ANALYSE D'ARTICLE

L’impact environnemental de l’obésité

La taille de la population mondiale est un déterminant majeur des émissions mondiales de GES. La croissance démographique a été exponentielle au cours du siècle dernier.

La population mondiale était d’environ 2,5 milliards en 1950, dépassait 5 milliards en 1988, est actuellement de 7,7 milliards et devrait atteindre 9,8 milliards en 2050, puis un plateau à 11,2 milliards en 2100 [1].

La taille maximale d’une population humaine durable sans effets néfastes sur les écosystèmes et le climat dépend de la façon dont nous vivons : si tous les habitants de la planète vivaient comme un Américain de classe moyenne, la planète aurait une capacité de charge de seulement 2 milliards de personnes environ [2].

Ces deux ensembles de paramètres (démographie, modes de vie) sont bien identifiés. Les auteurs de cet article s’attachent à un troisième : le poids corporel moyen des êtres humains et le nombre de personnes souffrant d’obésité.

Méthodologie

Les auteurs ont utilisé une définition standard de l’obésité (IMC ≥ 30 kg/m2) et du poids normal (IMC < 25).

Ils ont calculé les émissions supplémentaires de GES (en CO2eq) d’une personne obèse par rapport à une personne de poids normal :

  • du fait de l’augmentation du métabolisme oxydatif ;
  • du fait de la consommation alimentaire plus importante ;
  • et du fait de la consommation accrue de carburant utilisé pour transporter une personne de poids corporel plus élevé par rapport à une personne de poids normal.

Ils ont ensuite déduit le « fardeau total supplémentaire de l’obésité » (en termes absolus et relatifs) à partir des données d’émissions mondiales et régionales, des données démographiques et des estimations de la prévalence de l’obésité.

Intégrer les données épidémiologiques (taux de prévalence de l’obésité), physiologiques (apport énergétique total et dépenses) et les données environnementales (émissions de CO2) n’est évidemment pas une tâche simple, et les calculs ne prétendent pas à une grande précision. Mais elles permettent de donner une estimation raisonnable de l’impact potentiel de l’effet de l’obésité sur l’environnement.

Résultats

Impact de l’obésité sur les émissions de CO2 liées au métabolisme oxydatif

Une personne de poids corporel normal avec un métabolisme de 9 000 kJ/j produit environ 260 ml/min de CO2 en moyenne [3], ce qui équivaut à ∼ 270 kg/an de CO2. La production de CO2 (et la consommation d’oxygène) est plus élevée chez les individus obèses par rapport aux individus maigres, du fait d’une plus grande dépense énergétique quotidienne totale. Cette augmentation de la dépense énergétique est liée :

  • d’une part, au métabolisme de base, du fait notamment de l’augmentation de la masse maigre : le gain de poids corporel lié à l’obésité consiste en ∼ 75 % de graisse (plage : 50-90 %) et ∼ 25 % de tissu corporel maigre (plage : 10-50 %) [4, 5] ; une masse maigre supplémentaire est en effet nécessaire pour soutenir un corps plus volumineux. Le tissu maigre est métaboliquement actif et la dépense énergétique totale augmente donc parallèlement à l’augmentation du poids corporel et à la masse sans graisse [6, 7] ;
  • d’autre part, à la dépense énergétique des personnes obèses nécessaire pour déplacer leur poids excédentaire.

Les estimations de cette augmentation varient selon la méthode utilisée. Les auteurs de l’article ont retenu une estimation moyenne de 30 % de dépense énergétique totale plus élevée chez les personnes obèses par rapport aux personnes maigres [3]. Les émissions supplémentaires de CO2 d’une personne obèse seraient donc d’environ 81 kg/an d’équivalent CO2. En 2015, on estimait que 609 millions d’adultes souffraient d’obésité dans le monde [8]. Par conséquent, l’obésité pourrait être responsable d’un excès d’émissions de CO2 d’origine métabolique d’environ 609 millions × 81 kg = 49,1 mégatonnes (Mt) d’équivalent CO2/an (1 Mt = 1 million de tonnes). Cela équivaut aux émissions totales de CO2 fossile d’un pays scandinave comme la Suède, la Finlande, la Norvège ou le Danemark (45-50 Mt CO2eq en 2015) [9] ou encore des émissions métaboliques totales de CO2 de 183 millions de personnes avec un poids normal.

Impact de l’obésité sur les émissions de CO2 liées à la production alimentaire

Le surpoids entraîne une augmentation proportionnelle des besoins énergétiques et donc de la consommation alimentaire pour maintenir ce poids corporel plus élevé.

