ANALYSE D'ARTICLE
Tumeur cérébrale après exposition aux rayonnements ionisants lors d’examens scanners de la tête ou du cou chez les enfants et les jeunes adultes : résultats de l’étude de cohorte EPI-CT
L’étude européenne EPI-CT montre qu’il existe un excès de risque de développer une tumeur cérébrale maligne après des examens scanners de la tête ou du cou chez l’enfant et le jeune adulte. Ce risque reste faible au regard du bénéfice diagnostique de ce type d’examen.
Le projet EPI-CT avait pour objectif d’étudier le risque de cancers après examen scanner dans l’enfance. En effet, entre les années 1990 et 2010, l’utilisation des scanners en pédiatrie a augmenté dans la plupart des pays industrialisés. Cette technologie d’imagerie très performante et indispensable pour la prise en charge de nombreuses maladies délivre cependant les doses les plus élevées parmi les méthodes d’imagerie. Or, les enfants sont particulièrement sensibles aux rayonnements ionisants comparativement aux adultes. La question du risque de cancer associé à l’exposition médicale aux rayonnements ionisants à visée diagnostique pendant l’enfance se pose donc. L’article de Hauptmann et al. présente les résultats concernant les examens scanners de la tête ou du cou et le risque de tumeur cérébrale maligne.
Les données de neuf cohortes européennes d’enfants, dont la cohorte française « Enfant-Scanner », mise en place par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et qui inclut 103 015 enfants [1], ont été analysées conjointement. Les participants ont été identifiés dans les systèmes d’information de 276 hôpitaux. Les critères d’inclusion étaient :
- d’avoir reçu au moins un examen scanner avant l’âge de 22 ans, enregistré entre 1977 et 2014 ;
- de ne pas avoir eu de diagnostic de cancer avant cet examen ;
- d’être toujours en vie et sans diagnostic de cancer, ni de tumeur cérébrale bénigne cinq années après ce premier examen.
Les cas de tumeurs cérébrales malignes ont ensuite été repérés dans les registres nationaux. Les doses de rayonnements ionisants reçues au cerveau ont été reconstruites à partir des caractéristiques des machines utilisées et d’une banque d’examens scanners.
Un total de 658 752 enfants et jeunes adultes ont été inclus à l’étude et suivis pendant une durée médiane de 5,6 années. Parmi eux, 27 % ont reçu uniquement un examen scanner d’une autre partie du corps que la tête/le cou, 59 % un seul scanner de la tête/du cou et 13 % deux scanners ou plus de la tête/du cou. Durant le suivi, 165 tumeurs cérébrales malignes dont 121 gliomes sont apparus. La dose moyenne cumulée reçue au cerveau était de 47,4 mGy (déviation standard : 60,9 mGy ; médiane : 44,0 mGy). Une relation positive statistiquement significative a été observée entre le nombre d’examens scanners de la tête ou du cou et l’apparition d’une tumeur cérébrale maligne. Une relation dose-risque linéaire a été déterminée avec un excès de risque relatif pour 100 mGy de 1,27 (intervalle de confiance à 95 % : 0,51-2,69) pour tout type de tumeur cérébrale maligne et de 1,11 (IC95 % : 0,36-2,59) pour le gliome uniquement.
L’influence du sexe, de l’âge lors du premier scanner, de la durée écoulée depuis celui-ci et de l’âge atteint a été examinée. Seul le fait de s’éloigner de la date de l’exposition entraînait une diminution significative du risque parmi ces facteurs étudiés. De plus, de nombreuses analyses de sensibilité ont été réalisées : suppressions successives de chacune des cohortes nationales, exclusion des participants ayant eu un examen scanner avant 1990, date avant laquelle les doses reçues sont calculées avec une incertitude plus élevée, exclusion des participants les plus âgés qui ont pu être exposés à d’autres facteurs de risque non connus, exclusion des années calendaires les plus récentes pour tenir compte de l’hypothèse de registres encore incomplets, etc. L’ensemble de ces analyses complémentaires a conforté les résultats et l’existence d’un excès de risque de tumeur cérébrale maligne après examen scanner de la tête ou du cou dans l’enfance.
Les auteurs concluent en rappelant que le scanner est un outil très utile pour la prise en charge des maladies et qu’il est important de ne pas renoncer à son utilisation lorsqu’il est nécessaire, dans le respect des règles de radioprotection : justification de l’examen, substitution de l’examen par un autre type d’examen si le contexte le permet, et optimisation, à savoir recours à la dose la plus faible possible pour une qualité d’examen suffisante à l’obtention du diagnostic de la maladie recherchée.
Commentaire
Cette étude est très robuste du fait d’une puissance statistique exceptionnelle et des nombreuses analyses de sensibilité réalisées. Les résultats sont cohérents avec ceux de précédentes études, comme ceux de la cohorte française « Enfant-Scanner » [1]. Compte tenu du risque estimé dans l’étude, pour 10 000 enfants ayant reçu un seul examen scanner de la tête ou du cou (dose moyenne égale à 38 mGy), on s’attend à observer un cas de tumeur cérébrale maligne attribuable à l’exposition aux rayonnements ionisants au cours des 5 à 15 ans suivant l’examen. Si l’on transpose ces éléments à la population française, sachant qu’environ 100 000 examens scanners de la tête ou du cou sont réalisés annuellement pour des patients de 0 à 15 ans en France (chiffre stable depuis 2012) et que la dose moyenne délivrée au niveau du cerveau lors d’un tel examen est de 20 mGy, on s’attend à cinq cas de tumeur cérébrale maligne attribuables à l’examen au cours des 5 à 15 ans suivant ce dernier. Ces cinq cas sont à mettre en perspective avec les environ 3 000 tumeurs cérébrales malignes survenant chez les 0-22 ans en France pendant une période de dix ans selon les chiffres du réseau français des registres de cancers FRANCIM.
Référence
[1] Foucault A, Ancelet S, Dreuil S. Childhood cancer risks estimates following CT scans: an update of the French CT cohort study. Eur Radiol. 2022;32:5491-8.
Publication analysée :
Hauptmann M, Byrnes G, Cardis E, et al. Brain cancer after radiation exposure from CT examinations of children and young adults: results from the EPI‑CT cohort study. Lancet Oncol 2023 ; 24 : 45‑53
Corinne Mandin