ANALYSE D'ARTICLE

Épigénétique transgénérationnelle. Héritabilité des effets de l’exposition aux obésogènes

 

L’obésité et les troubles métaboliques constituent aujourd’hui une pandémie mondiale qui touche des millions de personnes. Bien que l’obésité soit une maladie multifactorielle, on a de plus en plus de preuves en faveur du rôle de l’exposition à des produits chimiques. Il s’agit d’un sous-ensemble de produits perturbateurs endocriniens (PE), qualifiés d’obésogènes.

Nous avons observé depuis longtemps des effets in vitro sur des modèles cellulaires, mais aujourd’hui des études in vivo et dans l’espèce humaine (études épidémiologiques) viennent étayer cette hypothèse. Depuis la découverte de l’épigénétique, les chercheurs ont recherché de tels mécanismes chez les animaux et les plantes, et nous avons montré que le développement normal et l’homéostasie endocrinienne des organismes des générations suivantes pouvaient être modifiés sans que la séquence des nucléotides soit perturbée. Les données recueillies sur des modèles animaux ont montré que les effets de l’exposition aux obésogènes pouvaient être transmis sur un mode transgénérationnel, au moins jusqu’à la génération F4. Ainsi, l’exposition aux PE prédispose les individus des générations suivantes à des effets indésirables et à des pathologies, dont l’obésité et les troubles métaboliques.

Les mécanismes exacts par lesquels ces effets sont transmis d’une génération à l’autre, sans altération de l’ADN, sont encore mal connus. Les hypothèses incluent classiquement la méthylation différentielle de l’ADN, la méthylation des histones, la rétention des histones, l’expression et/ou le dépôt d’ARN non codants, les altérations à grande échelle de la structure et de l’organisation de la chromatine.

De nombreux facteurs de l’environnement, tels que le stress, les substances toxiques ou une nutrition de mauvaise qualité semblent induire des modifications épigénétiques qui sont transmises de génération en génération, même si certaines générations ne sont jamais directement exposées à ces facteurs. L’hérédité transgénérationnelle des expositions environnementales se définit ainsi comme la transmission, via la lignée germinale, à une génération qui n’a jamais été exposée, d’un phénotype lié à une exposition environnementale. Lorsque la génération F0 est exposée à un produit chimique ou à un stimulus environnemental, les générations suivantes peuvent cependant aussi être exposées et/ou affectées par des modalités diverses. Par exemple, l’exposition d’un mammifère femelle F0 à un produit chimique pendant la grossesse aura des effets directs sur sa progéniture de la génération F1, exposée au produit chimique in utero. La génération F2 est exposée aux stimuli via les cellules germinales de la génération F1, et la génération F2 est donc aussi exposée directement au stimulus. Les effets observés chez les générations F1 et F2 après l’exposition de F0 sont appelés effets multi- ou intergénérationnels. Les effets observés sur la génération F3 et au-delà sont dits transgénérationnels, car ces descendants n’ont jamais été directement exposés au stimulus et ne peuvent être affectés par l’exposition de F0 que par des changements épigénétiques. Si l’animal F0 est un mâle ou une femelle non gestante, la génération F1 est exposée via les cellules germinales de F0, et la première génération transgénérationnelle (non exposée) est la génération F2.

Si la transmission de séquences d’ADN altérées (mutations par exemple) est bien connue, les mécanismes qui sous-tendent la transmission de phénotypes en l’absence d’altérations de la séquence d’ADN sont mal compris, en particulier lorsqu’elle concerne des générations non exposées.

Cette revue de la littérature expose les avancées récentes dans le domaine de l’épigénétique et des effets transgénérationnels des obésogènes de l’environnement. Les forces et les faiblesses des preuves sont analysées, et les auteurs montrent que parmi les mécanismes proposés, aucun n’est suffisant pour expliquer pleinement le phénomène. Les changements dans l’organisation et la structure de la chromatine (structure complexe constituée d’ADN et de protéines, localisée dans le noyau cellulaire au repos) sont une explication plausible de la façon dont certaines prédispositions à des maladies sont héritées sur plusieurs générations, y compris des générations qui n’ont jamais été exposées.

Commentaire

Il reste beaucoup à apprendre sur la façon dont les effets de l’exposition aux produits obésogènes peuvent être transmis d’une génération à l’autre, et si de tels effets sont suggérés pour de plus en plus d’expositions environnementales et de pathologies émergentes ; la mise en évidence des mécanismes exacts à l’échelle cellulaire progresse lentement.

Nous avons des preuves d’hérédité transgénérationnelle de l’obésité après exposition à certains obésogènes, mais pour l’instant, les mécanismes ne sont que théoriques. Alors que chacun des mécanismes possibles discutés dans l’article est plausible pour expliquer partiellement l’héritage transgénérationnel, l’impact réel de chaque mécanisme et la mesure dans laquelle il contribue à l’hérédité transgénérationnelle restent incertains. Le rôle des facteurs de transcription dont l’expression peut être modifiée par des expositions environnementales dans la modulation transgénérationnelle de la méthylation de l’ADN doivent être examinés plus avant. Une possibilité séduisante, mais non prouvée, est que des variations dans l’activité des gènes interviennent non pas par des mutations dans la séquence de l’ADN, mais par des changements de l’état de compaction de la molécule. Ces changements permettraient ou favoriseraient la promotion de la méthylation différentielle de l’ADN, la méthylation des histones et la rétention d’histones, ainsi que l’expression et/ou le dépôt d’ARN non codants. Les études futures dans ce domaine devront intégrer les exemples précédents d’héritage épigénétique chez les mammifères et les mécanismes proposés dans une vision globale, de façon que les contributions de chaque mécanisme épigénétique à l’héritabilité des traits acquis soient évaluées objectivement.


Publication analysée :

Analyse de l’article : Epigenetic transgenerational inheritance of the effects of obesogen exposure.

Mohajer N, Joloya EM, Seo J, Shioda T, Blumberg B. Epigenetic transgenerational inheritance of the effects of obesogen exposure. Front Endocrinol 2021 ; 12 : 787580. Doi : 10.3389/fendo.2021.787580.