Synthèse publiée le : 15/06/2020
Synthèse :
Voitures électriques et santé : état des connaissances
Le secteur des transports est fortement dépendant des énergies fossiles. Il est également responsable de près de 30 % des émissions de gaz à effet de serre en France métropolitaine. Il constitue, notamment en milieu urbain, une source notable de pollution atmosphérique (l’un des principaux émetteurs d’oxydes d’azote et de particules) et de pollution sonore, dont les impacts sanitaires sont reconnus. Une rupture est donc indispensable et la mobilité électrique peut alors apparaître comme une solution efficace, un changement radical de stratégie.
Mais peut-on réellement parler de mobilité propre ? Sans impacts pour la santé ? Est-ce une exception française liée à un mix énergétique spécifique et favorable? Beaucoup d’idées reçues circulent. L’année 2019 a été riche en publications diverses sur ce sujet. Cet article tente de proposer un état des lieux des connaissances environnementales et sanitaires disponibles.
Véhicules électriques : mais de quoi parle-t-on ?
Les véhicules électriques se répartissent en 3 familles :
- Les 100 % électriques : voiture entièrement électrique, ne disposant que d’un seul et unique moteur électrique. Trouve son intérêt pour des trajets quotidiens. Autonomie limitée pour la majorité des modèles, souvent à peine supérieure à 150 km dans des conditions d’utilisation réelles. Temps de recharge variable (en moyenne 8 h pour une charge complète sur une prise de courant traditionnelle). Usage interurbain, trajets type domicile-travail.
- Les hybrides classiques : disposent de 2 moteurs, un moteur électrique et un moteur thermique (essence ou diesel), utilisés selon les besoins.
En fonction du niveau d’hybridation de ces 2 moteurs, on parle de :
- Micro-hybride : voiture conventionnelle propulsée par un moteur thermique équipé d'une fonction Stop-Start.Le moteur thermique est coupé automatiquement lors des arrêts et il est relancé automatiquement dès que le conducteur redémarre.
- Mild hybrid, ou « hybride douce » : Véhicule équipé d’un petit moteur électrique (20 à 40 chevaux) permettant d'ajouter de la puissance au moteur thermique.Sauf à l'arrêt, le moteur thermique tourne en permanence. Le moteur électrique permet de rouler en mode 100 % électrique, mais pendant une très courte période (aux alentours de 5 km).
- Full hybrides, ou « hybrides fortes » : la voiture peut être entraînée par chaque moteur séparément ou par les deux moteurs ensemble. Le pourcentage d'utilisation du moteur électrique dépend de la capacité de la batterie, dont la charge est effectuée, en roulant, par le moteur thermique et par l'énergie cinétique récupérée.
- Les hybrides rechargeables, ou Plug-in hybrid Electric Vehicle (PHEV) : véhicule hybride qui peut se recharger sur le réseau électrique, ce qui permet de l'utiliser en mode tout électrique pour les petits trajets (ex : jusqu'à 60 km par jour sans utiliser d'essence, en rechargeant les batteries la nuit). Le moteur thermique est mis en route lorsque les batteries sont épuisées ou au-delà d'une certaine vitesse, allouant jusqu'à 600 km d'autonomie au total. La voiture hybride rechargeable fonctionne comme une hybride classique, à ceci près qu’elle peut être rechargée directement et rapidement (2h) via une simple prise électrique. L’autonomie en mode électrique est ainsi augmentée.
Un véhicule « propre » et respectueux de l’environnement ?
Le cas des batteries
Principe : La batterie du véhicule électrique transforme une énergie chimique en énergie électrique lors de l'alimentation électrique du véhicule et inverse le processus pour sa recharge.
Il existe différents types de batteries, faisant appel à divers éléments chimiques (Cadmium, Nickel, Lithium, cobalt, graphène…), leur conférant des propriétés et performances spécifiques : légèreté, stockage d’énergie important, stabilité de la charge, temps de charge réduit, pollution réduite ; mais entraînant également des inconvénients notables : inflammabilité, toxicité élevée, coût, augmentation de température nécessitant un système de refroidissement efficace, recyclage difficile, extraction non éthique, raréfaction des ressources... Du fait de la forte pollution qu’il entraîne, le Cadmium n’est plus utilisé aujourd’hui.
