Synthèse publiée le : 01/04/2017

Eau potable et santé :
Réglementation et gestion des contaminants émergents

Bien que l’eau du robinet soit bien contrôlée en Europe, les ques­tions concernant sa qualité par rapport à la réglementation en vigueur restent pertinentes par rapport à des échelles spatiales et temporelles définies. La réglementation tient compte d’environ 80 paramètres et les questions concernant des contaminants dits « émergents » restent posées. Les changements globaux (forte anthropisation et changements climatiques) devraient être anti­cipés pour assurer une vision prospective qui sera nécessaire même dans des régions de l’Europe.

 

Dans cette analyse, nous abordons la qualité de l’eau au regard de la réglementation et les approches européenne et fran­çaise de prise en compte des contaminants émergents.

Les exigences réglementaires sont définies par des valeurs limites ou des références de qualité fixées en application des directives européennes. Celles-ci s’appuient sur les préconisations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) fondées sur la concentration d’une substance dans l’eau qui, dans l’état des connaissances actuelles, ne présente pas de risque significatif pour la santé d’une personne qui consommerait cette eau pendant toute sa vie. Pour les pesticides, le choix de valeurs plus faibles est fondé sur le souhait de ne pas en trouver dans les eaux en s’appuyant sur les limites analytiques qui étaient accessibles dans les années 1970. Ainsi, il peut y avoir des différences importantes avec les législations d’autres pays tels que le Canada ou les États-Unis pour lesquels la fixation des valeurs limites a été faite en référence à la démarche de l’OMS visant à prévenir un niveau de risque donné.

En France, une analyse des situations de non-conformité à la réglementation montre certains territoires vulnérables, il s’agit souvent de très petites unités de distribution qui, à titre d’exemple, sont situées en zones de montagne pour la vulnérabilité microbiologique ou en zone agricole pour les pesticides. Les périodes de dépassement des limites de qualité sont également spécifiques. Un rapport détaillé du HCSP [1] décrit ces situations et les actions à privilégier pour assurer une qualité de l’eau respectant la réglementation sur tous les territoires et tout au long de l’année. Une base de données (SISE-Eaux) gérée par le Ministère chargé de la santé permet une analyse fine de ces situations.

Cette base de données est également utilisée pour enrichir les connaissances sur des contaminants non réglementés qui sont considérés comme des « contaminants émergents ». Le terme « contaminants émergents » s’applique, dans la présente analyse, aux substances chimiques dont la recherche dans les eaux n’est pas réglementée et concerne générale­ment des contaminants ubiquitaires. Des substances considérées comme contaminants émergents comme par exemple les résidus de médicaments non réglementés font l’objet de nombreuses études et rapports. Ils sont considérés comme une préoccupation environnementale et sanitaire et c’est à ce titre qu’ils sont pris en compte dans des actions à mener dans le Plan national santé environnement et dans le Plan national sur les micropolluants. Une étude sur l’épistémologie du terme « contaminants émergents » [2] ayant porté sur 143 000 publications montre qu’il faut en moyenne 14 ans (14,1 ± 3,6) pour qu’un contaminant émerge et environ le même nombre d’années (14,5 ± 4,5 ans) pour être pris en compte ou non, et que la réglementation est un des instruments pour la gestion de cette émergence.

Concernant plus généralement l’occurrence de polluants émergents dans les eaux destinées à la consommation humaine, une note d’appui scientifique et technique [3] a été réalisée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimenta­tion, de l’environnement et du travail (Anses) afin d’aider à l’identification de substances chimiques ubiquitaires dans les milieux hydriques et susceptibles de présenter un enjeu sanitaire. Dans cette note, l’Anses identifie plusieurs contaminants émergents pour lesquels des besoins d’approfondissements de connaissances et des poursuites d’étude sont nécessaires comme les résidus de médicaments, des substances N-nitrosées ou perfluorées, les perchlorates mais également des formes chimiques de certains métaux comme le chrome VI.

