ANALYSE D'ARTICLE

Espaces verts et santé mentale dans une population âgée

Cette étude est parmi les premières à défricher un nouveau champ de connaissances : le rôle d’un environnement « vert » sur la santé mentale des personnes âgées. Elle suggère des bénéfices potentiellement importants et incite à poursuivre les recherches.

This is one of the first studies to explore a new field of knowledge: the impact of a “green” environment on the mental health of older people. It suggests potentially important benefits and calls for further research.

Si la littérature récente indique, globalement, un effet bénéfique de l’exposition à un environnement « vert » sur la santé mentale, les données manquent dans la population âgée, dont le niveau d’activité physique et le temps passé à l’extérieur peuvent être restreints. Une étude britannique chez des sujets âgés de 65 ans et plus a rapporté une association entre l’agrément perçu du quartier (incluant la présence d’arbres et de plantes) et le niveau de satisfaction générale quant à sa vie, mais l’échantillon était limité (n = 271) et l’exposition à la végétation était auto-évaluée. Deux autres travaux (en Grande-Bretagne et en Australie) ont montré une relation inverse entre le niveau de détresse psychologique et la richesse de l’environnement en espaces verts, mesurée à partir d’images fournies par des satellites ou de bases de données géographiques. L’apport de cette nouvelle étude tient à son ampleur, à la caractérisation des deux troubles psychologiques investigués – la dépression et l’anxiété – et au contrôle de covariables individuelles et communautaires.

 

Présentation de l’étude

Les auteurs ont utilisé des données de la cohorte Cognitive Function and Ageing Study (CFAS) mise en place entre 1991 et 1994 au Royaume-Uni (six centres participants, plus de 13 000 sujets recrutés) dans l’objectif d’étudier le déclin cognitif et physique lié à l’âge. La population sélectionnée pour cette analyse était celle des 2 424 membres qui avaient été inclus en 1991 par quatre centres anglais (Cambridgeshire, Newcastle upon Tyne, Nottingham et Oxford) et qui avaient participé à l’examen de suivi organisé 10 ans après (en 2001). Les quatre centres offraient un bon contraste régional et avaient travaillé selon une méthodologie identique, contrairement au centre de Liverpool qui a été écarté, ainsi que celui du pays de Galles qui ne pouvait pas fournir toutes les informations permettant d’établir l’indice de défaveur sociale. Cet indice a été construit à partir de données couvrant sept domaines (revenu, emploi, santé, éducation, accès aux services, environnement résidentiel et criminalité), recueillies en 2001 et 2002 à l’échelle d’une petite unité territoriale utilisée à des fi ns statistiques, regroupant en moyenne 1 500 habitants.

L’exposition résidentielle à l’environnement naturel a été mesurée à la même échelle, sur la base du code postal des participants et des données 2001 d’utilisation des sols. Les critères étaient le pourcentage d’espaces verts (définis comme une zone couverte d’herbe) et celui des jardins privés (terrains adjacents à une habitation). La population a été répartie en quatre catégories d’exposition correspondant aux quartiles de la distribution.

Dix ans après leur inclusion, les sujets étaient âgés de 74 à 101 ans (médiane : 81 ans). Cette population était caractérisée par une prédominance de femmes (60 %), de personnes ayant un faible niveau d’études (60,1 %) et d’anciens travailleurs manuels (53,8 %). L’état de santé mental a été évalué par un entretien psychiatrique standardisé (Geriatric Mental State Examination) et son algorithme informatisé associé permettant de diagnostiquer une dépression ou une anxiété (Automated Geriatric Examination for Computer Assisted Taxonomy [AGECAT]). Un score AGECAT de 3 ou 4 (sur un total de 5) signait la présence d’une dépression ou d’une anxiété cliniques, tandis qu’un score de 1 ou 2 correspondait à un état subdépressif ou subanxieux. La prévalence de la dépression clinique était de 9,2 % et celle de l’état subdépressif était de 18,3 %. Seuls 46 sujets présentaient une anxiété clinique, et celle-ci était associée à une dépression chez 27 d’entre eux et à un état subdépressif chez les 19 autres. La prévalence d’un état subanxieux était en revanche élevée, qu’il soit isolé (15,6 %) ou associé à un état dépressif (5,8 %) ou subdépressif (8,7 %). Une seule catégorie a été défi nie pour l’anxiété, regroupant tous les sujets présentant des symptômes anxieux (score AGECAT compris entre 1 et 5 : 32 % de la population).

La prévalence de ces deux troubles était plus élevée chez les femmes (surtout la dépression : 11,5 % versus 5,8 % chez les hommes), ainsi que chez les personnes avec un faible niveau d’études et les anciens travailleurs manuels. Par ailleurs, un excès de risque de souffrir de dépression ou d’anxiété était observé chez les sujets ayant au moins deux pathologies chroniques (parmi : hypertension artérielle, diabète, séquelles d’accident vasculaire cérébral ou d’infarctus du myocarde, angine de poitrine, hypotension orthostatique, déficience auditive ou visuelle).

 

Commentaires

L’étude de Wu et al. est un bon travail d’épidémiologie : elle établit une liaison statistique quantitative entre un facteur de risque et un type d’impact sur la santé, en fondant son objectivité sur l’effacement des effets de contexte. Elle présente des forces et limites qui sont développées par les auteurs dans la discussion, que nous ne commenterons pas et qui débouchent classiquement sur de nouvelles perspectives de recherche. Il est pourtant légitime de se poser quelques questions plus fondamentales sur la pertinence de la démarche méthodologique utilisée pour traiter la question posée, dans la mesure où les auteurs s’aventurent sur les implications de leurs résultats en santé publique et en pratique clinique.

