ANALYSE D'ARTICLE

Inventorier les effets du changement climatique sur la propagation mondiale du paludisme et de la dengue et les réponses adaptatives envisagées : l’apport d’une analyse d’articles de revue

Contexte

Il est établi que le changement climatique et la variabilité climatique modifient l’épidémiologie des maladies infectieuses, en particulier celle des maladies vectorielles, comme le paludisme et la dengue qui sont mondialement les plus meurtrières. Ces deux maladies vectorielles sévissent surtout dans les régions tropicales et subtropicales.

L’agent du paludisme est un protozoaire parasite transmis à l’Homme par la piqûre d’un moustique du genre Anophèles. En 2019, 229 millions de cas de malaria et 409 000 morts ont été recensés, avec une majorité de cas concentrée en Afrique sub-saharienne.

L’agent de la dengue est un virus transmis à l’Homme par la piqûre d’un moustique du genre Aedes. Sur 125 pays, l’incidence moyenne est de 100 millions de cas par an et le taux de mortalité est estimé à 10 000 morts par an.

Objectif

Les auteurs ont voulu réaliser une revue systématique de la littérature à visée exhaustive et à l’échelle mondiale, pour savoir quels types de preuves existent quant à l’impact du changement climatique sur la transmission et la propagation du paludisme et de la dengue, et quels types de réponses politiques (mesures d’adaptation) ont été élaborés. Subsidiairement, ils se sont intéressés aux contextes géographiques dans lesquels les impacts du changement climatique sont les plus forts et la conception des mesures d’adaptation est la plus adaptée.

Méthode

Pour cela, ils ont choisi d’examiner la littérature scientifique depuis 2007, pour saisir la période suivant la diffusion du 4e rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui est marquée par une augmentation notable du nombre de travaux publiés sur les maladies infectieuses et le climat (paludisme et dengue figurant parmi les plus étudiées). Pour cette analyse exploratoire de cadrage, ils ont décidé de n’inclure que les articles de revue en anglais et en français, qui comportaient une description d’une approche systématique du processus de sélection des études, plutôt que les articles d’études primaires. Le protocole d’analyse bibliographique était prédéfini et guidé par les méthodes suivies par d’autres revues pour cartographier de façon exhaustive et systématique la littérature publiée sur un sujet général.

Le 11 décembre 2020, trois bases de données (PubMed, Scopus et Epistemonikos) ont été interrogées avec la même phrase qui croisait les termes « changement climatique », « effet de serre », « réchauffement global », « météo extrême », « variabilité climatique », « gaz de serre », « hausse des températures » avec les termes « paludisme » ou « dengue ».

Caractéristiques des revues sélectionnées

Cette interrogation bibliographique a fourni 532 articles dont 32 seulement ont été retenus : 30 d’entre eux traitaient des impacts du changement climatique sur le paludisme et/ou la dengue, tandis que 11 traitaient des réponses politiques ou des mesures d’adaptation relatives à la dengue et/ou au paludisme.

La quasi-globalité des régions géographiques du monde était couverte par l’ensemble des 32 revues sélectionnées, avec la distribution suivante : toutes régions géographiques (n = 13), Asie du Sud-Est (n = 4), Pacifique Ouest (n = 3), les deux (n = 1), Afrique (n = 4), Amériques (n = 2), Méditerranée orientale (n = 2) et Europe (n = 3). Le nombre d’articles portant sur la dengue et celui portant sur le paludisme étaient équilibrés : dengue (n = 9), paludisme (n = 8), les deux (n = 15). La dengue était le principal objectif en Asie du Sud-Est, et en Afrique c’était le paludisme.

Synthèse narrative des 32 revues analysées

Un grand nombre d’articles de revue parmi les 32 inclus dans cette analyse ont identifié seulement des études mettant en évidence des associations entre des facteurs météorologiques et climatiques (température, précipitations, humidité) et l’incidence de la maladie ou les populations de vecteurs. Il est intéressant de remarquer qu’une part significative de ces études souligne que ces associations locales entre des facteurs climatiques et météorologiques et l’incidence de la maladie peuvent varier en fonction d’autres facteurs, parmi lesquels les changements socio-économiques, démographiques et d’usage des sols.

Impacts du changement climatique sur la dengue ou le paludisme

Les études portant spécifiquement sur les impacts observés ou prédits des changements climatiques sur l’incidence de la maladie, ou sur le risque de maladie, n’ont été identifiées que dans une plus petite part de ces 32 articles de revue.

