ANALYSE D'ARTICLE

Les expositions humaines contrôlées aux gaz d’échappement des moteurs diesel : résultats des effets sur la santé de la pollution atmosphérique et orientations futures

 

Il est actuellement bien acquis à travers les études épidémiologiques que la pollution atmosphérique, en particulier particulaire, est responsable d’une perte d’espérance de vie des populations exposées. On considère, à travers la dernière étude épidémiologique française de Santé publique France, qu’elle serait à l’origine de 40 000 décès anticipés par an [1]. De plus, les investigations expérimentales in vivo, sur l’animal, ou in vitro, sur cultures de cellules, ainsi que les expositions humaines en condition contrôlée ont permis de progresser dans la compréhension des mécanismes physiopathologiques sous-jacents. Cependant, ces dernières demanderaient à être mieux utilisées dans une démarche d’analyse de risque. Elles apportent des données uniques sur les réponses humaines aux expositions aux polluants atmosphériques et devraient permettre d’avancer dans la recherche de marqueurs spécifiques d’exposition.

Cette revue, à partir d’une analyse exhaustive des études d’exposition humaine contrôlée aux échappements diesel (DE), permet de mettre en lumière ce qu’elles ont apporté à la compréhension des impacts de la pollution atmosphérique liée au trafic et leurs lacunes. Les auteurs ont analysé 104 publications jusqu’en 2020, sélectionnées à partir d’une grille de critères rigoureux. La plupart des études concernait l’exposition d’individus sains à des DE utilisés comme modèles car représentatifs des polluants liés aux transports. Ils comportent à la fois une fraction de particules fines (PM2,5), dont les études épidémiologiques ont montré la responsabilité dans les impacts sanitaires de la pollution atmosphérique, et des gaz, comme le dioxyde d’azote et les composés organiques volatils également incriminés. Certaines études, peu nombreuses, ont été réalisées sur des sujets présentant des pathologies (asthme, bronchopneumopathie chronique obstructive [BPCO], maladies cardiovasculaires) dans la limite des autorisations des comités d’éthique. Quelques études ont associé l’exposition aux DE à un autre polluant atmosphérique comme l’ozone ou à des allergènes, ainsi qu’à des antioxydants.

Que peut-on retenir de cette analyse ? Tout d’abord, les effets physiopathologiques recherchés ont porté sur des impacts déjà mis en avant par les études épidémiologiques ou les approches expérimentales chez l’animal : pathologies respiratoires avec augmentation des symptômes de l’asthme et de la BPCO, pathologies cardiovasculaires, et plus récemment troubles neurologiques. Cependant, ces études expérimentales humaines ont permis de mieux comprendre les mécanismes qui conduisent à l’apparition ou l’aggravation des pathologies : stress oxydant déjà observé dans les études in vitro, activation de la réponse inflammatoire bronchique chez les sujets sains comme chez les malades, augmentation de la pression sanguine et induction d’anomalies du fonctionnement cardiaque, augmentation du risque de thrombose, et impacts sur le fonctionnement cérébral. Elles ont également pu montrer l’intérêt de la supplémentation alimentaire en antioxydants, mais avec une grande variabilité individuelle, et le fait que l’exercice physique n’était pas contre-indiqué chez les sujets sains. Elles ont mesuré une diminution des impacts sanitaires quand les véhicules étaient équipés de filtre à particules, ce qui conforte le rôle primordial des particules fines. Dans les études de co-expositions, l’ozone agit de manière assez similaire aux DE et leurs effets s’ajoutent ; l’association DE-allergène augmente la réponse à l’allergène, résultats connus depuis longtemps qui sont confortés ici, de la même façon que l’influence de la pollution atmosphérique dans l’exacerbation des pathologies virales dont la grippe.

Commentaire

Cette revue présente une analyse exhaustive d’études qui sont insuffisamment exploitées parmi les milliers d’articles concernant les impacts de la pollution atmosphérique sur la santé. Les résultats de ces études ne sont pas pour la plupart originaux et servent surtout à conforter et mieux expliquer des données acquises dans les études épidémiologiques ou in vivo chez l’animal et in vitro sur des cultures cellulaires, dont des modèles d’épithélium bronchique et alvéolaire humain. Cependant, il ne faut pas minimiser ces résultats car les critiques sur les études épidémiologiques ont surtout concerné les facteurs de confusion souvent difficiles à prendre en compte, et celles sur les études chez l’animal ou sur cultures cellulaires ont porté sur l’éloignement d’espèces ou le caractère réducteur in vitro. L’apport de l’exposition expérimentale à des DE chez l’homme a donc été indéniable et a permis de mieux crédibiliser l’ensemble des données des impacts de la pollution de l’air sur la santé. Cependant, cette approche, comme toutes les autres, a ses limites.

  • Tout d’abord, il faut s’interroger sur le volet éthique de ces études. Elles sont encadrées par les autorisations des comités d’éthique des organismes qui les ont conduites. Cependant, même avec consentement éclairé, on peut se poser la question du risque pris par les volontaires, en particulier ceux qui présentent des pathologies. Ici, il ne s’agit pas de prouver l’efficacité d’un traitement sauf pour les études portant sur les antioxydants mais de conforter des résultats provenant d’autres études plus ou moins contestées. Cependant, c’est l’ensemble de toutes les données, dont celles-ci, qui a servi aux prises de décisions politiques. Elles ont conduit aux directives et réglementations de plus en plus sévères sur la pollution atmosphérique.
  • Comme toutes les études expérimentales, celles-ci modélisent les expositions. Elles sont donc réductrices et ne correspondent pas aux conditions réelles. En particulier, elles n’évaluent qu’une exposition à court terme alors que c’est l’exposition répétée et à long terme qui est pointée par les études épidémiologiques. De plus, les expérimentateurs utilisent en général des valeurs d’exposition relativement élevées qui leur permettent d’observer des réponses biologiques. Elles peuvent correspondre à ce qui s’observe dans certaines régions, grandes villes polluées de Chine, d’Inde ou d’Afrique, mais loin des niveaux d’exposition européens. Ce biais est d’ailleurs pointé par les auteurs de la revue.
  • Par ailleurs, elles n’ont pas pris en compte un facteur important qui est l’évolution des polluants, surtout particulaires, dans l’atmosphère. Ils sont soumis aux facteurs physiques (température, hygrométrie, UV), chimiques et biologiques qui peuvent les modifier considérablement.
  • Enfin ces études qui avaient aussi pour objectif de trouver un ou des marqueurs spécifiques d’exposition aux DE n’ont pas pu actuellement aboutir. Les recherches ont porté essentiellement sur des métabolites des composés organiques portés par les particules sans résultats probants jusqu’ici. En ce qui concerne les marqueurs d’effets à court terme, ils sont peu spécifiques que ce soit au niveau pulmonaire ou cardiovasculaire. Les recherches dans ce domaine devraient s’orienter sur des populations exposées de façon chronique à un niveau élevé de pollution atmosphérique afin de mettre en évidence des marqueurs qui pourraient expliquer par exemple la plus forte susceptibilité à des infections virales.

Publication analysée :

Analyse de l’article : Controlled human exposure to diesel exhaust: results illuminate health effects of traffic-related air pollution and inform future directions. Long E, Carlsten C. Controlled human exposure to diesel exhaust: results illuminate health effects of traffic-related air pollution and inform future directions. Particle and Fibre Toxicology 2022 ; 19 : 11. Doi : 10.1186/s12989-022-00450-5.