La réglementation fixe des limites pour des paramètres définis principalement en fonction de l’avancée des connaissances sur leurs effets sanitaires sans tenir compte d’interactions ou de synergies potentielles ; les différents travaux de recherche sur les contaminants émergents approfondissent ces questions par l’étude des métabolites ou produits de transformation présents dans les eaux [4]. En ce qui concerne les pesticides, les règles adoptées au niveau européen définissent comme métabolites pertinents ceux qui représentent plus de 5 % de la molécule mère et qui sont susceptibles d’induire la même activité biologique que la molécule mère ou d’avoir des propriétés toxicologiques pouvant être considérées comme signi­ficatives. Une analyse récente [5] souligne l’adéquation de l’approche européenne pour les métabolites pertinents et propose une approche de seuil de préoccupation toxicologique (Threshold of Toxicological Concern [TTC]) pour ce qui est considéré comme métabolites non-pertinents afin de garantir une prise en compte de l’ensemble des molécules parentes. Cette démarche a également été proposée en France pour les résidus de médicaments dans les eaux [6]. L’approche TTC a été développée pour évaluer de manière qualitative le risque associé à des substances en faible concentration et pour lesquelles il n’existe pas de valeurs toxicologiques de référence. Elle peut être utilisée pour l’évaluation initiale d’une subs­tance afin de déterminer s’il est nécessaire de réaliser une évaluation complète des risques.

Tous ces éléments amènent à considérer que la multi-exposition aux contaminants chimiques dans les eaux doit être prise en compte. La multi-exposition est actuellement abordée à travers le concept de l’exposome, c’est-à-dire l’intégration de l’ensemble des expositions environnementales sur la vie entière. Mais cette approche ne permet pas de répondre spécifi­quement à l’exposition par l’eau du robinet. Pour l’eau du robinet, elle peut être déclinée selon deux critères :

  •  exposition à des contaminants soumis à des conditions environnementales changeantes (évolution des températures) et à des processus de traitement (ozonation, chloration) qui peuvent modifier la réactivité chimique, les formes en présence et leur biodisponibilité ;
  •  exposition à des mélanges de substances à des concentrations faibles et/ou exposition à une substance mère et ses produits de transformation : l’exposition à des mélanges de substances, même présentes à de faibles concentrations, peut contribuer à l’augmentation de la vulnérabilité des populations humaines. L’exposition simultanée ou séquentielle à des contaminants mérite d’être considérée dans une démarche d’évaluation des risques cumulatifs. Trois questions fondamentales et indissociables doivent être abordées dans le cadre du processus d’évaluation des risques cumulatifs :
    • quels sont les mélanges les plus importants à considérer par rapport à la cible à protéger ?
    • quelle est la nature (durée, fréquence, date) et l’ampleur (concentration ou dose d’exposition) de l’exposition cumulative ?
    • quels sont les mécanismes (par exemple, toxicocinétiques ou toxicodynamiques) et/ou les effets du mélange sur les populations exposées ? (par exemple, modèles additifs, synergiques ou antagonistes).

 

Il existe un réel besoin de connaissances concernant l’identification des points critiques à considérer pour évaluer la vulné­rabilité des populations. Ces questions méritent d’être considérées dans une perspective d’une démarche intégrée pour l’évaluation des risques sanitaires.

En conclusion, la prise de conscience par les scientifiques, les politiques, les gestionnaires et la population de l’importance de la préservation de nos ressources devrait guider vers des moyens d’actions pour une réduction à la source. Ces moyens d’actions passent par des instruments réglementaires, des politiques de plan de gestion territoriaux et par l’éducation pour la santé.

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Références
  1. Propositions pour la gestion locale des situations de non-conformité de la qualité de l’eau du robinet en France. HCSP 2015.
  2. Rolf U. H. Epistemology of contaminants of emerging concern and literature meta-analysis. Journal of hazardous mate­rials 2015 ; 282 : 2-9.
  3. Note d’appui scientifique et technique de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environne­ment et du travail dans le cadre de la mise en oeuvre de l’objectif de la feuille de route pour la transition écologique portant sur des polluants émergents dans l’eau 2013.
  4. Li Z, Fenet H, Gomez E, Chiron S. Transformation of the antiepileptic drug oxcarbazepine upon different water disin­fection processes. Water Research 2011 ; 45 (4) : 1587-96.
  5. Laabs V, Leake C, Botham P, Melching-Kollmuß S. Regulation of non-relevant metabolites of plant protection products in drinking and groundwater in the EU: Current status and way forward. Regulatory toxicology and pharmacology 2015 ; 73 : 276-86.
  6. Bouissou-Schurtz C, Houeto P, Guerbet M, et al. Ecological risk assessment of the presence of pharmaceutical residues in a French national survey. Regulatory Toxicology and Pharmacology 2014 ; 69: 3, 296-303.