Les voitures récentes sont majoritairement équipées de batteries Lithium-Ion offrant une meilleure densité énergétique, mais associées à une importante énergie massique et à une forte inflammabilité. Ainsi, malgré les évolutions indéniables des dernières années, les batteries restent encombrantes, et leur poids est loin d’être négligeable (250 kg en moyenne).
Par ailleurs certains auteurs, tel l’écologue Richard Heinberg prévoient que les terres rares et le lithium pourraient venir à manquer si les motorisations électriques et hybrides se généralisent [1]. L’extraction du cobalt, utilisé pour la fabrication des cathodes dans les cellules des accumulateurs lithium-ion (chaque batterie nécessiterait entre 5 et 15 kg de cobalt), n’est pas sans poser de graves problèmes éthiques : les conditions d’extraction portent atteinte aux droits humains (notamment le travail des enfants « creuseurs ») et génèrent des risques environnementaux en contradiction avec une analyse du cycle de vie (ACV) des véhicules électriques vertueuse. La RDC (République démocratique du Congo) produit environ 60 % du cobalt mondial et possèderait 50% des réserves de ce métal [2]. Quant à la Chine, elle assure quasiment l'intégralité de sa transformation. Produire des batteries éthiques est une nécessité, et les constructeurs se tournent vers des pays producteurs plus respectueux (Roumanie par exemple). En France, plusieurs gisements de lithium de qualité ont été découverts dans la plaine du Rhin. Le volume détecté permettrait d'envisager la production annuelle de près de 1 500 tonnes de lithium, représentant 10 % des besoins annuels d'approvisionnement estimés pour la France dans les prochaines années.
La recherche évolue très rapidement et de nouveaux types de batteries, s’affranchissant du lithium et du cobalt, sont à l’étude. C’est notamment le cas des batteries à hydrogène embarqué dans un réservoir très haute pression (700 bars) alimentant une pile à combustible, et des batteries sodium-Ion, qui semblent plus puissantes, permettant des charges plus rapides. Le sodium est par ailleurs abondant et son extraction moins coûteuse.
L’autre point sensible des batteries est bien sûr leur autonomie. En utilisation réelle, elle dépasse rarement 150 km [3]. Le CGDD (Commissariat général au développement durable) indiquait en juillet 2017 que : «les consommations des véhicules électriques varient fortement en fonction des saisons (utilisation de la climatisation l’été et du chauffage l’hiver qui, en l’absence de moteur thermique, crée une surconsommation importante) et des changements d’altitude » [4]. Cette autonomie limitée, la disponibilité des points de charge et la durée de rechargement constituent, en plus du prix d’achat, des freins indéniables au développement des VE, notamment en zones rurales, montagneuses.
Le coût de la batterie (en exploitation, mais aussi ACV) est un autre paramètre freinant encore aujourd’hui l’essor des VE. Il dépend de la capacité énergétique en kilowattheure (kWh) de la batterie, qui va conditionner l’autonomie du VE, mais aussi de la puissance du moteur qu’elle alimente*. Une analyse de BloombergNEF [5] indique qu’en 2015, aux USA, le prix de la batterie d’une voiture électrique représentait plus de la moitié du coût de production du véhicule (57 %). Il est en 2020 de l’ordre de 25 %. Le développement du marché du véhicule électrique a fait chuter le tarif du kilowattheure (capacité énergétique des batteries). Il est passé en 2018 sous les 160 €, ce qui reste encore considérable puisque par exemple, pour une ZOE Renault équipée d’une batterie de 52 kW/h, ce coût de la batterie seule s’élève à 8 100 euros. À cela il faut rajouter le fait que la batterie doit être remplacée au bout de 8 ans environ (ou 160 000 kilomètres, associés à une perte de puissance de plus de 60 %, donc une impossibilité de déplacer le véhicule) pour un usage standard, mais au bout de 2 ans pour un usage intensif, type taxi ou VTC. Le prix du marché à la location, une autre solution proposée par certains constructeurs est quant à lui proche de 100 €/mois.
Cependant, globalement, les voitures tout électriques sont moins onéreuses en entretien et en énergie que leurs homologues thermiques.