Il en ressort principalement que les projections locales du changement climatique sur l’avenir du risque de transmission et de propagation de la dengue et du paludisme doivent prendre en compte l’ensemble des variables géographiques de l’association climat-maladie : variables climatiques et météorologiques, mais aussi écologiques, socio-économiques (dont l’usage des sols) et démographiques.

En effet, le risque de propagation du paludisme et/ou de la dengue dans une zone donnée à un moment donné dépend du niveau de capacité de l’écosystème à transmettre l’agent pathogène d’un humain à l’autre par un moustique vecteur. En plus de ces facteurs écologiques locaux, doivent intervenir, dans l’évaluation du risque, la capacité vectorielle de la population de moustiques, la sensibilité de la population humaine à l’infection, et la force du système de santé. Enfin, dans les zones en marge des zones actuelles de la transmission, il faut aussi prendre en compte la fréquence d’importation d’individus ou de groupes humains infectés et/ou de moustiques infectieux.

Le consensus général suivant se dégage : les zones à risque le plus fort de propagation et d’émergence du paludisme et de la dengue incluent des régions situées aux marges des zones de transmission actuelle de ces maladies. Cette propagation est due soit à l’expansion latitudinale et altitudinale des vecteurs de la maladie, soit à l’importation de pathogènes quand des populations de vecteurs compétents sont présentes dans la région.

Le réchauffement climatique global peut ainsi conduire à une expansion et/ou un déplacement des zones à risque de transmission de la dengue vers les régions plus tempérées (le phénomène a été étudié en Afrique et en Chine ; l’expansion du moustique Aedes vers les hautes altitudes a été étudiée au Népal, et celle vers les hautes latitudes a été étudiée en Europe, au Royaume Uni et en Amérique du Sud). De même, le réchauffement climatique peut conduire au déplacement des zones à risque de transmission du paludisme (la propagation vers les régions d’altitude plus haute a été étudiée en Afrique, Amérique latine, Asie du Sud-Est, Pacifique occidental et Népal ; l’expansion du moustique Anophèles vers les hautes latitudes a été étudiée en Espagne, France, Italie, Grèce, Europe centrale et orientale, et en Chine ; la réduction des zones à risque de transmission du paludisme en raison des températures extrêmes a été étudiée aux Philippines). Ces études sont de plusieurs types : études de laboratoire sur la réponse de l’espèce d’insecte vectoriel à la température et à d’autres facteurs environnementaux, études de modélisation de la dynamique de population de l’espèce vectorielle utilisant les projections de changement climatique global, et études de surveillance de population dans les régions d’endémie.

Stratégies d’adaptation

La synthèse des preuves de l’impact du changement climatique sur la dynamique épidémiologique du paludisme et de la dengue doit pouvoir être traduite en stratégies d’adaptation pour anticiper leur propagation sous l’effet du changement climatique, et pour y répondre. Le rapport d’un compte à rebours édité en 2020 par The Lancet [1] signale que 50 % des 101 pays suivis ont développé au niveau national des stratégies ou des plans sur le thème « Changement climatique et santé », et que 48 % ont évalué leur vulnérabilité sanitaire nationale et leur potentiel d’adaptation sanitaire. Le nombre de pays dans lesquels les services météorologiques fournissent des informations climatiques au secteur de la santé est en augmentation récente.

Pourtant, dans les 32 articles de revue analysés, il n’existe pas de publication décrivant un exemple de construction de stratégies d’adaptation. Les publications abordant ce sujet sont rares en comparaison au nombre de celles traitant des impacts du changement climatique, et leur contribution se limite à un ensemble de recommandations.

Au premier rang de celles-ci figure le développement de la modélisation prédictive, en intégrant facteurs météorologiques et facteurs non climatiques. Mais prédire avec précision l’émergence ou la propagation d’une maladie en réponse à des changements sociétaux est difficile. Certains auteurs font remarquer à juste titre que le changement climatique proprement dit est concomitant d’une myriade de changements globaux qui peuvent avoir un lien avec lui. Celui-ci peut être direct (agriculture, irrigation), indirect (globalisation de l’économie, urbanisation, mouvements de population, conflits sociaux, guerres, changement de régime politique) ou inconnu ou inexistant (augmentation de la résistance des agents infectieux aux antimicrobiens et de celle des vecteurs aux insecticides). En conséquence, les prédictions d’expansion globale de la population à risque pour ces maladies doivent aussi prendre en considération les initiatives prises pour le contrôle de la transmission, les tendances du développement économique et même les mesures d’adaptation futures qui seront mises en œuvre par les populations locales et les autorités de santé publique.

