ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux perturbateurs endocriniens et risque de cancer du sein : une revue systématique

Cette étude avait pour objectif d’étudier l’association entre l’exposition aux perturbateurs endocriniens (PE) et le risque de cancer du sein. Une revue systématique a été menée à partir des bases de données Cochrane Library, LILACS, Livivo, PubMed et Science Direct. Basée sur la stratégie « Population, exposition, comparaison et effets » (PECO), cette revue cherche à répondre à la question suivante : « L’exposition humaine aux perturbateurs endocriniens est-elle associée à un risque accru de cancer du sein ? ». L’analyse intègre les études observationnelles évaluant l’association entre l’exposition humaine aux PE et le risque de cancer du sein sans aucune restriction de langue ou de période de publication. Au total, 37 études ont été retenues. Seules les études évaluant l’exposition aux PE par la mesure de l’imprégnation biologique (sang et urine) des participants ont été incluses. Ont été exclues de l’analyse, les synthèses, éditoriaux et études de cas, et les études in vitro ou animales. Les biais potentiels associés aux résultats des études ont été évalués individuellement à l’aide de l’outil Office of Health Assessment Translation (OHAT) du National Toxicology Program. Parmi ces études, 34 (91,9 %) ont été classées comme présentant un faible risque de biais (essentiellement de recrutement et de confusion pour les autres études). Les études ont été principalement publiées au cours des cinq dernières années et aux États-Unis.

Les pesticides organochlorés et les métaux lourds sont les substances PE les plus fréquemment évaluées, représentant respectivement 79 % et 22 % des études. Le bisphénol A, les composés organiques fluorés, les phtalates, les parabènes et les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) ont également été souvent analysés. L’exposition à la plupart des PE évalués était associée à un risque accru de cancer du sein. La plupart des études (n = 32 ; 86,5 %) ont ajusté les mesures d’association entre l’exposition aux PE et le risque de cancer du sein aux facteurs de risque établis pour le développement du cancer du sein, tels que l’âge, l’indice de masse corporelle, l’âge des premières règles, les antécédents familiaux de cancer du sein, de l’allaitement, du tabagisme et de la consommation d’alcool.

Les résultats de cette revue systématique indiquent une association entre l’exposition aux polychlorobiphényles (PCB), aux métaux lourds, aux organochlorés, aux retardateurs de flamme et aux HAP et un risque accru de cancer du sein. En revanche, l’exposition au retardateur de flamme bromé (BDE 71, organochloré) et au phtalate monobenzyle (MBzP) est négativement associée au risque de cancer du sein.

L’analyse par congénère pour la famille des PCB est intéressante : une association particulièrement élevée est retrouvée avec les PCB 170 (Odds ratio [OR] : 3,27 ; IC 95% : 1,44-7,44), 180 (OR : 2,43 ; IC 95 % : 1,09-5,43), 44 et 52 (OR : 7,9 ; IC 95 % : 1,1-51,4) et 8, 195, 206 et 209 (OR : 1,8 ; IC 95 % : 1,1-3,1) et le risque de cancer du sein. Chez les femmes pré-ménopausées, les PCB 105 (OR : 3,91 ; IC 95 % : 1,73-8,86) et 118 (OR : 2,85 ; IC 95 % : 1,24-6,52) sont positivement associés au risque de cancer du sein. Chez les femmes présentant une plus grande adiposité, l’exposition au PCB 183 est associée à une plus grande probabilité (OR : 2,0 ; IC 95 % : 1,2-3,4) de cancer du sein alors que le PCB 153 est négativement associé.

Les auteurs concluent que l’analyse qualitative des études observationnelles indique que l’exposition humaine aux PE est associée à un risque accru de cancer du sein. Des études supplémentaires sont toutefois requises pour déterminer si ces associations doivent être considérées causales.

Commentaire

D’après le rapport de l’Organisation mondiale de la santé/International Programme on Chemical Safety (OMS/IPCS) 2012, près de 800 substances chimiques ont des propriétés perturbatrices endocriniennes avérées ou suspectées. La liste de substances suspectées de ce type d’effets est modifiée régulièrement en fonction de la production de nouvelles connaissances. De la même manière, le type d’effets sanitaires potentiels initialement mis en évidence par le dysfonctionnement de la sphère reproductive s’est étendu à pratiquement toutes les atteintes des fonctions et des organes (cancer du sein dans cet exemple).

Pour être identifiée PE, une substance doit répondre à la définition de PE telle qu’admise au niveau européen, c’est-à-dire que les données disponibles pour cette substance doivent permettre l’identification d’un effet néfaste sur un organisme intègre, d’un mode d’action PE et d’un lien de plausibilité biologique entre les deux. Il faut aussi démontrer la pertinence pour l’homme ou sur une population des effets observés sur des modèles animaux ou cellulaires.

Au-delà des problèmes d’expologie pour les substances classiques et spécifiquement pour les PE (ubiquité des substances dans les différents environnements, effets différés, effets transgénérationnels, effets des faibles doses, relations non monotones, effets des mélanges, etc.), de par son design, l’épidémiologie n’est pas immédiatement méthodologiquement équipée pour identifier les processus biologiques sous-tendus entre exposition et effets sanitaires et, par la suite, conclure sur la causalité des relations. Dans cet article, les études ne permettent pas de caractériser que les modes d’action attribués à la substance soient effectivement impliqués dans le processus mécanistique – ou mécanisme biologique – conduisant à l’effet sanitaire. Les substances identifiées PE (car possédant une capacité d’interaction avec au moins l’une des composantes du système endocrinien) sont, par défaut, implicitement considérées avoir une interaction entre les substances et les récepteurs aux hormones féminines. Pourtant, tous les cancers du sein ne sont pas hormono-dépendants... et les substances PE peuvent avoir été classées comme telles uniquement pour leurs effets sur le système thyroïdien, ou avoir des mécanismes cancérigènes classiques.

En dépassant le caractère strict relatif à la définition, l’épidémiologie reste opérationnelle sur le champ des PE. Par exemple, cette analyse a pu montrer des risques accrus de cancer du sein pour des expositions associées à des fenêtres de susceptilité spécifiques aux maladies en lien avec les PE. Autrement, les programmes de surveillance ont pu montrer l’augmentation de la prévalence ou de l’incidence de nombreuses maladies chroniques régulièrement attribuée, au moins en partie, aux PE (même si l’état actuel des connaissances de telles études descriptives ne peut être évidemment que générateur d’hypothèses). Couplé au concept de l’exposome, le concept de perturbation endocrinienne a conduit au développement de design d’analyse plus intégré combinant épidémiologie, expologie et toxicologie, transdisciplinarité notamment promu dans le cadre des programmes de recherche européens (FP7, H2020, Greendeal).


Publication analysée :

* Rocha PRS, Oliveira VD, Vasques CI, Dos Reis PED, Amato AA. Exposure to endocrine disruptors and risk of breast cancer: a systematic review.Crit Rev Oncol Hematol 2021 ; 161 : 103330. Doi : 10.1016/j.critrevonc.2021.103330.