La fin de vie des batteries est un paramètre sensible. L’UE a établi la directive 2006/66/EC qui impose des objectifs concernant leur recyclage. Pour les batteries lithium-ion, il est fixé à 50 % de leur poids moyen [6]. Les filières de recyclage sont encore peu développées et concernent essentiellement le recyclage des métaux, qui présente un intérêt économique certain. L’Europe par ex, dispose de faibles ressources en métaux précieux et doit importer, d’où une forte dépendance que le recyclage pourrait légèrement atténuer.
Par ailleurs, ces méthodes de recyclage ne sont pas sans conséquences pour l’environnement puisqu’elles font appels à différents processus et substances, dont certaines peuvent être classées CMR (ex : N-Méthyl-2-pyrrolidone), et génèrent des fumées, poussières, boues et autres rejets solides. Ces méthodes présentent également des risques pour les travailleurs de ces filières : le lithium au contact de l’air peut s’enflammer et est explosif, forte exposition à différents polluants et poussières dont les compositions et donc les effets sont mal connus. Certains constructeurs font donc le choix du recyclage, qui s’avère par ailleurs très coûteux. D’autres choisissent de leur donner une seconde vie en les utilisant pour du stockage stationnaire d’électricité.
L’ACV des véhicules électriques et thermiques
Depuis quelques années, les ACV comparées des voitures électriques (VE) et thermiques (VT) se multiplient. Les conclusions sont parfois contradictoires mais les méthodologies déployées ne sont pas toujours comparables. Les ACV sont en effet des procédures normalisées permettant de réaliser un bilan environnemental multicritère (la santé peut éventuellement être intégrée, de même que l'économie circulaire) et multi étapes d'un système (produit, service, entreprise ou procédé) sur l'ensemble de son cycle de vie (du berceau à la tombe). Déployées pour les moyens de transports, elles doivent permettre une comparaison objective des impacts environnementaux et sanitaires liés à l'usage des mobilités thermiques et électriques. Cependant concernant ces derniers, les méthodologies engagées doivent affronter de nombreuses incertitudes (choix technologiques notamment sur les batteries, usages, évolution du mix énergétique etc…) pouvant en partie expliquer les conclusions contradictoires entre études constatées.
En France, l’ADEME a rendu en 2016 un avis sur le sujet qui conforte l’intuition selon laquelle le mode de production d’électricité impacte fortement le bilan environnemental du VE [7] : en raison du pourcentage élevé d’énergie nucléaire (et renouvelable), le VE français est ainsi plus indépendant des ressources fossiles, contribue moins à la création d’ozone photochimique et ne participe pas à l’émission directe de polluants atmosphériques (oxydes d’azote, Composés Organiques Volatils, métaux, particules, émis par les gaz d’échappement des VT). Il affiche également une réduction d’environ 65% des émissions de gaz à effet de serre, par rapport à un véhicule thermique. Ce qui n’est pas le cas en Allemagne par exemple, où le VE affiche une contribution au changement climatique aussi élevée que celle d’un véhicule Diesel (parc charbon très présent) [8].
Fin 2017, une étude réalisée conjointement par la Fondation pour la nature et l'homme et European Climate Fondation, et à laquelle l’ADEME a participé [9] confirme que les atouts environnementaux du VE sont bien intrinsèquement liés à la mise en œuvre de la transition énergétique, donc à la sortie des énergies fossiles. L’étude souligne également que la réduction des impacts liés à l’étape de fabrication est une condition de la soutenabilité de la filière et que cela doit passer par la mise en place d’une économie circulaire, de la conception des batteries (écoconception et développement de nouvelles chimies) au recyclage, en passant par l’optimisation des usages des véhicules (« vehicle-to-grid », véhicules partagés) et la réutilisation des batteries en seconde vie, 40% de l’empreinte environnementale (climat et écosystème) étant liés à la fabrication des batteries.
