ANALYSE D'ARTICLE

Exposition au plomb au cours du développement et comportement criminel des adultes : une étude prospective de cohorte de naissance sur 30 ans

 

Cette étude est présentée par un groupe de chercheurs de différentes institutions de la ville de Cincinnati (États-Unis), spécialisés dans des domaines complementaires dont la justice criminelle, la santé environnementale et les sciences sociales. Le sujet est excessivement délicat car il aborde les liens prédictifs possibles entre une intoxication au plomb et un comportement jugé « criminel » dans le sens anglo-saxon ou répréhensible.

L’étude analyse les imprégnations au plomb de 254 enfants de la ville dans une cohorte initiée entre 1979 et 1984 avec un suivi des arrestations intervenues lorsque ces enfants ont atteint l’âge adulte jusqu’à 33 ans. Les auteurs précisent que le recrutement des futures mères était réalisé dans des quartiers à fort niveau de pauvreté. La cohorte est composée de 90 % de noirs américains dont la situation est clairement défavorisée, avec 84 % de femmes non mariées, et de QI moyen des mères de 75, considéré comme relativement faible par les auteurs.

Le critère principal est le nombre d’arrestations par la police lorsque les enfants ont atteint les périodes d’âge entre 18-24 ans et 27-33 ans. Les auteurs précisent que ce critère est connu pour sous-estimer le nombre réel d’actions répréhensibles et indiquent avoir limité les facteurs confondants. Parmi les répondants, 22 % n’ont jamais été arrêtés. Pour les 254 sujets suivis, 1 429 arrestations ont été constatées ce qui conduit à 8,15 arrestations en moyenne pour les hommes et 3,3 pour les femmes. La majorité des échantillons prélevés durant l’enfance présentent des plombémies supérieures à 10 μg/dL avec une moyenne à 14,4 μg/dL.

Les analyses multivariées concluent à une « prédiction » (terme employé par les auteurs) du nombre total d’arrestations (2003-2013) par la plombémie prénatale et la plombémie moyenne à la fin du développement de l’enfant et à l’âge de 6 ans. Les auteurs indiquent que leurs résultats montrent que l’imprégnation au plomb durant le développement des enfants examinés est associee de manière prospective à leurs arrestations, essentiellement pour la contravention aux lois sur les drogues illicites, mais qu’il n’apparaît pas de « prediction » pour les arrestations pour violences et pour les atteintes aux biens. Les auteurs citent une étude similaire [1] menée en Nouvelle-Zélande sur 553 sujets et qui ne trouve aucune relation significative entre la plombémie à 11 ans et le statut « criminel » à 38 ans.

Commentaire

Le sujet mérite une attention très particulière dans l’expression des conclusions car les auteurs observent un rapport entre imprégnation au plomb et comportement en illégalité selon les critères de l’Ohio et en particulier les arrestations pour usage/vente de drogues illicites.

Toutefois, et malgré leur pluridisciplinarité, les auteurs n’évoquent pas dans leur discussion, ni dans le résumé, le fait que, la population étudiée vivant dans des zones et des situations très défavorisées, de nombreux autres facteurs sont susceptibles de modifier les comportements constatés. Le lecteur est ainsi conduit à expliquer le comportement « criminel » par les perturbations connues du plomb sur le système nerveux central. Certes, ils précisent que leur population etudiée est jugée selon les critères employés comme homogène et qu’il existerait donc, au sein de cette population, une relation entre l’imprégnation au plomb et les arrestations. Mais, si l’hypothèse plomb/comportementauregard des drogues illicites est acceptée, il était absolument indispensable, concernant un sujet aussi delicat, de proposer les voies complètes d’etudes à développer pour approfondir le sujet avant de conclure définitivement.

Il est juste que le lecteur soit alerté, mais il ne doit pas être amené à penser que la solution à une part significative de la criminalité locale repose seulement sur le dépistage de cette intoxication au plomb, voire que tout individu révélé intoxiqué est, ou sera, nécessairement un « criminel ».

  • [1.] Beckley AL, Caspi A, Broadbent J, et al. Association of childhood blood lead levels with criminal offending. JAMA Pediatr 2018 ; 172 (2) : 166-73.

Publication analysée :

* Wright JP, Lanphear BP, Dietrich KN, et al. Developmental lead exposure and adult criminal behavior: A 30-year prospective birth cohort study. Neurotox Teratol 2021 ; 85 : 106960. Doi : 10.1016/j.ntt.2021.106960.