ANALYSE D'ARTICLE

Variations à court terme des niveaux de dioxyde d’azote et mortalité à Paris :
influence des niveaux socio-économique et de pollution du quartier

La précarité socio-économique est identifiée dans cette étude parisienne comme un facteur majorant l’effet d’une augmentation des concentrations atmosphériques de dioxyde d’azote sur la mortalité. Les habitants des quartiers défavorisés apparaissent d’autant plus vulnérables qu’ils sont également exposés de manière chronique à une importante pollution atmosphérique ambiante.

This Paris study identifies disadvantaged socioeconomic status as a factor aggravating the effect on mortality of increased nitrogen dioxide levels in the air. Residents of deprived neighborhoods are seen to be more vulnerable as they are also chronically exposed to higher levels of ambient air pollution.

La littérature indique que les populations défavorisées sont plus affectées par la pollution atmosphérique que les populations aisées, d’une part parce qu’elles y sont plus exposées, d’autre part parce que leur état de santé est moins bon. Mais toutes les études n’aboutissent pas à cette conclusion. Certaines ne rapportent pas d‘effet modificateur du statut socio-économique sur la mortalité liée à une augmentation du niveau des polluants. La diversité des indicateurs utilisés pour définir ce statut (niveau de revenus ou d’études, caractéristiques du logement, activité professionnelle, etc.) peut expliquer en partie l’hétérogénéité des résultats. Par ailleurs, l’échelle de mesure varie d’une étude à l’autre, le statut socio-économique pouvant être apprécié au niveau individuel ou d’un secteur géographique.

Un autre sujet de questionnement est l’effet de l’exposition à long terme (généralement évalué par des études de cohortes) sur celui de l’exposition à court terme (exploré par des études de séries temporelles ou de type cas-croisé dans lesquelles chaque cas est son propre témoin). Les conséquences sanitaires aiguës d’une élévation du niveau des polluants pourraient varier selon l’importance de la pollution de fond à laquelle la population est exposée de manière chronique.

Cette étude a examiné l’influence du statut socio-économique et de l’exposition chronique à la pollution atmosphérique sur la mortalité toutes causes liée à l’augmentation à court terme des niveaux de dioxyde d’azote (NO2) à Paris, une ville qui offre des contrastes à la fois en termes de profils de populations et de pollution ambiante.

 

Commentaires

Cette étude passionnante a été très commentée lors des travaux d’élaboration du Plan parisien de santé environnementale (PPSE) que le Conseil de Paris a adopté (à l’unanimité) le 16 décembre 2015. En effet, la réduction des inégalités de santé est le principal axe structurant du PPSE. On comprend dès lors l’importance d’un travail qui montre que sur le territoire parisien, s’il n’existe pas de relation statistique entre les niveaux de fond de la pollution atmosphérique et les niveaux socio-économiques mesurés à l’échelle microgéographique, il en va tout autrement pour la mortalité associée aux variations à court terme des niveaux de pollution. Les hypothèses explicatives de cette relation (différences d’exposition à domicile, pendant les déplacements ou sur le lieu de travail ou différences de capacités de résistance à l’agression expliquées par le niveau de santé générale, lui-même dépendant d’une série de facteurs) sont autant de pistes de travail pour remplir l’engagement du PPSE à « comprendre les facteurs de développement d’inégalités de santé à caractère environnemental et mobiliser les politiques publiques au service de leur prévention ou de leur réduction ». Il est par contre à regretter qu’un travail de cette importance et de cette qualité soit desservi dans l’article original, publié sur le Web, par des erreurs éditoriales : les deux figures de l’article sont inversées (l’image et la légende placées au-dessus du titre de la figure 1 correspondent à la figure 2 et vice-versa) et la légende de la carte représentant la distribution spatiale des catégories socio-économiques comporte une coquille (categrory au lieu de category). J’ai signalé ces deux points en commentaire le 3 septembre 2015, les auteurs (qui n’y sont pour rien) m’ont indiqué les avoir également signalés à l’éditeur qui n’a toujours pas effectué les modifications nécessaires sur son site à la date de rédaction de ce commentaire.

Georges Salines

 

Matériel de l’étude

Les auteurs ont considéré tous les décès survenus entre janvier 2004 et décembre 2009 chez des Parisiens de plus de 35 ans. Cette limite d’âge a été choisie pour minimiser l’inclusion de cas de décès de cause accidentelle, en l’absence d’information mentionnée dans le registre. L’analyse porte sur un nombre total de 79 107 décès, la majorité (65 %) concernant des personnes de plus de 75 ans.