Enfin, en 2018, l’Agence Européenne de l’Environnement (AEE) publiait le rapport « Electric vehicles from life cycle and circular economy perspectives » [10], portant notamment sur les impacts environnementaux des VE (comparés aux véhicules conventionnels thermiques, VT) à travers le changement climatique et les impacts sanitaires et écosystémiques. L’agence y indique que, globalement, en Europe, selon les hypothèses prises, le cycle de vie des VE génère moins de gaz à effet de serre (GES) que les VT, mais que, bien évidemment, ce bénéfice est intrinsèquement lié au mix énergétique. Ainsi, pour les pays tels que la Pologne et l’Allemagne, encore fortement dépendants d’une énergie carbonée (charbon), la balance s’inverse totalement, le VE devenant un plus fort contributeur aux émissions de GES. L’Allemagne entame d’ailleurs une réflexion sur l’abandon du charbon au profit des énergies renouvelables.
Tout récemment, en novembre 2019, la société de conseil Arcadis a annoncé les résultats de son étude (seul le résumé est disponible à ce jour) portant sur l’impact environnemental des trottinettes électriques en libre usage, dans un contexte parisien [11]. Ce travail indique que cet outil de micro-mobilité, flexible et populaire, présente un bilan carbone équivalent à celui d’une voiture transportant trois passagers. Plus de la moitié des émissions de CO2 (ou équivalent) calculées provient des matériaux de fabrication et plus d’un tiers de l’exploitation (moyens déployés pour la récupération des trottinettes sur l’espace public, leur recharge et leur maintenance). Par contre, les émissions de GES dues à la consommation électrique des batteries sont marginales. Cette enquête plaide pour un encadrement renforcé de ce mode de locomotion et une optimisation de ses conditions d’exploitation (dont un allongement de leur durée de vie).
Et la santé ?
L’importance du mix énergétique
L’exception française
En France, le mix énergétique dessiné par la Programmation Pluriannuelle de l’Energie est composé essentiellement de moyens renouvelables et nucléaires. Selon une étude de RTE (Réseau de Transport d’Electricité), avec le concours d’AVERE (Association nationale pour le développement de la mobilité électrique), le réseau de transport de l’électricité peut absorber un important développement de la mobilité électrique [12]. Le pilotage de la recharge des véhicules électriques offre la possibilité de moduler fortement la courbe de consommation nationale et de l’adapter à la production d’énergies renouvelables, tout en respectant les besoins de mobilité des utilisateurs. Le parc de production peut ainsi être optimisé, conduisant à moins solliciter les moyens fossiles carbonés, et donc à réduire les émissions polluantes. Les bénéfices sanitaires sont donc indéniables : moins d’émissions polluantes à l’échappement via la mobilité électrique, et moins d’émissions polluantes liées aux Grandes Installations de Combustion (GIC). La spécificité française est enviable car cette situation favorable à l’implantation de la mobilité électrique n’est pas partagée partout en Europe, encore moins en Asie.
Pour l’avenir, les économistes garantissent la forte cohérence entre l’évolution du mix énergétique français et le développement des transports électrique. À l’horizon 2035, la consommation d’énergie liée au développement de la mobilité électrique devrait avoisiner les 50 TWh, soit 10 % de la consommation électrique française. L’impact du VE ne devrait donc pas mettre en péril la sécurité d’approvisionnement du territoire.
