ANALYSE D'ARTICLE

Maladie de Parkinson et pollution atmosphérique : qu’en dit l’épidémiologie environnementale ?

Y a-t-il ou non une liaison statistique entre maladie de Parkinson et exposition de long terme à la pollution atmosphérique extérieure ?

C’est une question étudiée depuis peu de temps qui a donné des premières réponses contradictoires en raison de la difficulté méthodologique. Trois études cas-témoins, deux taïwanaises (2016, 2017) et une danoise (2016), détectent chacune une association avec un paramètre de pollution lié au trafic automobile (PM10, NOx et NO2), tandis que trois études (une étude cas-témoins nichée dans une cohorte aux États-Unis [2016], une étude prospective aux États-Unis [2017] et une étude de cohorte à Rome [2018]) concluent à l’absence d’association positive significative entre PM ou NO2 et maladie de Parkinson. L’étude cas-témoins appariés multi-sites réalisée aux Pays-Bas par Torro et al. (2019) fait progresser la réponse à cette question sans permettre de trancher.

Les cas de maladie de Parkinson (n = 444) et leurs témoins (n = 876) ont été identifiés et recrutés dans cinq hôpitaux localisés dans quatre villes entre avril 2010 et juin 2012. Pour être éligibles, les cas devaient avoir été diagnostiqués entre janvier 2006 et décembre 2011 et être encore en vie à la date du recrutement. Les deux témoins appariés à chaque cas étaient des patients affectés de pathologies neurologiques non dégénératives et périphériques aux mécanismes pathologiques différents de celui de la maladie de Parkinson. Ils devaient avoir fréquenté le même hôpital à la même période, être du même genre et avoir le même âge.

Le parcours de vie de chacun pendant les années qui ont précédé l’année de diagnostic de la maladie a été documenté par entretien téléphonique entre avril 2010 et juin 2012. Les données recueillies étaient les antécédents médicaux, les facteurs de style de vie (notamment le régime alimentaire, l’utilisation professionnelle de pesticides, la profession) et l’histoire résidentielle détaillée (avec le géocodage des adresses où le participant a résidé pendant au moins un an).

Les polluants atmosphériques sélectionnés ont été : le carbone suie mesuré par méthode optique, les particules fines ou PM2,5, les particules grossières, PM10, NO2, NOx. L’exposition individuelle basée sur la résidence a été estimée annuellement pour chaque parcours de vie grâce aux modèles de régression basés sur l’utilisation du territoire, robustes et largement utilisés, qui ont été développés dans le projet ESCAPE. Les mesurages des polluants atmosphériques ont été réalisés en 2009 sur 40 sites pour les matières particulaires et 80 sites pour les oxydes d’azote, pendant trois périodes de 14 jours réparties selon les saisons. Les concentrations moyennes obtenues pour 2009 ont été supposées constantes en 2010 et 2011. Celles pour 1992 à 2008 ont été extrapolées à partir des bases de données de surveillance de la qualité de l’air extérieur disponibles aux Pays-Bas à partir de 1992. Des variables géographiques (intensité du trafic routier, densité de population, utilisation du territoire) ont été incluses aux modèles pour expliquer la variabilité spatiale des concentrations de polluants. Pour les participants ayant vécu à plusieurs adresses pendant une même année, la concentration de polluant attribuée pour l’année était la moyenne des concentrations annuelles à chaque adresse. Les modèles ont donné des concentrations annuelles de polluants atmosphériques pour chaque participant, de 1992 à l’année précédant le diagnostic, pour les cas comme pour les témoins, et ont fourni une concentration ambiante moyenne pour chaque participant.

Des modèles statistiques de régression logistique conditionnelle ont été utilisés pour calculer les odds ratios (OR) et leurs intervalles de confiance à 95 %, en vue de déterminer l’association entre l’exposition résidentielle moyenne aux polluants atmosphériques et la maladie de Parkinson. Deux niveaux d’ajustement ont été spécifiés pour confondre les co-variables. Le modèle 1 a été ajusté pour le niveau d’éducation, le statut de fumeur et l’histoire familiale de maladie de Parkinson. Le modèle 2 a été ajusté additionnellement pour le statut économique et social de la zone d’habitat. Seuls les 436 cas et 854 témoins présentant une information complète pour les variables des modèles 1 et 2 ont été inclus dans l’analyse statistique. Plusieurs analyses de sensibilité ont ensuite été réalisées.

La simple observation des caractéristiques démographiques de la population étudiée confirme des observations antérieures : la prévalence de la maladie est plus forte chez les hommes que chez les femmes ; l’âge médian du diagnostic est d’environ 69 ans ; il y a un plus haut niveau d’éducation, plus de non-fumeurs et plus d’histoire familiale de Parkinson chez les cas que chez les témoins.

Les OR produits pour tous les polluants sélectionnés et dans tous les modèles testés montrent l’absence d’association positive significative entre le développement de la maladie de Parkinson et l’exposition à la pollution atmosphérique pendant une période de 16 ans en moyenne. Cependant, ce résultat est présenté avec prudence. Pour les auteurs, deux biais méthodologiques sont possibles : d’une part, le contraste d’exposition à la pollution atmosphérique pourrait être insuffisant pour identifier les risques ; d’autre part, la durée du développement de la maladie de Parkinson antérieurement à sa date de déclaration pourrait être insuffisamment couverte par la période d’exposition individuelle suivie dans cette étude.