Il s’agit d’établir quantitativement la relation positive déjà connue entre environnement naturel (EN) et bien-être mental dans une population âgée (74 ans et plus) considérée plus sensible que celle des jeunes adultes. L’épidémiologiste adapte la question à son schéma de pensée : dans sa population d’étude, il utilise l’indicateur environnemental disponible, la densité de verdure dans l’espace de vie (surfaces enherbées et jardins privatifs autour de la maison), comme indicateur d’exposition, et la prévalence des désordres mentaux communs (anxiété, dépression) comme effets de santé mesurables de cette exposition. Puis il démontre une liaison statistique négative, en prenant la précaution de préciser qu’elle n’est pas causale. Mais quel peut être l’intérêt explicatif de l’indicateur environnemental utilisé ? Il existe une multitude d’espaces de natures très différentes en zone urbaine, rurale, péri-urbaine et littorale, qui peuvent être semblables sur le plan des usages et de l’impact psychologique. L’ethno-écologie nous apprend que les besoins de nature sont d’abord des attentes d’interaction sociale et de santé mentale, qu’ils sont exprimés aussi bien dans les territoires urbains que ruraux, et qu’ils ne sont pas liés uniquement au degré de verdissement de l’espace mais davantage aux formes d’occupation de l’espace, aux modes d’habitat, de déplacement, etc. [1]. Il est donc possible que le résultat de l’analyse supplémentaire montrant un impact positif de la présence d’espaces verts sur la santé mentale des populations âgées plus fort en milieu urbain que toutes zones confondues soit un artefact.

Comme le rappellent les auteurs eux-mêmes, les relations entre EN et santé sont souvent indirectes et c’est la combinaison de plusieurs déterminants qui influe sur l’état de santé général et la qualité de vie des populations. Des modèles globaux de causalité entre EN et santé ont été proposés [2,3] : ils visualisent les multiples liens de causalité possibles. Et ils sont de ce fait utilisables pour l’action de santé publique car ils explicitent comment, en agissant sur quelques caractéristiques des EN (accessibilité, esthétique, aménagements, modes de gestion, etc.) qui vont influencer aussi bien le type d’usage que la fréquence d’utilisation de cet espace, c’est-à-dire l’exposition des populations riveraines, on peut modifier de nombreux déterminants de santé, qu’ils soient environnementaux, sociaux ou économiques. Les mêmes types de modèles peuvent aussi servir à comprendre ce qui peut influencer la capacité d’un EN à fournir des services écosystémiques, et contribuer ainsi à construire des territoires durables pour tous les habitants. La construction de ces modèles nécessite un travail de recherche interdisciplinaire rassemblant divers spécialistes de la santé publique (pas seulement des épidémiologistes), écologues, psychologues, sociologues, économistes, paysagistes et urbanistes, et d’associer dans la réflexion chercheurs, décideurs et praticiens de terrain.

Jean Lesne

1. Manusset S. Les espaces verts : un nouvel outil des politiques de santé publique ? Environ Risque Sante 2015 ; 14 : 313-20. doi : 10.1684/ers.2015.0795

2. Lachowycz K., Jones PA. Towards a better understanding of the relationship between greenspace and health. Development of a theoretical framework. Landscape Urban Plan 2012. http://dx.doi.org/10.1016/j.landurbplan.2012.10.012

3. Milvoy A., Roué-Le Gall A. Aménager des espaces de jeux favorables à la santé. La Santé en Action 2015 ;434 : 38-9.

 

Influence de l’environnement naturel

Le risque d’anxiété apparaît diminué dans le dernier quartile d’exposition à un environnement naturel comparativement au premier (odds ratio [OR] = 0,62 [IC95 : 0,46-0,83]) après ajustement sur les covariables individuelles (âge, sexe, comorbidités, niveau d’études et classe sociale sur la base de l’emploi le plus longtemps occupé permettant de classer le sujet en travailleur manuel ou non-manuel). Des associations négatives sont également mises en évidence avec l’état subdépressif (OR = 0,66 [0,46-0,95]) ainsi qu’avec l’état mixte anxiodépressif (OR = 0,55 [0,35-0,84]), tandis que la diminution du risque de dépression clinique n’apparaît pas significative (OR = 0,72 [0,45-1,16]). Pour l’anxiété et l’état anxiodépressif, une tendance dose-réponse significative (p < 0,01) est mise en évidence.

L’ajustement supplémentaire sur l’indice de défaveur social du quartier ne modifie pas radicalement ces résultats. Il atténue légèrement la force de l’association avec l’anxiété (OR dans le dernier quartile = 0,67 [0,48-0,92]) et a un impact plus important sur les associations avec l’état anxiodépressif (OR = 0,66 [0,41-1,07]) et surtout la dépression subclinique (OR = 0,84 [0,57-1,23]).

Qu’un environnement « vert » contribue à la santé mentale, et ainsi à la qualité de vie des personnes âgées, pourrait avoir d’importantes implications de santé publique. Le schéma transversal de l’étude ne permet toutefois pas d’affirmer un lien de causalité. De plus, un biais de sélection est possible, la population incluse étant celle des « survivants » de la CFAS qui a participé au suivi à 10 ans. Enfin, l’information n’était pas disponible pour permettre d’explorer l’influence de déterminants tels que le type et la qualité de la végétation, l’accessibilité des espaces verts et l’usage qui en était fait.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Wu YT1, Prina M, Jones A, Matthews F, Brayne C. Older people, the natural environment and common mental disorders : cross-sectional results from the Cognitive function and Ageing Study. BMJ Open 2015; 5 : e007936.

Department of Public Health and Primary Care, Institute of Public Health, University of Cambridge, School of Clinical Medicine, Cambridge, Royaume-Uni.

doi : 10.1136/bmjopen- 2015-007936