La situation en Chine
La pollution atmosphérique en Chine est responsable chaque année de plus d’un million de décès anticipés et impacte fortement le rendement des récoltes agricoles (pollution oxydante à l’ozone qui affecte la croissance et la physiologie des végétaux). Elle ampute l’économie du pays à hauteur de 33 milliards d’euros/an. Pour lutter contre le smog qui frappe les grandes métropoles très peuplées, le gouvernement a mis en place une politique extrêmement favorable à la mobilité électrique. Or, si l’impact sanitaire au cœur des villes est indéniablement réduit du fait d’une diminution évidente des émissions à l’échappement des véhicules, ce n’est pas le cas dans le reste du pays : bien que le gouvernement mise sur les énergies renouvelables, le mix énergétique chinois est encore trop carboné, dépendant de moyens de production au charbon (à plus de 70 %) extrêmement sollicités du fait d’une demande énergétique en pleine croissance. Le charbon regorge dans les sous-sols de tout le pays, lui assurant une autonomie énergétique et un usage intensif pour encore de nombreuses années. Les GIC sont installées à travers tout le pays mais majoritairement dans la moitié Est, là où les populations, urbaines et rurales sont également les plus nombreuses. Les habitudes de recharge des utilisateurs de VE, privilégiant les recharges rapides aux heures de pointe, sollicitent principalement ces centrales à charbon, au détriment des énergies renouvelables, qui serait inversement sollicitées davantage si les recharges des VE se faisaient plus lentement, plutôt en heures creuses, sur le lieu de travail. La pollution de l’air augmente donc du fait de cette sur sollicitation des GIC, exposant les populations, non seulement riveraines de ces sites, mais également distantes, du fait du transport de la pollution sur de longues distances. Bien difficile alors de dresser un bilan sanitaire. Ji et al. [13] ont étudié l’impact environnemental et sanitaire des transports électriques et thermiques dans 34 villes chinoises. Ils indiquent que les facteurs d’émissions (particules PM2.5) des véhicules thermiques conventionnels sont plus faibles que ceux de véhicules électriques comparables, du fait de cette dépendance aux GIC. Cependant, la fraction inhalée est, logiquement, plus élevée pour les Véhicules thermiques que pour les VE, les émissions de combustion à l’échappement se faisant au plus près des populations. Enfin, l’impact sanitaire (par passager et par Km parcouru) dû aux particules PM2.5 primaires, est plus important pour les véhicules thermiques diesel, puis par ordre décroissant, pour les VE, les véhicules thermiques essence, les vélos électriques. L’impact sanitaire des particules PM2.5 secondaires est difficile à évaluer mais semble au moins aussi important que celui des particules PM primaires [13].
L’Inde, dont la croissance démographique est supérieure à celle de la Chine et qui connaît également des niveaux de pollution atmosphériques sans précédent, met en place des politiques encourageant la mobilité électrique, mais est également dépendante du charbon et du pétrole à plus de 70%. Elle se trouve donc exactement dans la même configuration que la Chine. Là encore, établir objectivement le bénéfice sanitaire global du VE comparativement aux véhicules thermiques s’avère ardu, mais les émissions de particules PM2.5 semblent plus élevées de 10 %, par Km parcouru pour les véhicules électriques [13].
Une pollution particulaire « mécanique » qui persiste
Résider à proximité d’axes de circulation à fort trafic est associé à une augmentation de la mortalité et d’effets néfastes cardiovasculaires, à l’exacerbation des maladies respiratoires, chez l’adulte, ainsi qu’à une altération du développement pulmonaire et de la cognition chez les enfants [14-16].
Si les émissions polluantes, à l’échappement des véhicules, sont bien étudiées, les émissions dites diffuses, mécaniques, le sont nettement moins. Ainsi, en Ile de France, et à Paris plus spécifiquement, les particules PM10 issues de l’abrasion des systèmes de freinage représentent près de 60 % des PM10 émises hors échappement, comprenant également l’usure des pneus, l'abrasion des routes, la remise en suspension des particules déjà déposées et présentes dans l’environnement du véhicule [17, 18]. Cette constatation est cohérente avec ce qui est observé dans les principales villes internationales ayant fait l’objet de mesures : les particules hors échappement, liées à l’abrasion, représentent parfois près de 50 % des PM10 totales émises par le trafic automobile (dont 30 % des PM10 liées à la remise en suspension) [19-21].
Selon différentes sources, l’usure des plaquettes de frein dégagerait jusqu’à 40 mg de particules par Km parcouru, contre 5 mg/km à l’émission d’un moteur Diesel et 4,5 mg/km à l’émission d’un moteur essence, respectant tous deux la norme Euro 6 [22, 23]. L'Institut de sciences appliquées de Lyon estime quant à lui qu’en France, l'usure des 20 000 tonnes de garnitures de freins consommées annuellement libère dans l’atmosphère 9 000 tonnes de particules [24].
Les systèmes de freinages sont a priori identiques que le véhicule soit électrique ou thermique. Ils sont constitués de fonte, carbone ou céramique, acier, Kevlar, fibres de verre, cuivre, bronze. L’amiante est interdite depuis 1997 et remplacée par le cuivre. La plupart des chercheurs rapportent ainsi que le fer, le cuivre, le zinc, l’antimoine et le plomb sont les métaux les plus abondants présents dans le matériau des garnitures de frein, le plomb ayant toutefois été remplacé dans les systèmes modernes. Le fer est le métal le plus abondant (jusqu'à 60 %), sa teneur variant selon le type de revêtement.
