ANALYSE D'ARTICLE
Effets de l’exposition prénatale aux pesticides sur l’hémoglobine glyquée et les biomarqueurs métaboliques à l’adolescence
Les enfants de mères professionnellement exposées à des pesticides en tout début de grossesse présentent un niveau d’hémoglobine glyquée supérieur à ceux du groupe témoin dans cette étude réalisée au Danemark, qui identifie un effet modificateur du sexe ainsi qu’une interaction gène-environnement. Les résultats d’analyses secondaires avec différents biomarqueurs prédictifs du risque de maladie métabolique sont cohérents.
Si l’exposition aux pesticides a été reliée à un risque accru de diabète de type 2 chez l’adulte (avec un niveau de preuve plus élevé pour les organochlorés persistants que pour les produits actuellement utilisés), cette étude est la première à rapporter un impact de l’exposition in utero sur l’homéostasie glucidique à l’âge de l’adolescence. Précédemment, dans la même cohorte d’enfants d’employées du secteur horticole, alors âgés de 6 à 11 ans, les auteurs avaient mis en évidence un effet de l’exposition sur l’importance de la masse grasse, dépendant du sexe (plus marqué chez les filles), ainsi que du polymorphisme du gène de la paraoxonase-1 (PON1), une enzyme à activité anti-oxydante et anti-inflammatoire associée aux lipoprotéines de haute densité (HDL) dont elle expliquerait les propriétés anti-athérogènes. L’influence de l’exposition prénatale aux pesticides sur une série de facteurs prédictifs du risque cardiométabolique (adiposité abdominale, pourcentage de masse grasse, z-score d’indice de masse corporelle [IMC], pression artérielle [PA], concentration sérique de leptine et du facteur de croissance apparenté à l’insuline IGF-1) n’était observée que chez les enfants dotés d’un variant génétique fréquent, caractérisé par une glutamine en position 192 à la place d’une arginine (PON1 192R), moins fonctionnel que le type de référence (PON1 192Q).
Sur ces bases, les auteurs ont postulé que les mêmes caractéristiques (sexe féminin et génotype PON1 192R) conféraient une sensibilité accrue aux effets de l’exposition sur l’homéostasie glucidique.
Population et mesures
La cohorte a été constituée entre 1996 et 2000 par le recrutement consécutif de salariées d’entreprises horticoles en début de grossesse (entre 4 et 10 semaines d’aménorrhée), dirigées vers le département de santé au travail de l’hôpital universitaire d’Odense pour l’évaluation et la gestion des risques liés à l’exposition aux pesticides. Celle-ci a été établie par deux toxicologues ayant une bonne connaissance des pratiques horticoles au vu des informations détaillées sur les fonctions et conditions de travail des femmes, et celles qui ont été classées exposées ont été retirées de leurs postes pour la suite de leur grossesse. La période d’exposition a donc été limitée à quelques semaines du premier trimestre de la grossesse. Les données disponibles ne permettent pas de savoir précisément avec quelles substances les femmes exposées ont été en contact (ce qui constitue une limite de l’étude), mais un mélange d’insecticides, fongicides et régulateurs de croissance est généralement utilisé dans les pépinières et serres où elles travaillaient. Elles n’étaient pas habituellement employées à une tâche fortement exposante (préparation ou application de pesticides).
L’invitation aux deux visites de suivi programmées à l’adolescence a été envoyée à 243 des 247 enfants de la cohorte (un décès et trois déménagements) : 168 ont participé à au moins l’une d’elle et 141 (respectivement 88 et 53 enfants des groupes exposé et témoin, âgés de 10 à 16 ans [âge moyen 13 ans]) ont accepté l’examen clinique visant à établir leur stade de développement pubertaire (de 1 à 5 selon la classification de Tanner), ainsi qu’un prélèvement de sang pour la mesure de l’hémoglobine glyquée (HbA1c) et des concentrations sériques de différents marqueurs métaboliques et de l’inflammation (insuline, peptide-c, IGF-1, leptine, adiponectine, interleukine 6 [IL6], facteur de nécrose tumorale alpha [TNFα], protéine C-réactive, inhibiteur de type 1 des activateurs du plasminogène [PAI-1], cholestérol total, lipoprotéines de basse densité [LDL], HDL et triglycérides [TG]). Seuls des échantillons de sang prélevés chez des enfants à jeun depuis au moins 12 heures (46 obtenus lors de la première visite et 67 à la seconde) ont été utilisés pour les paramètres lipidiques ainsi que l’insuline, le peptide-c et le PAI-1 (analyse restreinte à 111 enfants).