Or, il a été estimé (vers 2005-2010) que, pour chaque calorie alimentaire (1 kcal ou 4,184 kJ) consommée, la quantité de nourriture et de boissons produites, y compris la quantité gaspillée (∼ 30 % de la production totale), est responsable de 2,21 g de GES émis (en CO2eq) [10]. L’apport énergétique quotidien moyen d’un homme ou d’une femme à poids stable sans obésité est d’environ 10 000 kJ/j (∼ 2 450 kcal/j) [11], ce qui contribuerait alors à ∼ 5,5 kg/j d’équivalent CO2 ou ∼ 2 tonnes/an d’équivalent CO2.

En supposant que le régime alimentaire d’un individu obèse nécessite ∼ 30 % de calories en plus (soit ∼ 13 000 kJ/j), les émissions de GES associées à cette consommation en excès seraient d’environ 2,6 tonnes/an d’équivalent CO2, soit 593 kg/an d’équivalent CO2 de plus que ceux d’une personne de poids normal. L’obésité serait donc responsable, du fait des émissions de CO2 excédentaires dues à la consommation accrue d’aliments et de boissons, de 609 millions de personnes × 593 kg/an = 361 Mt/an d’équivalent CO2. Cette estimation est comparable aux émissions totales de CO2 du Royaume-Uni.

Impact de l’obésité sur les émissions de CO2 liées aux transports

Les transports représentent environ 14 % des émissions totales de GES. La consommation de carburant fossile par les systèmes de transport, et donc les émissions de GES, dépendent de nombreux facteurs, parmi lesquels figure le poids déplacé. Une augmentation du poids de la cargaison augmente la consommation de carburant [12]. Par conséquent, le transport de passagers plus lourds devrait augmenter les émissions de GES.

On peut estimer l’excédent d’émissions de GES d’une personne obèse par rapport à une personne maigre pour le transport en voiture à 470 kg/an d’équivalent CO2. Cette estimation est basée sur l’hypothèse que les personnes obèses conduisent des voitures un peu plus grosses et sont plus susceptibles de remplacer les courtes promenades à pied par des transports motorisés [13].

Pour ce qui est du transport aérien, un calcul similaire a permis d’estimer l’excédent moyen à ∼ 5,5 kg/an d’équivalent CO2.

Dans l’ensemble, on peut donc s’attendre à ce que l’obésité augmente les émissions de GES du transport automobile et aérien de 476 kg/an d’équivalent CO2 par personne. Cela correspond à une augmentation d’environ 14 % par rapport aux émissions associées avec le transport d’une personne de poids normal.

Sur un plan mondial, les 609 millions de personnes souffrant d’obésité pourraient donc ajouter environ 290 Mt/an d’équivalent CO2 pour les émissions totales de GES.

Estimation de l’impact global de l’obésité sur les émissions de CO2 et GES

Par rapport à une personne de poids normal, une personne obèse est donc « responsable » de 81 kg/an supplémentaires d’équivalent CO2 liés au métabolisme (7 % du total), 593 kg/an supplémentaires d’équivalent CO2 liés à la consommation d’aliments et de boissons (52 % du total), et 476 kg/an supplémentaires de CO2eq pour le transport automobile et aérien (41 % du total). Ainsi, l’obésité pourrait représenter des émissions additionnelles totales de GES de 1,149 tonne/an d’équivalent CO2 pour une personne, soit ∼ 20 % de plus que les émissions attribuées à une personne maigre.

À l’échelle mondiale, pour les 609 millions de personnes obèses, ce chiffre se traduit par un « coût » supplémentaire des émissions de GES de ∼ 700 Mt/an d’équivalent CO2, soit plus que les émissions totales de GES de l’Australie ou de la Corée du Sud (600-650 Mt CO2eq en 2012) ou encore l’équivalent du total des émissions de GES du Canada ou du Mexique (∼ 720 Mt d’équivalent CO2 en 2012) [14].

Il peut aussi être estimé, sur la base des données d’émission de GES, des données démographiques, et des statistiques de prévalence de l’obésité, que le fardeau supplémentaire des émissions dues à l’obésité représente ∼ 1,6 % des émissions totales de GES dans le monde (avec de grandes variations géographiques, ces estimations allant de 0,2 % au Canada à 3,6 % au Mexique en passant par 2,4 % pour l’Union européenne).

Commentaire

Même s’il repose sur des estimations qui sont sujettes à un certain nombre d’imprécisions et d’approximations, ce travail met en évidence l’importance de la contribution de l’obésité à l’empreinte écologique de l’humanité en termes d’émissions de GES.

