ANALYSE D'ARTICLE

Vers des villes plus saines

A partir d’un état des lieux des connaissances, l’auteur de cet article propose des pistes de réflexion et d’actions pour atteindre l’objectif d’un environnement urbain globalement plus favorable à la santé. L’enjeu est important, comme le travail restant à effectuer. Une collaboration pluridisciplinaire est nécessaire, ainsi que le rapprochement de la science et du politique.

After reviewing the literature, the author of this article suggests possible approaches and actions to achieve an urban environment that is more beneficial to health overall. The issue is wide reaching, and much work remains to be done. A multisectorial approach is needed, with a strong link between science and policies.

Plus de deux tiers de la population européenne vit déjà en zone urbaine et le nombre de citadins ne cesse d’augmenter partout dans le monde. Cette expansion va de pair avec le développement d’un certain nombre de problèmes propres à la ville, qui a aussi été, de tout temps, un lieu moteur d’innovation et créateur de richesses pour les sociétés humaines.

Les villes sont des systèmes complexes qui entretiennent avec la santé des rapports complexes. Elles exposent de manière très variable à des facteurs délétères comme la pollution atmosphérique, le bruit et les îlots de chaleur, ainsi qu’à des facteurs associés à des effets sanitaires tantôt bénéfiques tantôt néfastes, comme les espaces verts et le rayonnement ultraviolet. Pour un même niveau d’exposition environnementale, les comportements individuels, les préférences culturelles, le temps passé à l’extérieur, des considérations économiques, etc., peuvent entraîner de larges variations de l’exposition personnelle.

Sur quoi faut-il agir pour rendre les villes plus saines, et à quel niveau ?

 

Limites des connaissances actuelles

La littérature épidémiologique récente rassemblée pour cet article répond essentiellement à une approche « mono-exposition », les études reliant un type d’exposition environnementale spécifique à un effet sanitaire donné. Les facteurs de confusion importants sont généralement contrôlés, et la participation de covariables environnementales (par exemple le bruit, la température ou les espaces verts) à l’effet observé (dans l’exemple, de la pollution atmosphérique), ou leurs rôles modificateurs de l’association, sont parfois évalués.

Les informations ainsi obtenues sont indicatives du type de mesure à mettre en œuvre en termes d’aménagement urbain ou de politique des transports (la littérature indique que les interventions au niveau communautaire sont plus coût-efficaces que les interventions au niveau individuel), mais elles n’embrassent pas la complexité des relations entre la ville et la santé. De nombreux facteurs interagissent, qui peuvent être reliés par des boucles de rétroaction, de sorte qu’un processus de planification urbaine peut être pavé de difficultés ou donner des résultats inattendus. Les décideurs politiques n’ont pas seulement besoin de plus de données sur les facteurs environnementaux et personnels qui affectent la santé, ils ont aussi besoin de mieux comprendre les liens qui les unissent.

En prenant le problème sous un autre angle, il serait utile d’identifier les facteurs qui confèrent un aspect « santé » intéressant à un projet de conception ou de rénovation urbaine. L’occupation mixte des sols est, par exemple, censée rendre une ville plus « vivable » en réduisant les distances entre le domicile, le lieu de travail et les différentes ressources du tissu urbain. Mais à quoi rapporter ses co-bénéfices sanitaires ? À l’amélioration des conditions de logement ? À un accès plus facile à certaines infrastructures ? À une réduction des expositions environnementales ? À la modification de comportements individuels ?

 

Moyens de fournir de nouveaux éclairages

L’article cite plusieurs concepts, méthodes et outils qui pourraient être utilisés pour produire des connaissances scientifiques plus exploitables par les décideurs politiques. S’éloignant radicalement de l’étude des effets sanitaires de chaque facteur pris isolément, le concept d’exposome est particulièrement intéressant, en ce sens qu’il recouvre toutes les expositions auquel un individu est soumis au cours de sa vie, ainsi que leurs interactions. Sa nature dynamique représente un défi pour sa caractérisation, à laquelle s’attellent des projets européens (comme HELIX, EXPOsOMICs et HEALS) appuyés sur de nouvelles technologies incluant les systèmes d’information géographique, les capteurs, la télédétection et les « omiques » (transcriptomique, protéomique, métabolomique).

