Milieu de vie

Qualité de l'eau

YearBook 2023

Wilfried Sanchez (1), Laure Mamy (2), Stéphane Pesce (3), Sophie Leenhardt (4)

1. Directeur scientifique adjoint, Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), station de Sète, Sète
2. Directrice de recherche, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), Université Paris-Saclay, AgroParisTech, UMR ECOSYS, Palaiseau
3. Directeur de recherche, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), UR RiverLy, Villeurbanne
4. Cheffe de projet, Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), Direction de l’expertise scientifique collective, de la prospective et des études, Paris

Télécharger le PDF de la synthèse

Les analyses d'articles sur le même sujet :

Synthèse publiée le : 29/06/2023

SYNTHÈSE :
Contamination des milieux aquatiques par les produits phytopharmaceutiques : état des lieux et conséquences sur le bien-être humain

Les produits phytopharmaceutiques, essentiellement issus des activités agricoles, contaminent les milieux aquatiques continentaux et marins et perturbent certains services qu’ils rendent à la société humaine.


En France, environ 300 substances actives phytopharmaceutiques et plus de 1 500 préparations commerciales sont actuellement autorisées pour la protection des cultures et, de manière très minoritaire, l’entretien des jardins, espaces végétalisés et infrastructures (JEVI). Après leur application sur les parcelles agricoles et les JEVI, au contact direct de l’environnement, elles suivent une dynamique complexe, qui peut parfois s’étendre géographiquement et temporellement, selon leur degré de persistance, de transferts et de transformations tout au long du continuum terre-mer et sont donc susceptibles de contaminer les milieux aquatiques continentaux et marins. L’imprégnation des milieux aquatiques par les produits phytopharmaceutiques (PPP, plus communément appelés pesticides) est difficile à caractériser car la contamination est variable dans le temps, en fonction de l’application et des épisodes météorologiques par exemple, mais aussi dans l’espace. De plus, la diversité des substances analysées reste limitée au regard de celles qui sont potentiellement présentes ; de nombreuses substances ne sont pas recherchées, notamment parmi les plus récemment mises sur le marché. C’est aussi le cas des coformulants et des adjuvants, présents dans les formulations commerciales, ainsi que des produits de transformation issus de la dégradation des substances. Malgré ces écueils, la récente Expertise scientifique collective (ESCo) portée par INRAE et l’Ifremer pour dresser un état des lieux des connaissances scientifiques relatives à la contamination par les PPP et à ses effets sur la biodiversité et les services écosystémiques, apporte un éclairage sur la réalité de la contamination des milieux aquatiques par les PPP [1]. Cette ESCo a été réalisée dans le cadre du Plan Ecophyto II+, à la demande des ministères chargés de l’environnement, de l’agriculture et de la recherche.


Contamination des milieux aquatiques par une diversité de molécules

Les données disponibles montrent que tous les types de matrices environnementales (sol, air, eau, sédiment, ainsi que le biote) sont contaminés par les PPP. L’agriculture est identifiée comme la source majeure d’introduction des PPP dans l’environnement. Ce constat s’explique par la prépondérance des usages agricoles par rapport aux autres usages (entre 95 et 98 %). En conséquence, les espaces agricoles incluant les cours d’eau qui les traversent sont les plus contaminés par ces substances, bien que cette contamination soit ubiquiste du fait de la dynamique des transferts.

Les herbicides, y compris certaines substances actives interdites depuis de nombreuses années, et leurs produits de transformation sont les substances le plus souvent détectées et quantifiées aux plus fortes concentrations dans les eaux de surface des milieux aquatiques continentaux et marins. C’est le cas par exemple des molécules de la famille des triazines (atrazine, simazine, terbutryne, etc.) ou des phénylurées (diuron, isoproturon, etc.). Les herbicides représentent en effet la catégorie de PPP la plus utilisée quantitativement et, pour la majorité d’entre eux, ils ont des propriétés hydrophiles qui les prédisposent aux transferts vers les milieux aquatiques. Si en milieu continental, les concentrations sont souvent comprises entre quelques ng/L et quelques centaines de ng/L voire, dans certaines situations, quelques µg/L, elles sont inférieures à 50 ng/L dans 75 % des cas en milieu marin.

