ANALYSE D'ARTICLE

Cadmium et maladie rénale chronique : revue de la littérature

L’exposition au cadmium entraîne un syndrome tubulaire rénal. Selon les auteurs de cette revue exhaustive de la littérature, il ne doit pas être systématiquement considéré comme le signe d’une maladie rénale évolutive qui conduira à la défaillance de l’organe.

Cadmium exposure leads to renal tubular damage. According to the authors of this systematic literature review, it should not always be considered a symptom of progressive kidney disease that will necessarily result in kidney failure.

Parmi les organes cibles du cadmium, le rein (où se distribue la moitié de la charge de l’organisme) est probablement le plus sensible au toxique, qui affecte principalement la fonction tubulaire. Les effets rénaux du cadmium ont été identifiés après le début de son utilisation industrielle, au cours de la première moitié du XXe siècle, chez des travailleurs fortement exposés par voie respiratoire. Ils ont également été décrits dans la population générale à partir des premiers cas historiques d’intoxication par le cadmium dans la préfecture de Toyoma, au Japon. La maladie « Itaï-Itaï » (associant une néphropathie tubulaire, une ostéomalacie, une anémie et d’autres manifestations pathologiques) était due à la pollution d’une rivière, dont l’eau était notamment utilisée pour l’irrigation du riz, par les rejets d’une exploitation minière qui a fonctionné à plein régime entre 1910 et 1945 pour satisfaire la demande de l’industrie d’armement.

Si la néphrotoxicité du cadmium est abondamment documentée, la question de sa signification clinique n’est pas tranchée. L’exposition au cadmium entraîne-t-elle une maladie rénale chronique (MRC) évolutive, pouvant conduire à une insuffisance rénale chronique (IRC) terminale ? Alors que des nanostructures (quantum dots – boîtes quantiques) à base de cadmium sont développées pour des applications industrielles, diagnostiques et thérapeutiques, certains auteurs soutiennent que les effets rénaux d’une exposition environnementale, même de faible niveau, sont préoccupants pour la santé publique.

Une revue systématique de la littérature publiée entre 1947 et 2014 a été organisée pour évaluer les preuves épidémiologiques d’un lien entre l’exposition au cadmium et la MRC.

 

Sélection des articles

Trois bases de données ont été interrogées, aucune restriction de langage n’a été appliquée, 933 articles ont été initialement extraits et 81, publiés dans des revues à comité de lecture, ont été finalement retenus pour être analysés, par deux auteurs qui ont travaillé de manière indépendante et résolu ensemble leurs éventuelles divergences. Les 81 articles éligibles au regard des six critères d’inclusion prédéfinis avaient été publiés entre 1950 et 2013. Ils concernaient 34 populations distinctes (dont 20 populations de travailleurs totalisant 2 712 sujets exposés et 14 groupes en population générale incluant 329 sujets exposés), qui avaient fait l’objet d’un suivi comportant au moins deux déterminations (mesure ou estimation) du débit de filtration glomérulaire (DFG) et/ou deux mesures de l’albuminurie ou de la protéinurie totale, conformément aux recommandations internationales (les études reposant uniquement sur des marqueurs de la fonction tubulaire ont été écartées). Les auteurs ont considéré l’intervalle de temps entre deux déterminations, ainsi que la méthode utilisée pour estimer le DFG.

Examiner l’effet de l’exposition au cadmium sur la fonction rénale devait être l’un des principaux, sinon l’unique, objectif de l’étude, et l’exposition devait avoir été individuellement estimée au moins une fois (mesure biologique, échantillonnage personnel, mesure dans l’eau ou les aliments consommés). En pratique, toutes les études sélectionnées rapportaient les résultats de mesures biologiques : concentration urinaire et/ou sanguine du cadmium, sauf deux études qui avaient mesuré, l’une le cadmium érythrocytaire, et l’autre sa concentration dans le cortex rénal. Les auteurs ont recherché différentes informations complémentaires, comme le moment et la durée de l’exposition, son changement dans le temps, le type de composé du cadmium auquel les sujets avaient été exposés, le port d’un équipement de protection individuel ou la présence d’autres substances néphrotoxiques dans l’ambiance de travail.

