ANALYSE D'ARTICLE

Exposition professionnelle au champ magnétique et hémopathies malignes dans la population suisse

S’ajoutant à une littérature déjà bien étoffée, cette analyse dans la Cohorte nationale suisse n’apporte toujours pas de preuve convaincante d’un lien entre l’exposition professionnelle au champ magnétique d’extrêmement basse fréquence et le risque de cancer hématologique.

Depuis les années 1980, de nombreuses études ont examiné l’effet de l’exposition professionnelle à un champ magnétique d’extrêmement basse fréquence (CM-EBF) sur le risque de cancer hématologique sans qu’une conclusion claire puisse en être tirée. L’impression générale, dégagée des travaux qui se sont efforcés de démembrer le groupe hétérogène de ces maladies, est que le risque, s’il existe, est faible et restreint à quelques sous-types d’hémopathies malignes. Ainsi, dans une méta-analyse publiée en 2008, l’association statistique (dont la réalité n’est pas soutenue par une tendance exposition-réponse) est plus forte avec les leucémies de type lymphoïde (leucémie aiguë lymphoblastique [LAL] et leucémie lymphoïde chronique [LLC]) que myéloïde (leucémie aiguë myéloïde [LAM] et leucémie myéloïde chronique [LMC]). Trois importantes études de cohortes publiées postérieurement rapportent des résultats contradictoires : l’exposition professionnelle au CM-EBF apparaît augmenter le risque de LAL (mais pas des trois autres formes de leucémie) dans une population britannique de travailleurs de l’électricité, alors qu’elle est associée au risque de LAM uniquement dans la population générale néerlandaise, ce qui n’est pas observé dans la vaste Nordic Occupational Cancer Cohort incluant tous les cas de LAM diagnostiqués entre 1961 et 2005 en Finlande, Norvège, Suède et Islande. Le même manque de cohérence ressort d’études réalisées aux Pays-Bas, en Australie, aux États-Unis et au Canada en ce qui concerne les lymphomes.

Investigation en Suisse

Les auteurs ont exploité la base de données longitudinales de la Cohorte nationale suisse (CNS) reliant les informations collectées au cours des recensements de 1990 et 2000 aux registres de la population pour examiner le lien entre l’exposition professionnelle au CM-EBF et la mortalité par cancer hématologique, en référence aux causes mentionnées (à un niveau quelconque) sur les certificats de décès, codées selon la classification internationale des maladies (CIM version 8 jusqu’en 1994, puis version 10 introduisant deux sous-types de lymphomes à cellules B [macroglobulinémie de Waldentröm et lymphome diffus à grandes cellules B] pour lesquels la période d’observation a été moins longue). L’exposition a été estimée à partir de l’intitulé du poste et de la formation professionnelle atteinte déclarés lors des recensements, codés selon la classification internationale type des professions de 1988 (ISCO88), en utilisant une matrice emploi-exposition précédemment développée à cet effet (trois catégories d’exposition : faible [valeur médiane du champ magnétique = 0,11 μT], modérée [0,19 μT] et élevée [0,52 μT]).

La période 1990-2008 a été considérée pour l’analyse principale, focalisée sur la population professionnellement active (3 147 000 sujets âgés d’au moins 30 ans à la date du recensement de 1990 [la qualité de la base de données étant moins bonne pour les plus jeunes], n’ayant pas atteint l’âge de la retraite [62 ans pour les femmes et 65 pour les hommes] et ne recevant pas de pension d’invalidité), prenant en compte la première exposition rapportée, et stratifiée selon le sexe (les femmes étant sous-représentées dans les métiers exposant le plus à un CM-EBF). Les covariables contrôlées étaient l’âge, la nationalité, le niveau d’études, la langue régionale et le statut marital. L’effet potentiellement confondant d’autres expositions professionnelles (au risque de choc électrique, aux solvants, aux pesticides et aux métaux) a été examiné.

Les sujets sans activité professionnelle ou demandeurs d’emploi ont été inclus dans la catégorie « faible exposition » pour une analyse de sensibilité. Des analyses secondaires ont été réalisées, en traitant séparément chaque recensement (période d’observation 1990-2000 pour le premier et 2000-2008 pour le second), ou en combinant les données d’exposition dans une sous-population d’1 010 000 personnes actives à la fois en 1990 et en 2000.

Association isolée avec la leucémie myéloïde

L’étude n’identifie pas d’influence de l’exposition sur la mortalité par cancer hématologique en général (7 248 décès enregistrés sur la période 1990-2008). Aucune association significative n’émerge avec les différentes hémopathies du tissu lymphoïde (incluant les LAL et LLC, les lymphomes à cellules B, de Hodgkin et non hodgkiniens, ainsi que le myélome multiple). Dans le groupe des hémopathies myéloïdes et dans la population masculine, l’analyse principale montre une augmentation du risque de leucémie pour une exposition élevée (hazard ratio [HR] par rapport au niveau faible = 1,31 [IC95 : 1,02-1,67]), sans tendance exposition-réponse (HR = 0,99 [0,86-1,14] au niveau modéré).

Cette association apparaît principalement portée par une augmentation non significative du risque de LAM (HR = 1,26 [0,93-1,70] au niveau élevé), ce que suggère également l’analyse dans la sous-population avec deux déterminations successives du niveau d’exposition. Ainsi, chez les hommes classés à chaque fois dans la catégorie d’exposition élevée (par rapport à une exposition toujours faible), le HR de leucémie myéloïde est égal à 1,51 (0,66-3,46) et celui de LAM est égal à 1,85 (0,80-4,24), estimation calculée sur la base de six cas fortement exposés seulement. En intégrant une exposition importante durant la période de formation professionnelle (ce qui réduit à cinq le nombre de cas fortement exposés), le HR de LAM s’élève à 2,75 (1,11-6,83).

Par manque d’information disponible, des facteurs liés au mode de vie n’ont pas pu être pris en compte. Or leur influence sur les résultats est potentiellement importante comme l’indique l’association observée entre l’exposition au CM-EBF et la mortalité par cancer du poumon, qui avait été prise comme témoin négatif par les auteurs (dans la population totale, HR = 1,11 [1,07-1,14] pour un niveau d’exposition modéré, puis 1,21 [1,14-1,29] au niveau élevé).

 


Publication analysée :

* Huss A1, Spoerri A, Egger M, Kromhout H, Vermeulen R, for the Swiss National Cohort. Occupational extremely low frequency magnetic fields (ELF-MF) exposure and hematolymphopoietic cancers–Swiss National Cohort analysis and updated meta-analysis. Environ Res 2018 ; 164 : 467-74. doi : 10.1016/j.envres.2018.03.022

1 Institute for Risk Assessment Scinces, Utrecht University, Utrecht, Pays-Bas.