La majorité des études signalées dans les 32 articles de revue recommandent aussi aux gouvernements de développer les systèmes d’alerte précoce pour pouvoir se préparer et mieux répondre en cas d’épidémie. Cela exige qu’ils mettent en place ou renforcent leurs systèmes de surveillance des maladies, que les données sur les cas humains soient communicables aux chercheurs et que les services de météorologie développent des systèmes de prévision des maladies basés sur le climat. La collaboration interdisciplinaire entre études cliniques et services de santé est aussi essentielle.

Des études locales à long terme et bien conçues sont indispensables pour fournir l’information adaptée au développement de modèles pertinents localement, qui permettront de fonder les réponses des autorités sanitaires. Les stratégies et politiques d’adaptation doivent bien sûr privilégier les communautés vulnérables. De nouvelles stratégies de contrôle des populations de vecteur peuvent également s’avérer nécessaires (gestion des zones humides, gestion vectorielle intégrée). Enfin, les stratégies nationales et leur application locale doivent être liées.

Limites méthodologiques

Les auteurs reconnaissent plusieurs limites méthodologiques à leur revue bibliographique. En choisissant des articles de revue plutôt que des articles primaires originaux, les travaux de recherche les plus récents concernant les impacts du changement climatique, ou les mesures d’adaptation dans certaines régions géographiques, n’ont pas été captés. Les termes de l’interrogation des bases de données, ou les critères d’inclusion des articles dans l’analyse, auraient aussi dû pouvoir exclure le large panel d’études centrées sur les simples associations climat/météorologie-maladie sans aborder explicitement les impacts du changement climatique. Enfin, les articles de revue inclus dans l’analyse n’ont fait l’objet d’aucune évaluation de qualité ; les auteurs ayant simplement vérifié pour chacun, avant son inclusion, que titre et résumé correspondaient bien aux deux thèmes de l’étude et qu’il annonçait bien la mise en œuvre d’une approche systématique dans la sélection des articles analysés.

Commentaire

Les limites méthodologiques reconnues par les auteurs de cette revue de revues auraient dû les empêcher de considérer, comme ils le font, qu’ils avaient atteint leur objectif d’exhaustivité. Cet objectif était pourtant manifestement trop ambitieux si on le rapporte à l’ensemble des éléments déjà bien connus qu’ils ont pu extraire des 32 articles de revue sélectionnés. Ce constat vaut (1) pour la synthèse des preuves de l’impact du changement climatique sur la dengue et le paludisme, à travers différentes régions géographiques, dont ils souhaitaient évaluer les forces et les faiblesses, et vaut davantage encore (2) pour l’inventaire cartographié des réponses politiques locales mises en œuvre, qu’ils souhaitaient accompagner d’un jugement sur leur adaptation aux contextes locaux, et qui est resté vide mais remplacé par un inventaire des recommandations générales dont la littérature académique n’est pas avare.

Cet écart entre objectif et résultat n’a pu échapper aux auteurs et c’est peut-être pourquoi ils ont jugé bon de clore leur article avec l’antienne du « further research and further evidence synthesis is needed to inform effective policy responses that are tailored to local contexts ». Pour faire bonne figure, ils glissent aussi dans la discussion que leur étude peut servir de précurseur à une revue systématique de la littérature primaire. Mais ils ne précisent pas le type de littérature-source qu’ils envisagent. Or, si la littérature académique peut convenir comme seule source de données sur l’impact du changement climatique, elle ne peut suffire à l’inventaire des réponses politiques locales pour lequel les informations pertinentes peuvent se trouver plutôt dans la littérature grise. Il est donc essentiel de bien connaître le champ des sources couvert par chacune des bases de données bibliographiques existantes avant de faire un choix. De même, il est essentiel de bien connaître la structure de chacune des bases de données, de façon à pouvoir construire pour chacune une syntaxe d’interrogation spécifique qui soit en mesure de fournir une sélection de sources précisément adaptée au sujet de la synthèse bibliographique entreprise.

  • [1.] Watts N, Amann N, Arnell N, et al. The 2020 report of The Lancet Countdown on health and climate change responding to converging crises. Lancet 2021 ; 397 : 129-70.

Publication analysée :

Analyse de l’article : Charting the evidence for climate change impacts on the global spread of malaria and dengue and adaptive responses: a scoping review of reviews.

Kulkarni MA, Duguay C, Ost K. Charting the evidence for climate change impacts on the global spread of malaria and dengue and adaptive responses: a scoping review of reviews. Globalization and Health 2022 ; 1 : 1. Doi : 10.1186/s12992-021-00793-2.