Le NO2 a été pris comme indicateur de la pollution atmosphérique, principalement d’origine routière. L’association régionale de surveillance de la qualité de l’air AirParif a déterminé par modélisation les concentrations moyennes annuelles (période 2002-2009) pour chacun des 992 îlots regroupés pour l’information statistique (IRIS) que compte la capitale. Ces IRIS constituent de petits territoires (en moyenne 0,11 km2 et 2 199 habitants) présentant une bonne homogénéité en termes d’occupation du sol et de profil socio-économique de la population. Le modèle de dispersion utilisé (résolution spatiale de 25 x 25 m) intégrait les émissions industrielles de polluants atmosphériques, les concentrations mesurées (12 stations parisiennes), les conditions météorologiques, ainsi que des paramètres caractérisant le bâti et le trafic. Trois niveaux d’exposition à long terme ont été établis sur la base des tertiles de concentration du NO2 : moins de 50,6 μg/m3 (concentration moyenne : 47,48 μg/m3), de 50,6 à 55,8 μg/m3 (moyenne : 53,15 μg/m3) et plus de 55,8 μg/m3 (moyenne : 60,61 μg/m3). Les IRIS inclus dans cette dernière catégorie étaient concentrés au bord du boulevard périphérique et des voies sur berge qui longent la Seine ainsi que dans les quartiers nord-ouest de la capitale.

Un indice composite, propre à Paris, construit à partir des informations recueillies lors du recensement national de 2006 a été utilisé pour classer les IRIS en trois catégories socio-économiques, de la plus privilégiée (environ 20 % de la population) à la plus défavorisée (environ 25 % de la population, principalement en périphérie nord et est, les quartiers les plus favorisés occupant le centre et l’ouest de la capitale).

 

Mortalité liée aux épisodes de pollution

Les auteurs ont examiné l’effet de l’exposition à court terme au NO2 sur la mortalité avec un décalage de cinq jours selon une approche cas-croisé, en prenant pour jours témoins les mêmes jours de la semaine que celui du décès (par exemple les lundis) au cours du même mois. Le modèle utilisé tenait compte de la température et de l’humidité relative, ainsi que des périodes de vacances et d’épidémie de grippe.

L’excès de risque de mortalité associé à une augmentation de 10 μg/m3 de la concentration du NO2 est de 0,94 % (IC95 = 0,08-1,8, p = 0,03). Il est plus élevé chez les personnes âgées de 85 ans et plus (+ 1,86 % ; IC95 = 0,5-3,24) que chez les sujets de 35 à 84 ans où il n’est pas significatif (+ 0,36 % ; IC95 = -0,72-1,44). Par ailleurs, l’analyse montre un effet du sexe qui nécessiterait d’être exploré, la surmortalité n’étant observée que chez les hommes (+ 1,75 % [0,51-3] versus + 0,22 % [-0,94-1,38] chez les femmes). La précarité socio-économique et l’exposition chronique à la pollution atmosphérique apparaissent toutes deux influencer l’association entre l’exposition à court terme et la mortalité. Une hausse de 10 μg/ m3 de la concentration du NO2 se traduit ainsi par une augmentation de 3,14 % de la mortalité au cours des cinq jours suivants dans la population défavorisée (IC95 = 1,41-4,9), alors qu’elle n’a pas d’impact significatif dans les quartiers privilégiés et intermédiaires. De même, après stratification selon la pollution de fond au NO2, l’excès de risque de mortalité associé à une augmentation de 10 μg/m3 de la concentration du NO2 n’est significatif que dans le groupe des IRIS où la concentration moyenne de NO2 dépasse 55,8 μg/m3 (+ 1,92 % [0,28- 3,59]). L’influence conjointe des deux facteurs se matérialise par une augmentation de près de 5 % de la mortalité (+ 4,84 % [1,56-8,24]) dans les quartiers caractérisés à la fois par une concentration élevée de NO2 et un niveau socio-économique bas. L’importance de la pollution atmosphérique n’est pas liée à la pauvreté du quartier à Paris, la pollution pouvant même être supérieure dans les quartiers les plus riches. La vulnérabilité des populations défavorisées à l’augmentation du niveau de NO2 ne peut donc pas s’expliquer a priori par une inégalité en termes d’exposition. Cette hypothèse ne peut toutefois pas être écartée si l’on considère que l’exposition à la pollution extérieure du quartier de résidence n’est qu’une composante de l’exposition totale, qui dépend aussi de la qualité de l’air du logement, du lieu de travail, du moyen de transport, etc., ainsi que du temps passé dans chacun des micro-environnements quotidiennement fréquentés.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Deguen S, Petit C, Delbarre A, et al. Neighbourhood characteristics and long-term air pollution levels modify the association between the short-term nitrogen dioxide concentrations and all-cause mortality in Paris. PLoS ONE 10(7): e0131463.

École des hautes études en santé publique (EHESP), Rennes, France.

doi : 10.1371/journal.pone.0131463