Contaminants

Perturbateurs endocriniens

Julien Caudeville

Santé Publique France, Saint-Maurice

Volume 19, numéro 1, Janvier-Février 2020

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ANALYSE D'ARTICLE

Évaluation des risques sanitaires d’alkyls per- et polyfluorés

Issue de la chimie de synthèse organique, la famille de substances alkyls per- et polyfluorés, ou PFAS, constitue un vaste groupe de composés largement utilisés, depuis les années 1950, dans l’industrie pour traiter les produits manufacturés du quotidien et accroître leur résistance aux processus de dégradation (hydrolyse, photolyse, biodégradation, métabolisation, etc.). Ces substances se caractérisent par la multiplicité des voies d’exposition (alimentation, eau, sol, air) liée à leur présence dans l’ensemble des milieux environnementaux. Les potentiels de bioconcentration des PFAS dans les organismes et de biomagnification dans la chaîne alimentaire les rendent particulièrement menaçants pour la santé des populations et le fonctionnement des écosystèmes. De nombreuses recherches ont rapporté leur présence dans les différentes matrices biologiques de la biosurveillance (urine, lait maternel, sang, placenta) et des associations entre expositions et effets sanitaires (cancers, dysfonctionnements thyroïdiens, maladies allergiques, maladies infectieuses, etc.).

Cette étude vise à caractériser, dans une évaluation des risques sanitaires (ERS), particulièrement les voies d’exposition du milieu intérieur : l’ingestion d’eau de consommation et de poussières domestiques.

Six PFAS ont été mesurés dans 168 échantillons de poussière domestique et 27 échantillons d’eau de consommation. Les concentrations varient respectivement entre 15 et 491 ng.g-1 dans les poussières et entre 0,3 à 4,1 ng.L-1 dans l’eau. Pour les différentes matrices d’analyses, les taux de détection sont plutôt satisfaisants (environ 70 %). Les concentrations utilisées pour caractériser la qualité de l’air intérieur et l’ingestion de produits alimentaires proviennent d’études supposées représentatives au niveau national.

Les concentrations de PFAS ayant des chaînes carbonées plus courtes sont globalement plus élevées. L’acide perfluorooctanoïque (PFOA) et le sulfonate de perfluorooctane (PFOS) sont les composés principaux pour l’eau, et le sulfonate de perfluorohexane (PFHxS) pour les poussières domestiques. Les concentrations sont plus élevées dans les eaux du robinet que celles mesurées dans les eaux traitées ou les eaux en bouteille.

Les doses journalières d’exposition cumulées pour les six PFAS sont comprises entre 21 et 53 ng.kg-1.j-1pour les nourrissons, les enfants, les adolescents et les adultes. À part pour les nourrissons pour lesquels les PFOS sont les principaux contributeurs, le PFOA représente en moyenne près de 73 % de l’apport quotidien total.

Les milieux d’exposition qui contribuent le plus aux expositions totales sont, dans l’ordre, l’alimentation, les poussières domestiques, l’eau potable puis l’air intérieur.

L’eau de consommation et les poussières contribuent à hauteur de 9 % à l’exposition totale.

Les quotients de danger (QD) cumulés pour les six PFAS varient entre 0,15 et 0,5, ce qui ne correspond pas à un risque très élevé pour la population chinoise. Cette étude fournit des données de référence importantes sur les concentrations de milieux environnementaux, les doses d’exposition et les risques associés sur une famille dont l’intérêt est croissant dans les programmes de surveillance.

Commentaire

L’intérêt pour cette famille de composés, dont le contrôle est prévu dans la plupart des programmes de surveillance des milieux environnementaux, est croissant. Ces composés sont notamment considérés comme une des priorités dans l’initiative européenne HBM4EU de biosurveillance humaine permettant l’évaluation de l’exposition humaine aux substances chimiques en Europe. Le PFOS a été identifié comme substance dangereuse prioritaire dans la directive du Parlement européen et du Conseil du 12 août 2013 et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a rendu un avis, en 2017, relatif à l’évaluation des risques sanitaires des PFAS dans les eaux destinées à la consommation humaine : l’estimation des risques ne met pas en évidence de niveau d’exposition préoccupant au regard des valeurs sanitaires maximales proposées. Toutefois, et selon une démarche équivalente à l’étude présentée dans cet article, l’Anses souligne que les risques estimés sont construits à partir de valeurs toxicologiques indicatives.

L’étude présentée ici permet de générer des données intéressantes de contamination pour comparer des profils de concentration dans les milieux environnementaux. Au-delà, les conclusions de l’étude sont assez discutables. La caractérisation des incertitudes est une phase essentielle à l’ERS mais souvent assez mal abordée. Ici, elle n’est simplement pas traitée. Pourtant, les problèmes de représentativités sur les données de concentrations utilisées posent de réelles questions sur la pertinence des résultats présentés. Par exemple, les 27 échantillons d’eau traitent trois matrices différentes (eaux traitées, eau en bouteille et eau du robinet). Les neuf résultats par matrice sont largement insuffisants pour être généralisés à l’ensemble de la population chinoise au vu des dispersions statistiques reportées. De la même manière, les concentrations dans les différentes catégories alimentaires proviennent de résultats d’études et des designs différents : modélisation des transferts dans les produits locaux autour de sites industriels, campagne de mesures dont certains résultats sont tous inférieurs aux limites de détection... Ces imprécisions génèrent des distorsions entre les voies d’exposition et empêchent une analyse pertinente de leur contribution à l’exposition totale. Les auteurs ne justifient pas suffisamment leurs hypothèses ; notamment, l’utilisation d’une médiane des concentrations des milieux d’exposition plutôt que d’une moyenne divise le risque par 3 ou 4. Ce choix aurait nécessité d’être au moins discuté.


Publication analysée :

* Ao J1, Tao Yuan T, Xia H, et al. Characteristic and human exposure risk assessment of per- and polyfluoroalkyl substances: A study based on indoor dust and drinking water in China. Environmental Pollution 2019 ; 254 : 112873. doi : 10.1016/j.envpol.2019.07.041

1 School of Environmental Science and Engineering, Shanghai Jiao Tong University, Shanghai, Chine