Cette contribution est constituée pour une petite part (7 %) par un excès de CO2 produit par les personnes obèses du fait du métabolisme oxydatif, et très majoritairement par la production alimentaire (52 %) et le transport (41 %).

Ceci conduit naturellement les auteurs à considérer que la lutte contre le réchauffement climatique est une raison supplémentaire pour vouloir réduire la prévalence de l’obésité à l’échelle mondiale, en plus des bénéfices directs attendus pour la santé des intéressés.

Cependant, les auteurs eux-mêmes indiquent que ces nouvelles informations doivent être utilisées avec prudence, si on veut éviter une nouvelle source de stigmatisation des personnes en surpoids. En effet, des messages éducatifs mal maîtrisés conduisant à des formes de « grossophobie » peuvent avoir un effet pervers sur la santé des personnes obèses, en augmentant leur stress et leur perte d’estime de soi et en les conduisant à adopter des comportements paradoxaux comme la frénésie alimentaire, l’évitement de l’activité physique, le suivi de régimes non basés sur des preuves scientifiques qui conduisent au final à une prise de poids et à une aggravation de leurs problèmes de santé. Or, l’incidence croissante de l’obésité est massivement influencée par les conditions sociales et environnementales lorsqu’elles défavorisent l’activité physique et facilitent l’accès à une alimentation industrielle déséquilibrée. L’obésité est donc une maladie environnementale à double titre : elle contribue à la dégradation de l’environnement, mais peut, et doit, également être combattue en jouant sur les facteurs environnementaux.

  • [1] UN Department of Economic and Social Affairs, Population Division. World population prospects : The 2017 revision. Key findings and advance tables. Working paper no.ESA/P/WP/248). New York, NY : United Nations, 2017.
  • [2] McConeghy M. Dr McConeghy's environmental science : carrying capacity. 2009. https://people.clarkson.edu/∼kvisser/es238/docs/Carrying_Capacity_Dr_Matt_M.pdf
  • [3] El-Khoury A.E., Sanchez M., Fukagawa N.K., Gleason R.E., Young V.R. Similar 24-h pattern and rate of carbon dioxide production, by indirect calorimetry vs. stable isotope dilution, in healthy adults under standardized metabolic conditions. J Nutr. 1994;124:1615-1627.
  • [4] Bray G.A., Smith S.R., de Jonge L. Effect of dietary protein content on weight gain, energy expenditure, and body composition during overeating : a randomized controlled trial. JAMA. 2012;307:47-55.
  • [5] Leaf A., Antonio J. The effects of overfeeding on body composition : the role of macronutrient composition - a narrative review. Int J Exerc Sci. 2017;10:1275-1296.
  • [6] Lam Y.Y., Redman L.M., Smith S.R. Determinants of sedentary 24-h energy expenditure : equations for energy prescription and adjustment in a respiratory chamber. Am J Clin Nutr. 2014;99:834-842.
  • [7] Ravussin E., Lillioja S., Anderson T.E., Christin L., Bogardus C. Determinants of 24-hour energy expenditure in man. Methods and results using a respiratory chamber. J Clin Invest. 1986;78:1568-1578.
  • [8] Chooi Y.C., Ding C., Magkos F. The epidemiology of obesity. Metabolism. 2019;92:6-10.
  • [9] Urban F., Nordensvard J. Low carbon energy transitions in the Nordic countries : evidence from the environmental Kuznets curve. Energies. 2018;11:2209.
  • [10] Heller M.C., Willits-Smith A., Meyer R., Keoleian G.A., Rose D. Greenhouse gas emissions and energy use associated with production of individual self-selected US diets. Environ Res Lett. 2018;13:044004.
  • [11] Redman L.M., Kraus W.E., Bhapkar M. Energy requirements in nonobese men and women : results from CALERIE. Am J Clin Nutr. 2014;99:71-78.
  • [12] Steinegger R. Fuel economy as function of weight and distance. Winterthur, Switzerland : Zurich University of Applied Sciences (ZHAW Zurcher Hochschule fur Angewandte Wissenschaften), 2017. https ://digitalcollection.zhaw.ch/handle/11475/1896
  • [13] Edwards P., Roberts I. Population adiposity and climate change. Int J Epidemiol. 2009;38:1137-1140.
  • [14] Janssens-Maenhout G, Crippa M, Guizzardi D, et al. Fossil CO2 & GHG emissions of all world countries. EUR 28766 EN. Luxembourg : Publications Office of the European Union, 2017.

Publication analysée :

* Magkos F, Tetens I, Gjedsted Bügel S, et al. The environmental foodprint of obesity. Obesity 2020 ; 28: 73-9. doi : 10.1002/oby.22657