Les capteurs miniaturisés, les systèmes de géolocalisation et des applications développées pour les smartphones, offrent l’opportunité de mieux estimer les expositions individuelles. La combinaison d’informations relatives au lieu où se trouve la personne et à son niveau d’activité physique permet d’estimer la dose de polluants atmosphériques inhalée, qui est un meilleur indicateur que l’exposition environnementale. Une étude réalisée à Barcelone, utilisant des données de modélisation des niveaux de dioxyde d’azote (NO2), montre ainsi que le temps passé en transport entre la maison et le lieu de travail (6 % du budget-temps-activité) contribue à 24 % de la dose quotidienne de NO2 inhalée.

Le développement d’initiatives de « science citoyenne » ou « d’observatoires citoyens » engageant des communautés de plus en plus nombreuses dans des activités de collecte et de transmission de données, représente également un moyen de faire progresser les connaissances dans une ambiance de participation active à la vie de la cité, qui favorise la prise de conscience et les changements personnels.

Pour repérer les leviers d’action possibles à différents niveaux, les acteurs politiques peuvent s’appuyer sur un cadre conceptuel existant, qui constitue une base nécessitant d’être complétée par les résultats de futurs travaux de recherche. Ce cadre, qui répond à l’acronyme DPSEEA pour « Driving force, Pressures, State, Exposures, Effects, Actions », place les différents facteurs (par exemple la croissance démographique et économique et la politique de développement urbain et des transports au rang des « driving force ») sur une chaîne logique de cause à conséquence jusqu’aux effets sanitaires néfastes pour la population.

La mortalité prématurée et les années de vie en bonne santé perdues en raison de maladies chroniques (affections respiratoires, cardiovasculaires, diabète de type 2, cancers, maladies neurodégénératives) sont un fardeau pour les sociétés des pays les plus avancés (sur lesquels cet article est focalisé du fait de l’origine de la littérature consultée, son discours étant généralisable). Les facteurs de risque environnementaux de ces maladies sont accessibles à des mesures préventives ou correctives. L’objectif d’une ville de demain plus verte, sociale, active et saine nécessite une mobilisation multisectorielle pour une action globale. Le rapprochement entre les scientifiques et les politiques est indispensable, mais aussi entre les différents services et départements en charge de la conception et de la gestion d’une ville (architecture, urbanisme, paysagisme, mobilité et transports, parcs et espaces verts, etc.) qui ne travaillent parfois pas suffisamment ensemble.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Commentaires

Les relations entre l’environnement et la santé dépassent largement les liens simples entre des facteurs de risque et des maladies. Nos villes constituent des systèmes particulièrement complexes où l’environnement physique, chimique, biologique et social interagit avec la santé des citoyens en les soumettant à des stress multiples, mais en leur offrant aussi des protections et des opportunités inédites. Chaque projet, chaque opération d’urbanisme peut modifier ces équilibres en améliorant ou en dégradant la santé, et parfois en faisant les deux à la fois selon les sous-groupes de population (ce qui peut conduire à une réduction ou à une aggravation des inégalités) ou selon les différents types d’effets considérés (le développement de l’usage de la bicyclette par exemple peut réduire l’obésité et les maladies qui lui sont liées et augmenter l’incidence des traumatismes). Dès lors, l’utilité pour les décideurs et pour les citoyens de pouvoir anticiper ces conséquences pour retenir les compromis les plus favorables devient évidente. La ville de Paris, à travers son plan santé environnement, entend développer des démarches d’évaluation des impacts sur la santé de projets aussi divers que la tenue des Jeux olympiques, l’aménagement des places et des portes, la piétonisation des voies sur Berges. Les concepts, les modèles, les technologies (exposome, DPSEEA, capteurs individuels, applications smartphones) présentés dans cet article sont des outils utiles, mais sans doute encore insuffisants pour apprivoiser totalement cette complexité.

Georges Salines

 

 

Publication analysée :

Nieuwehuijsen M.Urban and transport planning, environmental exposures and health-new concepts, methods and tools to improve health in cities. Environ Health 2016; 15(Suppl 1): 38.

Center for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone, Espagne.

doi: 10.1186/s12940-016-0108-1