Certains travaux indiquent que la composition chimique des débris d'usure des freins, émis sous forme de paillettes, copeaux, fibres, diffère considérablement de la composition chimique du matériau d'origine constituant le système de freinage [25, 26].
Selon cette constitution, leur usure pourrait libérer à l’atmosphère différents composés plus ou moins toxiques : fer austénitique, ferrite, fibres de carbone, carbon black, carbone élémentaire, fibres minérales, fibres céramiques, vermiculite, zinc, arsenic, chrome, cuivre, plomb, béryllium, antimoine, manganèse, phénanthrène et autres hydrocarbures aromatiques, etc. [27-29].
Les études de simulation routière et de modélisation indiquent des facteurs d’émission en particules PM10, de 2,0 à 8,8 mg par véhicule-kilomètre (mg/vkm) pour l’usure des freins, et de 3,5 à 9,0 mg par véhicule-kilomètre (mg/vkm) pour l’usure des pneus [30].
Au niveau français, les travaux des projets CAREPAF (Caractérisation des Émissions de Particules de Frein) et CAPTATUS (Caractérisation physico-chimiques des particules émises hors échappement par les véhicules routiers), du programme CORTEA de l’ADEME, permettront de mieux caractériser ces émissions [31].
Les particules issues du freinage, du fait de leur composition très hétérogène, sont un mélange complexe, de nature, morphologie et de granulométrie variables. Selon les travaux du Joint Research Center de l’Union Européenne, 80 % des particules de frein émises seraient des particules PM10 (diamètre moyen de 6 µm) [30]. Cependant, d’autres travaux indiquent que les particules de freinage et de frottement se situent majoritairement dans le mode fin (1 à 2 µm), voire, ultrafin (50-100 nm)au moment des freinages les plus importants/puissants (autoroute> route> urbain) [32, 33]. Or, d’un point de vue strictement sanitaire, ces particules fines et ultrafines sont susceptibles de pénétrer profondément dans le système respiratoire et d’y entraîner divers effets du fait de leur composition, voire, de traverser les barrières biologiques (hémato-encéphalique, respiratoire, placentaire…) pour être distribuées dans tout l’organisme, atteindre le système nerveux central, le fœtus…
Très peu d’étude s’intéressent encore au lien potentiel entre particules d'abrasion (freins, pneus, route) et effets néfastes sur la santé humaine. Ainsi, dans son rapport (expertise collective) de janvier 2019 portant sur les « Effets sanitaires des particules de l’air ambiant extérieur selon les composés, les sources et la granulométrie » [34], l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), indique n’avoir recensé aucune publication examinant la relation entre l’exposition à court ou long terme aux particules issues des freins, et la santé respiratoire, la santé cardiovasculaire, la mortalité toutes causes, les hospitalisations toutes causes et la santé neurologique.
Une seule étude, [35], s’est intéressée à la relation entre l’exposition à long terme aux particules issues des freins et la santé périnatale. Les auteurs indiquent des associations positives significatives entre la pré-éclampsie et les niveaux d’exposition aux particules PM10 durant toute la grossesse (aucune association observée pour la fraction PM2.5) attribuées à l’usure des freins (source riche en fer, cuivre et antimoine), mais incluant également des poussières de route dans une moindre mesure. Cette étude présentant des risques de biais liés à l’estimation de l’exposition (un seul site de mesure, en ville, pour toutes les grossesses suivies, pas de modélisation au domicile etc.), l’ANSES conclue à une indication « faible » d’effets à long terme des particules issues de l’usure des freins sur la santé périnatale.
Plus récemment, le 9 janvier 2020, une équipe de chercheurs de l’université de Cambridge, Royaume-Uni, a publié ses travaux portant sur la comparaison de la toxicité pour la santé humaine (cultures cellulaires d’épithélium pulmonaire) des particules PM10 et PM2.5 émises par l’abrasion des plaquettes de frein et de celles émises à l’échappement des véhicules diesel. Ils confirment une composition chimique différente des particules issues de ces deux sources, mais révèlent cependant de semblables effets toxiques, principalement dus à la présence de métaux, favorisant une réponse inflammatoire et une diminution de la fonction des macrophages, sentinelles du système immunitaire, chargées de phagocyter les agents pathogènes pénétrant dans l’organisme [36]. Ces résultats, très intéressants, devront être confirmés par d’autres travaux.
