ANALYSE D'ARTICLE

Exposition maternelle à la pollution ambiante et cancer de l’enfant : vaste étude en Ontario

Fondée sur les données de registres, cette étude en population générale dans la province la plus peuplée du Canada suggère que l’exposition à la pollution de l’air pendant la grossesse augmente le risque de leucémie aiguë et d’astrocytome chez l’enfant.

This study of population-based register data from Canada's most densely populated province suggests that air pollution exposure during pregnancy increases the risk of acute leukemia and astrocytoma in children.

Une quinzaine d’études épidémiologiques sur le lien entre la pollution de l’air et les cancers de l’enfant a été publiée dans la dernière décennie. Cette littérature dont se dégage un faible niveau de preuve, est marquée par la diversité des polluants et des périodes d’exposition considérés, ainsi que des méthodes utilisées pour estimer l’exposition résidentielle (densité du trafic routier, proximité de sources d’émission, données de mesures provenant de capteurs au sol, modélisation du niveau des polluants suivant différentes approches). La leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) a été la plus étudiée, les connaissances étant très pauvres pour les cancers plus rares.

Pour cette nouvelle et vaste étude en Ontario, les auteurs ont choisi d’examiner la relation entre l’exposition prénatale et durant la première année de vie au dioxyde d’azote (NO2) et aux particules fines (PM2,5) et la survenue de tout type de cancer jusqu’à l’âge de 6 ans. Les deux polluants servaient respectivement de marqueur de la pollution liée au trafic (NO2) et du mélange complexe de la pollution ambiante (PM2,5). L’exposition au NO2 a été estimée par le modèle land-use regression national, alimenté par les données du réseau de surveillance de la pollution de l’air, des données satellitaires, météorologiques, et d’affectation des sols (routes et zones industrielles). Des estimations issues d’observations satellitaires (épaisseur optique de l’atmosphère) combinées à un modèle de chimie-transport atmosphérique et ajustées sur des données de mesure régionales ont été utilisées pour les PM2,5. Pour les deux polluants, des niveaux d’exposition moyens ont été calculés pour chaque trimestre de la grossesse, pour sa durée entière, et pour la première année de vie. La période d’exposition a été choisie au regard des travaux soutenant l’hypothèse d’une initiation in utero des cancers précoces (accident génétique prédisposant une lignée de cellules à sa transformation cancéreuse à l’occasion d’un second événement dans l’enfance). La période d’observation a été arrêtée au sixième anniversaire dans un souci de cohérence avec deux précédentes investigations californiennes réalisées selon des approches comparables.

Cohorte étudiée

Trois bases de données administratives de l’Ontario ont été utilisées pour rassembler les éléments populationnels nécessaires. Toutes les naissances d’enfants uniques ayant eu lieu entre le 1er avril 1988 et le 31 mars 2012 (n = 2 656 356) ont été extraites de la base mère-enfant MOMBABY, ainsi que les variables âge de la mère, sexe de l’enfant, parité et année de naissance, pour l’ajustement statistique. La base de données BORN contenant des informations sanitaires complémentaires a été consultée pour connaître la consommation de cigarettes des mères pendant leur grossesse, qui a été contrôlée. L’information n’était disponible qu’à partir de 2006 et les données manquantes ont été traitées par imputation multiple. Enfin, le Registre des bénéficiaires de l’assurance santé (RPDB) a permis d’identifier les cas de décès chez les enfants et d’obtenir les codes postaux des résidences des mères. Ceux-ci ont été utilisés pour attribuer à chaque sujet son exposition, les coordonnées géographiques de référence étant celles du centroïde du code postal (le degré de précision était donc plus élevé en ville où ce code couvre un bloc d’immeubles qu’en zone rurale où il peut représenter une surface assez vaste). La mobilité résidentielle a été prise en compte dans une certaine mesure, les adresses des assurés n’étant pas mises à jour dans le RPDB aux dates précises de leurs changements, mais au 1er juillet de chaque année. Environ un quart des mères avait déménagé au moins une fois en cours de grossesse, mais la majorité (83,2 %) était restée dans la même municipalité, ce qui a limité les erreurs de classement quant à l’exposition.

À défaut de disposer d’informations individuelles relatives au statut socio-économique, une variable d’ajustement a été construite à l’échelon de l’unité de recensement, sur la base du code postal au moment de l’accouchement (ou des codes postaux successifs en cas de déménagement durant la grossesse). Trois données issues du recensement quinquénal le plus proche de l’année de naissance ont été prises en compte : le revenu médian des foyers, la proportion de la population non-blanche, et celle des femmes de 25 à 64 ans diplômées du supérieur.

Toutes les informations nécessaires aux analyses étaient réunies pour 2 350 898 naissances, soit 88,5 % de la population éligible de départ. Un nombre total de 2 044 cas incidents de cancers diagnostiqués avant l’âge de six ans a été identifié dans le registre des cancers pédiatriques de l’Ontario (période du 1er avril 1988 au 31 mars 2013). Les cancers les plus fréquents étaient des LAL (849 cas), des néphroblastomes (n = 211) et des astrocytomes (n = 208). Trois autres cancers dépassaient la centaine de cas : le neuroblastome (n = 162), le rétinoblastome (n = 142) et le lymphome non hodgkinien (n = 112).

Associations mises en évidence

L’article rapporte les résultats d’analyses multivariées pour les trois cancers dont les cas étaient les plus nombreux, exprimés sous forme de hazard ratio (HR) pour une augmentation d’un intervalle interquartile (IIQ) du niveau des polluants.

Deux associations sont mises en évidence avec le NO2, l’une entre l’exposition au cours du premier trimestre de la grossesse et le risque de LAL (HR = 1,20 [IC95 : 1,02-1,41]), l’autre entre l’exposition durant le troisième trimestre et le risque d’astrocytome (HR = 1,55 [1,02-2,37]). Pour ces deux fenêtres d’exposition, l’IIQ était égal à 13,3 parties par milliard (ppb).

L’effet de l’exposition aux PM2,5 a été examiné dans un sous-échantillon de la population, les données d’exposition n’étant disponibles que pour les années 1998 à 2012. L’exposition durant toute la grossesse (970 931 observations) et l’exposition au cours du premier trimestre (1 041 478 observations) apparaissent associées au risque d’astrocytome : HR respectivement égal à 1,35 (1-1,85) pour un IIQ de 3,9 μg/m3 et à 1,40 (1,05-1,86) pour un IIQ de 4 μg/m3.

Une analyse de sensibilité restreinte aux femmes n’ayant pas déménagé en cours de grossesse aboutit à des estimations légèrement différentes, les associations n’étant plus significatives (ainsi, le HR est égal à 1,22 [0,97-1,48] pour l’exposition au NO2 durant le premier trimestre de la grossesse et le risque de LAL, et à 1,31 [0,90-1,92] pour l’exposition aux PM2,5 durant toute la grossesse et le risque d’astrocytome).

Ces résultats demandent à être répliqués tenant compte des limites de l’étude.


Publication analysée :

* Lavigne E1, Bélair M-A, Do M, et al. Maternal exposure to ambient air pollution and risk of early childhood cancers: a population-based study in Ontario, Canada. Environ Intern 2017; 100: 139-147. doi.org/10.1016/j.envint.2017.01.004

1 Air Health Science Division, Health Canada & School of Epidemiology, Public Health and Preventive Medicine, University of Ottawa, Ottawa, Canada.