ANALYSE D'ARTICLE

Vers une harmonisation de la biosurveillance en Europe

Les bases d’une réflexion sur l’intérêt et la faisabilité d’une biosurveillance des populations à l’échelle européenne ont été jetées en 2004. Après une longue collaboration entre scientifiques et politiques, un protocole commun pour la réalisation d’études de biosurveillance a été adopté en 2010. Une étude pilote impliquant 17 pays a été réalisée, qui a validé cette approche. Il reste néanmoins plusieurs étapes à franchir avant que la biosurveillance européenne soit effective.

The foundations for assessing the value and feasibility of human biomonitoring on a European scale were laid in 2004. After a long collaboration between scientists and politicians, a common protocol for biomonitoring studies was adopted in 2010. The approach was validated by a pilot study involving 17 countries. However, several steps remain to be taken before Europe-wide biomonitoring is effective.

La perception, par le grand public, des dangers d’une pollution environnementale, repose en grande partie sur l’information relative à l’exposition reçue. L’évaluation des expositions externes guide également le travail des scientifiques qui estiment les risques pour la santé des populations, et celui des responsables politiques qui adoptent des mesures pour les contrôler.

Mais, pour les substances chimiques, un autre indicateur gagne en importance : l’exposition interne, conceptualisée par la notion de charge corporelle, qui intègre celles de multiplicité des sources et voies d’exposition, de biodisponibilité, de toxicocinétique et de métabolisme.

La charge corporelle peut être estimée par les études de biosurveillance humaine, dont les données peuvent être utilisées pour sensibiliser les populations, mener des travaux de recherche, appuyer les décisions politiques, et évaluer l’impact d’une réglementation.

La réflexion sur une approche harmonisée de la biosurveillance à l’échelle de l’Europe s’est engagée en 2004. Un important travail entre scientifiques d’horizons variés et politiques impliqués dans la santé publique et environnementale a conduit, six ans plus tard, à l’adoption d’un cadre commun pour la réalisation d’études de biosurveillance en Europe, qui permettrait de disposer de données comparables, plus informatives et exploitables pour une politique commune. Entre septembre 2011 et février 2012, 17 pays ont participé à une étude pilote : l’Allemagne, la Belgique, Chypre, le Danemark, l’Espagne, la Hongrie, l’Irlande, le Luxembourg, la Pologne, le Portugal, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la République Tchèque, la Roumanie, et le Royaume-Uni. Cette expérience est relatée dans cet article qui en tire les enseignements et analyse les opportunités et les difficultés pour la construction d’une biosurveillance européenne.

 

L’étude pilote

L’étude avait pour objectif de tester la capacité de tous les pays participants à travailler dans le cadre des recommandations du protocole commun, malgré d’énormes différences culturelles, sociales, économiques, ainsi qu’en termes d’expérience et de niveau d’expertise. Ces différences avaient constitué la principale difficulté lors de l’élaboration du protocole, l’enjeu étant de parvenir à un juste équilibre entre des critères à respecter strictement et des éléments pouvant faire l’objet d’adaptations en fonction des ressources nationales. Les moyens financiers étant limités, le nombre d’échantillons collectés et celui des biomarqueurs d’exposition mesurés l’ont été également. Le mercure (dans les cheveux), ainsi que le cadmium et la cotinine (dans les urines) ont été choisis comme biomarqueurs couverts par une

bonne expérience analytique, reflétant l’exposition à des substances dont la toxicocinétique est connue. Les métabolites urinaires des phtalates ont été ajoutés en tant qu’exemple inverse, et six pays ont choisi de mesurer en plus un second contaminant émergent : le bisphénol A dans les urines.

Chaque pays participant devait inclure 120 enfants âgés de 6 à 11 ans et leurs mères âgées de 45 ans au maximum, sauf les deux pays les moins peuplés (Chypre et le Luxembourg) qui ont eu à inclure 60 paires mères-enfants. L’échantillonnage devait s’effectuer en au moins deux endroits différents, offrant un contraste en termes de densité de population (zone urbaine et zone rurale), hors site industriel. Le protocole était flexible quant à la méthode de recrutement : 13 pays ont choisi de passer par des écoles et les quatre autres ont utilisé des registres de populations. Le matériel de l’enquête était commun (en particulier le questionnaire à administrer aux mères), ainsi que les procédures (échantillonnage, traitement des échantillons, contrôle qualité interne et externe, traitement des données, présentation des résultats, etc.).

Au total, 1 844 paires mères-enfants ont été incluses dans cette étude pilote qui a été l’occasion de créer un réseau européen d’échanges d’informations et d’expériences. Elle a fourni, pour la première fois, des résultats comparables à l’échelle européenne, ce qui ouvre la voie à la mise en œuvre de projets de plus grande ampleur, incluant des échantillons de populations représentatifs, dans l’objectif d’établir des valeurs de référence. Des actions politiques appuyées sur ces valeurs seraient plus pertinentes. Par ailleurs, l’identification de groupes de populations présentant des valeurs de charge corporelle extrêmes orienterait la recherche de sources d’exposition et d’effets sanitaires, et favoriserait une politique commune plus équitable.

 

Prochaines étapes

Un grand nombre de composés parents et de métabolites, représentant toutes les grandes catégories chimiques, peut être mesuré dans le sang, l’urine ou d’autres matrices biologiques. Une collaboration européenne doit donc être mise en place en vue d’établir des priorités pour un programme de surveillance commun, sur la base de critères qui restent à définir. La disponibilité de méthodes analytiques performantes pour un coût acceptable est, à ce titre, un critère majeur. Pour les substances émergentes, de telles méthodes doivent être développées. L’accent doit être mis sur les substances auxquelles la population européenne peut être largement exposée, ainsi que sur celles qui sont potentiellement les plus préoccupantes.

Un autre axe de travail fondamental pour construire une biosurveillance européenne opérationnelle et dotée de moyens de financement suffisants et pérennes, est d’envisager le rapprochement entre enquêtes de biosurveillance et enquêtes de santé. Plusieurs enquêtes de santé de bonne qualité sont déjà en place en Europe, mais elles rencontrent des difficultés à se maintenir ou à se développer. Seule l’European Health Interview Survey (EHIS), financée par l’Union européenne, peut effectuer des cycles de mesures réguliers sur une base légale. Plusieurs exemples d’approches intégrées existent à l’étranger, comme la National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) aux États-Unis, qui collecte des informations sur l’état de santé et l’état nutritionnel de la population à l’échelle nationale, ainsi que des échantillons biologiques sur une fraction de la population totale, réduite mais représentative. Une telle approche combinant l’évaluation de l’état de santé et de l’exposition de la population a été initiée, en France, avec l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) et l’Étude longitudinale française depuis l’enfance (ELFE).

Le projet de biosurveillance à l’échelle européenne doit composer avec d’autres difficultés, en premier lieu les grandes différences nationales concernant les règles d’éthique et de protection des personnes et des données, s’agissant d’études impliquant le prélèvement d’échantillons biologiques. Un cadre commun doit, là aussi, être trouvé.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Casteleyn L1, Dumez B, Becker K, et al. A pilot study on the feasibility of European harmonized human biomonitoring: strategies towards a common approach, challenges and opportunities. Environ Res 2015; 141: 3-14.

doi: 10.1016/j.envres.2014.10.028

 

1 Center for Human Genetics, University of Leuven, Belgique.