Les preuves d’un lien entre l’exposition et la MRC reposaient, soit sur des rapports de cas de MRC nécessitant un traitement en raison d’une complication (par exemple : anémie, hyperparathyroïdie ou hypertension artérielle [HTA]) ou d’un DFG trop faible (correspondant à un stade 3 [IRC modérée : DFG compris entre 30 et 59 ml/min/1,73 m2] à 5 [IRC terminale : DFG < 15 ml/min/1,73 m2] de la maladie), soit sur le constat d’un déclin de la fonction rénale dans le temps plus rapide que le déclin naturel lié à l’âge. La progression de la maladie rénale, d’un stade 1 à 2 (DFG ≥ 60 ml/min/1,73 m2) caractérisé par une protéinurie généralement asymptomatique, à un stade plus avancé, a été jugée avec un recul (durée de suivi) d’au moins cinq ans.

 

Conclusions générales

Les auteurs tirent deux conclusions majeures de leur revue de la littérature. La première est l’impossibilité d’établir des relations dose-réponse entre les concentrations de cadmium mesurées dans les échantillons biologiques et le DFG ou la protéinurie. Les études ne sont pas suffisamment comparables (en termes d’approche méthodologique et de méthode analytique notamment) pour permettre leur méta-analyse. L’hétérogénéité est élevée et la qualité est souvent médiocre. Les cinq études présentant le risque de biais le plus faible sont classées dans la catégorie 3 sur une échelle de 1 (risque minimum) à 5. La seconde conclusion est la faiblesse des arguments indiquant que le cadmium est la cause d’une MRC évolutive.

Les études en milieu professionnel, qui incluaient parfois des travailleurs relativement âgés et lourdement exposés pour les plus anciennes, ne montrent pas constamment une progression de la tubulopathie rénale induite par le cadmium, qui serait peut-être plus à considérer comme un marqueur d’exposition que comme la première étape d’une cascade d’événements conduisant à l’IRC terminale. Les résultats de ces études, conduites par différents groupes, selon différentes approches et dans différentes populations (principalement au Japon, en Suède et au Royaume-Uni), sont extrêmement variables. Dans les études britanniques, une surmortalité liée à l’emphysème (considéré comme consécutif à une très forte exposition au cadmium) est clairement mise en évidence, alors que ce n’est pas le cas pour la mortalité d’origine rénale. Mais l’hypothèse d’un lien entre l’exposition et le développement d’une MRC a été prise en considération très tôt, ce qui a amené à surveiller les travailleurs et à écarter des postes les plus exposés ceux qui présentaient une protéinurie (laquelle survient pour des niveaux d’exposition bien plus faibles que l’emphysème). D’autres raisons peuvent expliquer qu’une surmortalité rénale n’ait pas été constatée. Les sources de biais sont variées et nombreuses dans ces études observationnelles (par exemple absence de prise en compte des co-morbidités telles que l’HTA et le diabète), et les résultats peuvent être biaisés dans les deux sens. Ni l’examen des études en population professionnelle, ni celui des études en population générale, ne permettent de faire émerger un biais fort commun qui expliquerait qu’un effet du cadmium sur le DFG ne soit pas constamment retrouvé.

La problématique actuelle est celle de l’exposition environnementale à faible dose. Des études transversales récentes soutiennent son association à la MRC. Les résultats de cette revue de la littérature (qui excluait ces études sans suivi) sont divergents. De nouveaux travaux épidémiologiques, même à large échelle, ne pourront pas éclairer la problématique tant que demeureront des questions fondamentales sur la nature, la toxicité réelle et la signification pronostique du syndrome tubulaire induit par le cadmium. Par ailleurs, il est indispensable de clarifier le rôle de facteurs statistiques et physiologiques dans la génération d’associations significatives entre l’exposition et le critère sanitaire étudié.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Byber K, Lison D, Verougstraete V, Dressel H, Hotz P. Cadmium or cadmium compounds and chronic kidney disease in workers and the general population: a systematic review. Crit Rev Toxicol 2016; 46: 191-240.

Division of Occupational and Environmental Medicine, University of Zurich and University Hospital Zurich, Suisse.

doi: 10.3109/10408444.2015.1076375