Les données relatives au génotype PON1 étaient disponibles pour 137 enfants et 103 mères (même nombre de données manquantes [deux enfants et 19 mères] dans les groupes exposé et témoin). Les sujets homozygotes 192RR étant rares (neuf enfants et six mères), ils ont été associés aux hétérozygotes QR. Respectivement 40 et 25 enfants des groupes exposé et témoin étaient porteurs d’allèles R.
Validation de l’hypothèse de départ
Le poids, l’IMC et le pourcentage de masse grasse des enfants du groupe exposé sont plus élevés que ceux du groupe témoin. La valeur de l’HbA1c (en mmol/mol Hb) est supérieure de 5 % en moyenne (IC95 : 1,8-8,2), correspondant à une différence d’1,6 mmol/mol après ajustement sur le sexe, l’âge au moment de l’examen, le statut prépubère ou pubère et un indicateur socio-économique fondé sur le niveau d’études et la profession des parents.
La stratification retrouve un effet modificateur du sexe ainsi que du polymorphisme du gène PON1. L’HbA1c des filles exposées est supérieure de 6,2 % en moyenne (1,6-11,1) à celle des filles du groupe témoin, tandis que la différence n’est pas significative dans la population des garçons (+ 3,9 % [-0,3 à 8,2]). Par ailleurs, l’effet de l’exposition n’est évident que si l’enfant ou la mère porte l’allèle R. L’analyse selon le génotype de l’enfant (ajustée sur le sexe) montre une augmentation de 6,1 % en moyenne (1,6-10,8) dans le sous-groupe des porteurs d’allèles R versus 2,6 % (-1,5 à 7) dans le sous-groupe 192QQ. Selon le génotype maternel, l’HbA1c est augmentée de 7,1 % (allèle R, IC95 : 2-12,6) ou de 0,5 % (192QQ, IC95 : -5,1 à 6,4).
Ces résultats sont robustes à un ajustement supplémentaire sur le pourcentage de masse grasse, ainsi qu’au remplacement de la variable binaire « puberté » par les stades de Tanner plus précis. Les auteurs signalent que toutes les valeurs d’HbA1c étaient dans la plage considérée normale pour l’adulte (la valeur maximale était de 39 mmol/mol pour des seuils diagnostiques de pré-diabète et diabète de 42 et 48 mmol/mol, dont la pertinence est toutefois discutée pour l’adolescent).
Les autres résultats notables de l’étude sont une augmentation significative du rapport leptine/adiponectine dans le groupe exposé, ainsi que de la concentration sérique du PAI-1 uniquement chez les filles. Plusieurs résultats (rapport leptine/adiponectine, IL-6, HDL, TG, insuline, et comme précédemment à l’âge scolaire, leptine et IGF-1) soutiennent une interaction gène-environnement.
Étant donné l’enjeu de santé publique, cette étude incite à en engager d’autres, en population générale, afin d’examiner l’impact d’une exposition banale à des pesticides pendant la vie in utero sur le risque ultérieur d’obésité, de syndrome métabolique et de diabète.
Publication analysée :
* Andersen HR1, Tinggaard J, Grandjean P, Jensen TK, Dalgård C, Main KM. Prenatal pesticide exposure associated with glycated haemoglobin and markers of metabolic dysfunction in adolescents. Environ Res 2018 ; 166 : 71-77. doi : 10.1016/j.envres.2018.05.032
1 Department of Environmental Medicine, Institute of Public Health, University of Southern Denmark, Odense, Danemark.