ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale aux polluants de l’environnement intérieur et de l’air extérieur et trajectoire de développement cognitif jusqu’à l’âge de 7 ans

Originale par son approche multi-exposition et trajectoire développementale, cette étude mexicaine indique qu’une mauvaise qualité de l’air intérieur durant la grossesse augmente la probabilité que l’enfant suive une trajectoire de développement cognitif sous-optimale. Ses résultats soutiennent la pertinence d’une politique d’assainissement des logements.

Les connaissances relatives aux effets de l’exposition prénatale à des polluants environnementaux sur le développement cognitif proviennent essentiellement d’études transversales sinon de cohortes dans lesquelles les capacités cognitives ont été ponctuellement mesurées. D’où l’intérêt de cette analyse des données d’une cohorte mexicaine (964 naissances vivantes uniques) dans laquelle un suivi longitudinal était programmé jusqu’à l’âge scolaire, comprenant deux évaluations à 12 et 18 mois (Bayley Scales of Infant Development [BSID II]), puis deux autres à 5 et 7 ans (respectivement McCarthy Scales of Children's Ability [MSCA] Test et Weschler Abbreviated Scale of Intelligence [WASI]).

L’échantillon disponible (n = 718) incluait une majorité d’enfants ayant complété le suivi (n = 449) ou passé trois des quatre tests (n = 186). Les données des évaluations aux différents temps ont été converties en z-scores puis entrées dans une analyse de classes de trajectoire latente (Latent Class Growth Analysis [LCGA]) qui a abouti au classement des enfants en trois groupes : trajectoire de développement cognitif élevée (14,8 %), moyenne (50,4 %) et basse (34,7 %). La meilleure trajectoire a été prise pour référence et le risque d’une évolution moins favorable a été examiné au regard de l’exposition prénatale à différents polluants de l’environnement intérieur et de l’air extérieur.

Nature et mesure des expositions

Les informations sur la pollution intérieure provenaient de questionnaires administrés à domicile aux futures mères recrutées au deuxième trimestre de leur grossesse parmi les habitantes de la ville de Cuernavaca (au sud du Mexique). La population avait été constituée pour une étude contrôlée randomisée sur les effets d’une supplémentation en oméga 3 durant la grossesse (participation sur la base du volontariat). Le questionnaire était focalisé sur les facteurs de risque d’asthme et d’allergie dans l’environnement domestique et permettait d’établir un score maximum de 9 points : présence de moisissures ou d’humidité sur les murs ou le plancher au cours du dernier mois (oui = 1 ; non = 0), type de poêle utilisé (à bois ou à pétrole = 2 ; à gaz = 1 ; électrique = 0), utilisation d’un extracteur/ventilateur d’air en cuisinant (oui = 0 ; non = 1), maintien d’une fenêtre ouverte dans la journée (oui = 0 ; non = 1), utilisation de pesticides à la maison (oui = 1 ; non = 0), tabagisme maternel (oui = 1 ; non = 0), autre fumeur au foyer (oui = 1 ; non = 0), utilisation de pots en argile (contenant du plomb) pour préparer le repas (oui = 1 ; non = 0). Aucune des participantes ne rapportait fumer et pratiquement tous les logements étaient équipés d’un poêle à gaz : ces deux items ont été exclus, ramenant le score maximum à 6. Sa valeur moyenne était de 3,8 (± 1,1) et deux variables expliquaient 44 % de sa variance : la présence d’un fumeur au foyer et l’utilisation de pots en argile. Les analyses ont été effectuées avec le score global et avec chaque item individuellement.

L’impact de l’exposition résidentielle aux oxydes d’azote (NO2 et NOx) et à trois composés organiques volatils (benzène, toluène et xylène [BTX]) a également été examiné. Des modèles land use regression spécifiques à la zone de l’étude avaient été développés à cet effet, des mesures effectuées durant deux semaines en 60 sites à travers la ville ayant établi à 60-70 % leur capacité prédictrice de la variabilité des niveaux de concentration atmosphérique. Les valeurs étaient relativement faibles : médianes (intervalle interquartile) égales à 16,2 (± 10,2) et 21,2 (± 17,2) ppb pour les NO2 et NOx, et égales à 2,3 (± 1,3), 8,3 (± 11,9) et 3,5 (± 5,2) μg/m3 pour les trois membres des BTX.

Associations observées

L’exposition prénatale à la pollution intérieure apparaît influencer la trajectoire de développement cognitif dans un modèle ajusté sur un indicateur du statut socio-économique, le niveau d’étude de la mère et son intelligence (évaluée par sa capacité de raisonnement abstrait au test des matrices de Raven), le bras de l’étude (supplémentation ou témoin), l’allaitement maternel à l’âge de 3 mois, le niveau de stimulation procuré au nourrisson (entre 6 et 12 mois) par l’environnement familial (sur la base du questionnaire HOME – Home Observation for Measurement of the Environment), la scolarisation à l’âge de 7 ans (établissement public ou privé) et le sexe. Une augmentation d’1 point du score global augmente de 26 % la probabilité d’une trajectoire de développement moyenne (odds ratio [OR] = 1,26 [IC95 : 1,01-1,55]) et de 41 % celle d’une trajectoire basse (OR = 1,41 [IC95 : 1,11-1,79]).