Le projet ToxBrake (Évaluation de la Toxicité des Particules issues des dispositifs de Freinage par friction) supporté par l’ADEME, et qui a démarré en 2019 porte justement sur cette question [37].
La nature des émissions liées à l’usure des freins, des pneus, du revêtement routier, sont supposées identiques pour les véhicules thermiques, hybrides et électriques. Du point de vue quantitatif cependant, certains travaux mentionnent que le poids du véhicule est probablement l'un des facteurs affectant l'usure des pneus et du revêtement routier, et que plus un véhicule est lourd, plus il sera émetteur de particules hors échappement [38, 39].
Les travaux de Simons et al. [39] mettent ainsi en évidence qu’une augmentation de poids de 280 kg entraînera une augmentation des émissions de particules PM10 de 1,1 mg par véhicule-kilomètre (mg/vkm) pour les pneus, 1,1 mg/vkm pour l'usure des freins et 1,4 mg/vkm pour l'usure de la route. Pour les particules PM2,5, ces valeurs sont de 0,8 mg/vkm, 0,5 mg/vkm et 0,7 mg/vkm pour l'usure des pneus, des freins et de la route, respectivement.
Bauer et al. [40] ont montré un surpoids des voitures électriques de 24 % par rapport aux véhicules thermiques équivalents, attribué au poids des batteries (notamment sur les plus anciennes générations de véhicules électriques et pour les hybrides). Ce surpoids, essentiellement des véhicules hybrides (car équipés de la double motorisation thermique et électrique) pourrait amener une plus grosse consommation de pneus et une abrasion plus conséquente des revêtements routiers, générant ainsi de plus amples émissions de particules PM10 et PM2.5 « hors échappement » que leurs homologues thermiques [41].
Mais, par ailleurs, si les véhicules thermiques utilisent le freinage mécanique, les 100 % électriques utilisent le freinage régénératif (ou récupératif) permettant de convertir l’énergie cinétique en énergie électrique rechargeant les batteries. Les disques et plaquettes sont donc moins sollicités et donc préservés. Conséquemment, leur usure réduite limite les émissions listées ci-dessus.
Difficile alors d’avoir un avis bien arrêté sur les bénéfices ou inconvénients des VE dans ce domaine des émissions diffuses.
Pour autant, les avantages sanitaires concernant l’absence d’émissions à l’échappement des VE 100 % électriques, au plus près des populations, restent quant à eux indéniables. En effet, concernant le dioxyde d’azote, émis principalement par le secteur des transports, la Cour de Justice Européenne a estimé que « la France a dépassé de manière systématique et persistante la valeur limite annuelle pour le dioxyde d’azote depuis le 1er janvier 2010 » et l’a ainsi condamnée pour « manquement aux obligations issues de la directive qualité de l’air » de 2008. Bien que la procédure judiciaire soit longue, les textes prévoient une sanction d’au moins 11 millions d’euros et des astreintes journalières d’au moins 240 000€ jusqu’à ce que les normes de qualité de l’air soient respectées.
Les transports 100 % électriques n’émettant pas de dioxyde d’azote à l’émission, ils présentent dans ce contexte un intérêt notable. Cet avis serait à nuancer pour les véhicules hybrides qui semblent cumuler les inconvénients des 2 motorisations : ils continuent d’émettre une pollution à l’échappement, et leur surpoids accroît les émissions mécaniques liées à l’abrasion des pneus et revêtements routiers.
Par ailleurs, les émissions hors échappement sont très rarement prises en compte dans les évaluations de la filière transports (économiques, environnementales, ACV etc.). Elles ne sont pas non plus réglementées, contrairement aux émissions à l’échappement. La future Norme EURO7, qui devrait entrer en vigueur à l’horizon 2025, pourrait cependant les prendre en compte.
