : variations spatio-temporelles de l’incidence et étude écologique des facteurs géographiques de variation en France, de 2010 à 2017. Saint-Maurice : Santé publique France, 2023.

[3] Piovani D, Brunetta E, Bonovas S. UV radiation and air pollution as drivers of major autoimmune conditions. Environ Research 2023 ; 224 : 115449.

[4] Di Ciaula A, Portincasa P. Relationships between emissions of toxic airborne molecules and type 1 diabetes incidence in children: An ecologic study. World J Diabetes 2021 ; 12 : 673-84.

[5] Sheehan A, Freni Sterrantino A, Fecht D, Elliott P, Hodgson S. Childhood type 1 diabetes: an environment-wide association study across England. Diabetologia 2020 ; 63 : 964-76.