ANALYSE D'ARTICLE

Vulnérabilité du système alimentaire aux événements climatiques extrêmes : le cas de Toronto

Examinant les conséquences d’une tempête de pluie verglaçante, d’une canicule ou d’une inondation fluviale à venir sur le fonctionnement du système alimentaire de la ville la plus peuplée du Canada, ce travail identifie plusieurs points de vulnérabilité critiques nécessitant l’effort concerté de différents secteurs.

S’appliquant à se préparer à des événements climatiques extrêmes plus fréquents, intenses et durables, les villes se préoccupent en premier lieu de la solidité de leur système sanitaire, mais en négligent souvent un autre qui lui est pourtant étroitement lié : le système alimentaire. Dans sa totalité, il inclut la production, la transformation, la distribution et la consommation de produits alimentaires, ainsi que la gestion des déchets. Celui d’une grande métropole présente une vulnérabilité intrinsèque à la quasi absence de production et de transformation locales, et à la logistique d’approvisionnement en flux tendu. À Toronto, en dehors des boulangeries, sont implantées des installations de transformation laitière, de volaille et d’œufs (répondant à la politique canadienne de gestion des approvisionnements) ; le reste des produits frais provient du Marché des produits alimentaires de l’Ontario où commerçants et restaurateurs viennent se fournir. En cas de rupture de la chaîne d’approvisionnement, les stocks de la majorité des commerces de détail seraient limités à 3 jours pour les produits frais et à 17 jours pour les autres denrées selon une estimation de Santé Publique Toronto.

La ville peut raisonnablement s’attendre à trois types d’événements climatiques majeurs qui sont déjà survenus : une tempête de pluie verglaçante formant une couche de glace de 30 mm ; un épisode de canicule défini par le ministère fédéral canadien par le maintien pendant au moins 3 jours d’une température maximale de 32 ̊C, qui a été élevée à 35 ̊C pour cette analyse (seuil déjà atteint et même dépassé) ; et des pluies torrentielles avec un cumul des précipitations de 100 mm en moins d’un jour générant une inondation. Seule la crue des cours d’eau qui traversent la ville (dont les rivières Don et Humber) ou la bordent (rivière Rouge) pour se jeter dans le lac Ontario a été considérée. Une surface plus importante du territoire est à risque d’inondation dite « urbaine » par dépassement des capacités du réseau d’évacuation et ruissellement vers les parties basses, mais la carte n’est pas encore complètement établie.

La vulnérabilité du système alimentaire à ces trois événements a été évaluée en prenant en compte à la fois leurs impacts directs et indirects.

Méthodologie

Les auteurs se sont appuyés sur trois documents cadres : celui de l’Initiative for a Competitive Inner City (ICIC), une organisation états-unienne à but non lucratif (ICIC's Framework for Analysing Urban Food System Resilience), les recommandations du ministère de la Santé de l’Ontario en vue de l’analyse des risques pour la santé publique du changement climatique (Ontario Climate Change and Health Vulnerability and Adaptation Assessment Guidelines), et l’outil développé par la ville de Toronto pour faciliter la mise en œuvre d’une politique de gestion des risques liés au changement climatique à travers l’implication de parties prenantes de chaque secteur concerné à des ateliers structurés (City of Toronto's High-Level Risk Assessment Tool). Un tel atelier réunissant 23 acteurs clés à divers niveaux du système alimentaire a été organisé, 49 entretiens individuels ont été réalisés et différentes données publiques et privées ont été consultées.

Treize points de vulnérabilité potentiels ont été identifiés et analysés de manière approfondie.

Axes de travail prioritaires

Si la probabilité d’une perturbation majeure, étendue et durable, du système alimentaire de Toronto semble relativement faible pour les trois événements considérés, les auteurs rappellent qu’ils n’ont pas pris en compte les impacts potentiellement importants d’une inondation urbaine.

La dépendance aux systèmes/infrastructures de transport et de distribution d’énergie apparaît être un point de vulnérabilité majeur. En cas de fermeture des routes ou de congestion du trafic, non seulement l’acheminement des denrées serait suspendu ou fortement ralenti, mais aussi les employés ne pourraient plus se rendre à leur travail (l’impact d’une interruption des transports publics pouvant être plus grand). Outre ses conséquences sur le trafic, une panne d’électricité se traduirait rapidement par la perte de produits frais (les générateurs de secours fonctionnant au diesel seraient vite inopérants si ce carburant arrivant par camion-citerne n’est plus distribué) et entraînerait une paralysie des opérations effectuées via des terminaux électroniques, du paiement au commerçant aux transactions sur le Marché des produits alimentaires.L’inégalité d’accès à l’alimentation existante serait accrue. Dans 22 des 140 quartiers de Toronto, le nombre de commerces de détail rapporté au nombre d’habitants est inférieur à la moyenne (sept quartiers n’en possèdent aucun) et l’implantation des supermarchés est également moindre, or ils sont dotés de moyens de faire face aux événements considérés et de rouvrir rapidement nettement supérieurs à ceux d’une épicerie de quartier (plans de continuité d’activité, couverture assurantielle et ressources financières pour tenir jusqu’à l’indemnisation). Dans ces 22 quartiers déjà mal desservis, plus de la moitié des commerces alimentaires (de toute taille) sont localisés en zone inondable. Sept quartiers doivent faire l’objet d’une attention particulière, car ils abritent une population défavorisée selon deux indicateurs socio-économiques (le pourcentage des foyers à faible revenu et celui des bénéficiaires d’aides sociales). Ces quartiers se caractérisent aussi par une proportion importante de personnes âgées de 65 ans et plus et d’immeubles à étages élevés (classiquement plus de 30 et jusqu’à 78). Ces immeubles sont généralement équipés de groupes électrogènes ayant une autonomie d’au plus 2 h pour permettre une évacuation d’urgence et l’intervention des services de secours, mais en cas de panne de courant durable, les habitants restés chez eux se trouveraient obligés d’emprunter les escaliers pour aller se ravitailler, et privés d’eau en plus du réfrigérateur (les pompes hydrauliques ne permettent d’alimenter que les six ou sept premiers étages).

Un réseau de banques alimentaires et autres associations d’aide alimentaire existe à Toronto, mais il ne pourrait faire face à une demande fortement accrue et/ou prolongée. Le plan de préparation au changement climatique doit intégrer l’insécurité alimentaire et développer des stratégies de réponse impliquant les agences gouvernementales, les organisations non gouvernementales et les acteurs privés du secteur alimentaire. Par ailleurs, il serait important de renforcer la cohésion sociale des communautés de quartier et d’examiner la manière dont les marchandises circulent dans la ville en vue d’optimiser leur parcours jusqu’au dernier kilomètre.


Publication analysée :

* Zeuli K1, Nijhuis A, Macfarlane R, Ridsdale T. The Impact of climate change on the food system in Toronto. Int J Environ Res Public Health 2018, 15, 2344. doi : 10.3390/ijerph15112344

1 Initiative for a Competitive Inner City, Boston, États-Unis.