L’herbicide glyphosate et son produit de transformation, l’acide aminométhylphosphonique (AMPA), font eux aussi l’objet d’une attention particulière et donc d’un nombre important d’analyses dans les milieux aquatiques. Une méta-analyse portant sur 72 000 données a montré que le glyphosate et l’AMPA sont respectivement quantifiés dans 43 % et 63 % des échantillons d’eau de surface, avec des concentrations respectivement inférieures à 0,4 µg/L et 1 µg/L [2]. En milieu marin, ces deux molécules ne sont que ponctuellement détectées, généralement dans des zones de transitions telles que les estuaires mais à des concentrations qui peuvent être élevées et qui peuvent dépasser 1 µg/L. La présence de l’AMPA dans les milieux aquatiques n’est toutefois pas exclusivement liée à l’usage du glyphosate, car l’AMPA est aussi un produit de transformation des aminométhylène-phosphonates, utilisés notamment dans les lessives.

Aux côtés des herbicides, les fongicides de la famille des triazoles, comme le tébuconazole, ainsi que le cuivre figurent parmi les PPP le plus souvent détectés et quantifiés à fortes concentrations. Ce dernier est particulièrement suivi dans les milieux aquatiques continentaux et marins où il va être retrouvé aussi bien dans l’eau que dans les sédiments et dans le biote. Les concentrations relevées dans les eaux de surface sont de l’ordre de quelques µg/L à quelques dizaines de µg/L, elles peuvent atteindre plusieurs centaines de mg/kg dans les sédiments. L’érosion des sols est considérée comme une source importante de contamination des milieux aquatiques par le cuivre, et il est parfois difficile de dissocier les apports naturels des apports issus de son utilisation en tant que PPP (par exemple pour le traitement des vignes) ou que biocide (par exemple dans les peintures antisalissures).

Outre leur domaine d’action (herbicide, insecticide, etc.), les PPP relèvent de grandes familles chimiques qui présentent des caractéristiques spécifiques. Les PPP organochlorés dont l’usage est interdit sont peu retrouvés dans l’eau. En raison de leurs propriétés physicochimiques et de leur persistance, ils se concentrent en revanche dans les sédiments et dans le biote avec des concentrations qui peuvent atteindre plusieurs dizaines de mg/kg. Ces molécules, qui sont essentiellement des insecticides et le fongicide hexachlorobenzène (HCB), sont particulièrement suivies en milieu marin où elles représentent environ 90 % des PPP organiques détectés dans les organismes. Cette contamination concerne également l’océan profond dans lequel les organismes pélagiques sont contaminés par des molécules telles que le HCB mais aussi des insecticides comme le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), l’hexachlorocyclohexane ou les cyclodiènes chlorés.

Parmi les PPP organochlorés, la chlordécone fait l’objet d’un suivi spécifique. Insecticide utilisé massivement aux Antilles françaises de 1973 à 1993 pour lutter contre le charançon du bananier (Cosmopolites sordidus), cette molécule constitue une préoccupation sanitaire, environnementale, agricole, économique et sociale en raison de son caractère hautement persistant et bioaccumulable. Dans les rivières antillaises, la chlordécone est retrouvée dans les eaux de surface, les sédiments et les organismes qui y vivent. Elle contamine également le milieu marin où elle est retrouvée avec un gradient de concentrations décroissant de la côte vers la haute mer. La principale source d’apport de la chlordécone est le lessivage et l’érosion des sols ; les apports sont donc fortement dépendants de la pluviométrie, mais aussi des caractéristiques des sols et de leur couverture végétale.


Une contamination affectant les services écosystémiques liés à l’eau

La contamination des milieux aquatiques par les PPP a des effets marqués sur la biodiversité peuplant les cours d’eau des espaces agricoles. Ainsi, à l’échelle européenne, il est par exemple estimé que les PPP, en particulier les insecticides (et notamment les néonicotinoïdes), induiraient des pertes allant jusqu’à 40 % des espèces au sein des populations de macro-invertébrés présentes dans les cours d’eau les plus contaminés.