Les analyses avec chaque item du score indépendamment indiquent l’importance de la ventilation du logement, la probabilité d’une trajectoire de développement cognitif sous-optimale étant significativement associée à la présence de moisissures ou d’humidité, ainsi qu’à l’absence de fenêtre constamment ouverte et d’extracteur d’air de cuisine.

Aucune association n’est mise en évidence avec la pollution de l’air extérieur.

L’ajustement supplémentaire sur le poids de naissance ne modifie pas ces résultats.

Les auteurs mentionnent plusieurs limites à leur étude : l’auto-déclaration des expositions au domicile, l’absence d’information sur l’exposition en période post-natale (qui pourrait être en partie responsable des associations observées, les comportements et habitudes de vie perdurant), et le fait que les mères sensibilisées à l’importance d’un environnement de vie sain sont probablement soucieuses d’une manière générale de fournir à leur enfant toutes les conditions d’un bon développement.

En regard, ils relèvent l’intérêt d’un score d’exposition global à la pollution intérieure pour ce qu’il représente – l’impact combiné de facteurs souvent associés – et pour ce qu’il évite à l’analyse statistique – le risque de faux résultats significatifs inhérent aux comparaisons multiples.

 

 

Commentaires

Cette étude des effets de la pollution de l’environnement maternel pendant la grossesse sur le développement des enfants a tout d’abord l’originalité d’utiliser la notion de trajectoire développementale, un concept utilisé jusqu’ici pour suivre l’évolution des enfants présentant des troubles du spectre de l’autisme. Une trajectoire de développement est la voie que prend le comportement d’un jeune individu au fil du temps dans un domaine particulier. Il s’agit donc d’une notion dynamique, qui permet de tenter de corréler au cours du temps les expositions à la pollution et les résultats de tests d’apprentissage.

L’étude suggère que l’exposition des enfants aux polluants de l’air intérieur aurait un effet négatif sur le développement cognitif de 0 à 7 ans, en utilisant des tests psychométriques différents pour les différents âges de l’enfance. Un grand nombre de facteurs de confusion potentiels a été considéré : histoire obstétricale, mensurations des enfants et apports nutritionnels, indice socio-économique des parents, niveau d’études de la mère. Le type d’école (publique ou privée à 7 ans) a également été intégré au modèle. Les résultats constituent un plaidoyer pour les interventions de réduction des polluants de l’air intérieur pendant la grossesse : améliorer la ventilation des logements et des bureaux, réduire l’humidité, supprimer les moisissures, exclure l’utilisation de pesticides, etc.

On peut être tenté de rapprocher ces résultats de ceux d’une étude norvégienne parue dans la revue PNAS en juin 2018, qui tend à montrer que le quotient intellectuel baisse chez les générations nées après 1975. La tendance à la hausse de l’intelligence tout au long de l’histoire de l’humanité se serait arrêtée à notre époque, voire une tendance à la baisse se serait amorcée. Les auteurs, Bernt Bratsberg et Ole Rogeberg, sont deux économistes du Centre Frisch d’Oslo. Ils attribuent cette baisse à un environnement culturel moins favorable pour les jeunes générations, en soulignant pourtant qu’elle ne doit rien ni aux gènes ni à la sociologie, et qu’elle est imputable à « d’autres facteurs environnementaux ». L’étude des performances intellectuelles des jeunes Norvégiens nés entre 1962 et 1991, et testés à l’occasion de la conscription, a en particulier comparé les QI de frères, donc de personnes issues d’un milieu social strictement identique, et aux gènes proches. Il a augmenté de 0,20 point par an entre la cohorte née en 1962 et celle née en 1975, puis a baissé de 0,33 point par an entre celle née en 1975 et celle née en 1991. Les auteurs privilégient, pour expliquer leurs résultats, l’évolution de facteurs environnementaux et citent notamment la télévision et les médias, le « déclin des valeurs éducationnelles », les « dégradations des systèmes éducatifs et scolaires, et de l’éducation au sein des familles », la nutrition et la santé.

On ne peut plus exclure que l’environnement, qu’il soit physique, chimique, éducatif ou culturel ait un impact sur le développement des enfants, et à terme sur les capacités cognitives de populations tout entières, avec des conséquences sociologiques susceptibles de compromettre nombre d’acquis. Une bonne raison de changer de paradigme ?

Elisabeth Gnansia

 

 


Publication analysée :

* Gonzalez-Casanova I1, Stein AD, Barraza-Villarreal A, et al. Prenatal exposure to environmental pollutants and child development trajectories through 7 years. Int J Hyg Environ Health 2018 ; 221 : 616-22. doi : 10.1016/j.ijheh.2018.04.004

1 Department of Global Health, Rollins School of Public Health, Emory University, Atlanta, États-Unis.