À noter que le secteur automobile développe des dispositifs de filtration des particules liées à l’érosion des plaquettes et disques de frein [42].
Un gain en termes d'émissions sonores ?
Le trafic routier est la principale cause de pollution sonore.
Les études spécifiques des émissions sonores des véhicules électriques indiquent qu’à des vitesses inférieures à 30 km/h (équivalent à un milieu urbain très dense), la nuisance sonore est nulle. Pour des vitesses allant de 40 à 50 km/h, la nuisance sonore, due au frottement routier, correspond à la moitié de celle d’un véhicule thermique classique équivalent. Au-delà, le bruit du frottement devient prépondérant [4].
Mais avec un effet négatif sur l'accidentologie routière ?
En milieu urbain, ce très faible niveau sonore pourrait être facteur d’accidents en réduisant le niveau de signalisation des véhicules électriques.
Cet impact est difficile à évaluer en France, mais aux USA, la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration, équivalent de « Sécurité routière » aux États-Unis), estime des taux d'incidence d’accidents avec piétons et cyclistes plus élevés pour les véhicules électriques (hybrides) que pour les véhicules conventionnels.
Les VE sont ainsi deux fois plus susceptibles d'être impliqués dans un accident de piéton durant des manœuvres telles que le ralentissement ou l'arrêt, la marche arrière, ou l'entrée/sortie d'un espace de stationnement, qui se font à des vitesses très faibles, où la différence entre les niveaux sonores produits par les hybrides et les véhicules thermiques est la plus grande [43, 44].
En Europe, depuis 2019, des bruiteurs, développés notamment dans le cadre du Projet européen eVADER (Electric Vehicle Alert for Detection and Emergency Response) sont donc obligatoires [45].
Les champs électriques et magnétiques
Les connaissances et les mesures des champs dans les voitures (électriques ou conventionnelles) sont encore parcellaires.
Dans les basses fréquences (0 Hz < f ≤ quelques kHz), l’ANSES indique des mesures de l’exposition généralement inférieures à 2 μT dans les véhicules automobiles, indépendamment de la nature de la motorisation, thermique, électrique ou hybride [46].
Les nouvelles voitures hybrides produiraient des champs magnétiques d’intensité légèrement plus élevée que les autres types de voitures (diesel, essence, électrique). Ces niveaux sont comparables à ceux rencontrés en environnement résidentiel.
Cependant ce travail de caractérisation des champs électromagnétiques basses fréquences dans les véhicules est relativement récent et il n’existe pas encore de convergence des approches méthodologiques pour évaluer les expositions.
Le sujet pourrait néanmoins réapparaitre dans les media avec la charge inductive des véhicules électriques, dont les fréquences sont plus élevés (pour l’instant, discussions au niveau normatif).
Quelle que soit la fréquence, quand les expositions respectent les valeurs imposées par la réglementation (Directive 2013/1074/UE et recommandation 1999/535/CE), aucun effet direct sur la santé n’est attendu. Cependant, des questions pourraient se poser vis-à-vis des porteurs d’implants médicaux.
Conclusion
La question de la mobilité, de son évolution vers des solutions hybrides ou électriques, concerne de multiples domaines, dont la santé n’est pas des moindres.
Les implications politiques et géopolitiques, sociales, technologiques sont multiples, imbriquées, parfois, contradictoires et très évolutives.
Strictement parlant, le véhicule électrique n’est pas exempt de pollution atmosphérique. Il n’en demeure pas moins que sur le plan des émissions directes, de la nature physico chimique de la fraction inhalée par les populations urbaines, de l’exposition de ces populations, et donc du point de vue de l’impact sanitaire (effectif de personnes impactées), le véhicule 100% électrique présente des avantages indéniables et quantifiables face aux transports thermiques.
*Pour vaincre, sur 100 km, les résistances que l’air et le sol opposent à sa progression, une voiture « standard » actuelle nécessite une énergie d’environ 15 kWh.
Références
- Heinberg R. Electric Cars to the Rescue? MuseLetter #313, June 2018.
- Banza Lubaba Nkulu C, Casas L, Haufroid V. Sustainability of artisanal mining of cobalt in DR Congo. Nat Sustain 2018 ; 1 : 495–504.
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