Cette contamination peut également affecter les services écosystémiques, c’est-à-dire les avantages socioéconomiques retirés par les populations humaines de l’utilisation durable de la biodiversité et des écosystèmes, dont les altérations peuvent affecter le bien-être humain (adapté d’après [3]). La bibliographie relative aux services écosystémiques se positionne principalement à un niveau plus global que l’analyse des conséquences spécifiquement attribuables aux PPP. Aucune étude identifiée ne compare l’ensemble des services écosystémiques délivrés avec et sans PPP, à court ou à plus long terme. Il en résulte un déséquilibre entre services écosystémiques dans l’ampleur des connaissances existantes sur les effets des PPP qui les impactent. Devant la pollinisation, la lutte contre les ravageurs et la production végétale cultivée, la fourniture d’une eau de qualité et sans risque pour la santé humaine est un service particulièrement analysé dans le contexte de contamination par les PPP. Dérivé du service de purification de l’eau qui est offert par les écosystèmes, ce dernier est affecté par les PPP qui, en perturbant le biote, vont également interférer dans les cycles biogéochimiques qui assurent ce service. Plusieurs études réalisées dans différentes régions du monde documentent des concentrations de PPP dans les eaux utilisées pour la production d’eau potable ou directement pour la boisson qui dépassent les seuils fixés par la réglementation, dégradant ainsi la qualité de l’eau, augmentant les risques pour la santé humaine et pouvant accroître les coûts de production d’eau potable. Si la présence de PPP dégrade le service écosystémique « qualité de l’eau », la mise en œuvre de politiques de limitation voire d’interdiction des usages permet, à l’inverse, de l’améliorer avec le temps.

Même si les connaissances sur les effets des PPP sur les autres services rendus par les écosystèmes aquatiques doivent être consolidées, certains travaux mettent en lumière de possibles perturbations. Ainsi, des études réalisées sur la barrière de corail en Australie montrent qu’un dépassement des seuils de concentrations réglementaires des PPP va affecter les services écosystémiques culturels tels que les activités touristiques et récréatives. De même, aux Antilles, la contamination des organismes marins par la chlordécone a de forts impacts sur les pêcheries locales en raison des restrictions des activités de pêche, de la fermeture de plusieurs zones côtières et de l'éloignement de la zone de pêche qui ont été mis en place pour protéger la population des risques sanitaires liés à la consommation de poissons et autres produits issus de la mer. Toutefois, aucune donnée sur les impacts économiques et sociaux n'est disponible pour évaluer l'impact sur le service écosystémique de la pêche.

L’analyse de la littérature scientifique réalisée dans le cadre de l’ESCo portée par INRAE et l’Ifremer montre que les PPP contaminent les milieux aquatiques continentaux et marins et que leurs effets vont notamment impacter certains services fournis par ces écosystèmes à la société humaine. Elle met également en évidence des besoins de connaissance encore important tant sur la caractérisation de la contamination que sur celle des effets sur les services écosystémiques associés à l’eau.


Références

[1] Mamy L, Pesce S, Sanchez W, et al. Impacts des produits phytopharmaceutiques sur la biodiversité et les services écosystémiques. Rapport d’ESCo, INRAE - Ifremer (France) 2022 : 1408 p.

[2] Carles L, Gardon H, Joseph L, Sanchis J, Farré M, Artigas J. Meta-analysis of glyphosate contamination in surface waters and dissipation by biofilms. Environment International 2019 ; 124 : 284-93.

[3] EFESE. L’essentiel du cadre conceptuel. Théma. Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, commissariat général au développement durable, 2016 : 4 p.

Synthèse publiée le : 28/05/2018

SYNTHESE : Risques environnementaux et sanitaires liés aux résidus de médicaments dans l’environnement

Yves Lévi

Université Paris Sud
Université Paris Saclay, UMR 8079
Écologie systématique évolution
CNRS, AgroParisTech
Faculté de Pharmacie, Chatenay-Malabry, France

Télécharger le PDF de la synthèse

Synthèse publiée le : 01/04/2017

Eau potable et santé :
Réglementation et gestion des contaminants émergents

Claude Casellas, Hélène Fenet*

* Professeurs Environnement-Santé Publique
UMR HydroSciences Montpellier
Université de Montpellier

Télécharger le PDF de la synthèse