Les analyses de sensibilité qui ont été faites donnent des résultats plus intéressants.

L’inclusion de l’exposition résidentielle aux pesticides dans les modèles n’a pas d’effet appréciable sur les OR pour polluants atmosphériques et maladie de Parkinson, aussi bien en variable continue qu’en variable binaire.

La stratification par statut de fumeur montre que les OR pour les non-fumeurs sont similaires à ceux de la population totale, à l’exception des PM2,5 pour lesquelles les OR sont plus faibles et plus significatifs chez les non-fumeurs. En stratifiant par le statut de fumeur et par le genre, une augmentation des OR est observée chez les femmes non fumeuses pour tous les polluants.

Dans une analyse par régression inconditionnelle restreinte à la population restée au même domicile pendant 14 ans après1992 (231 cas et 497 témoins), aucune association entre polluants et maladie de Parkinson n’est apparue. Par contre, quand l’analyse porte sur la population qui n’a pas changé de domicile pendant les 14 ans avant1992 (226 cas et 406 témoins), les OR augmentent et montrent une association positive avec presque tous les polluants. Pour savoir si ces résultats pouvaient être attribués à un statut urbain ou rural de la résidence sédentaire, une analyse stratifiée forte vs faible urbanisation (seuil : 1 500 adresses au km2) à l’adresse de 1992 a été réalisée. Les participants sédentaires pendant 14 ans avant 1992 étaient principalement des ruraux (148 cas et 265 témoins), et dans ce groupe tous les OR dépassaient l’unité.

Cette élévation de risque chez les femmes non fumeuses et chez les participants ruraux qui ont eu une résidence stable pendant longtemps a cependant une significativité statistique insuffisante qui rend nécessaire une nouvelle étude avec un protocole plus adapté à la vérification de ces deux hypothèses.

Commentaire

Une revue de 2011 [1], très complète, des preuves épidémiologiques accumulées sur les causes de la maladie de Parkinson – antécédents médicaux, caractéristiques génétiques et expositions environnementales (expositions professionnelles, facteurs de style de vie et régime alimentaire compris) – ne mentionne pas encore la pollution atmosphérique.

Pour justifier le sujet de leur étude d’épidémiologie environnementale, les auteurs défendent la plausibilité d’une relation causale fonctionnelle entre l’exposition à certains polluants de l’air extérieur ciblés pour leurs mécanismes toxicologiques cellulaires (processus inflammatoire, stress oxydatif, anomalies de la substance blanche, activation de la microglie, etc.), et le développement dans la vieillesse de la maladie de Parkinson, qu’ils considèrent donc a priori comme une maladie de civilisation, dont les causes sont externes et liées au milieu de vie.

Or il s’agit d’une pathologie neurologique chronique à la symptomatologie non spécifique et complexe, évolutive, mais lentement et selon des schémas variés fortement individuels. La lésion spécifique caractéristique de la maladie est, dans l’état actuel des connaissances, la dégénérescence dans la substance noire du cerveau des neurones producteurs du neuromédiateur dopamine ; mais, d’autres anomalies neurologiques caractéristiques d’origine auto-immune sont possibles et font l’objet de recherches.

Il semble donc particulièrement hasardeux d’envisager une relation causale unique et monofactorielle, immédiate ou même différée, entre un paramètre physico-chimique de l’environnement et le développement de la maladie. À moins de considérer ce facteur environnemental isolé comme un indicateur de qualité, parmi d’autres, d’un milieu de vie qui serait, pris dans son ensemble, la cause externe multifactorielle de la maladie chronique.

L’approche populationnelle de l’épidémiologie environnementale, ainsi délivrée de sa soumission abusive à l’évaluation quantitative du risque lié à l’exposition à un danger présent dans l’environnement, prendrait alors une autre dimension : l’étude de la vulnérabilité à la maladie, c’est-à-dire des conditions plus ou moins essentielles pour l’émergence de la maladie.

D’une approche observationnelle auxiliaire des sciences biologiques expérimentales, mobilisée pour comprendre comment on tombe malade, il serait possible de passer à une approche plus liée aux sciences humaines et sociales, destinée à comprendre pourquoion tombe malade. Il conviendrait alors de s’intéresser à un ensemble large de marqueurs du style de vie, en interactions les uns avec les autres et agissant simultanément ou séquentiellement comme cause multifactorielle de la maladie. Cette orientation nécessitera l’étude de grandes cohortes, rétrospectives ou mieux, si possible, prospectives, sur une très longue période pour tenir compte de la longueur du développement pré-clinique de la maladie, avec une identification standardisée des cas incidents, une définition non discutable des critères de classification en catégories cliniques distinctes, une caractérisation précise et quantifiée des facteurs de style de vie étudiés, ainsi peut-être que le développement de nouvelles méthodologiques statistiques. L’enjeu n’en vaut-il pas la chandelle ?

  • [1] Wirdefeldt K., Adami H-O., Cole P., Trichopoulos D., Mandel J. Epidemiology and etiology of Parkinson's disease: a review of the evidence. Eur J Epidemiol. 2011;26:S1-S58.

Publication analysée :

* Toro R1, Downward G.S, van der Mark M, et al. Parkinson's disease and long-term exposure to outdoor air pollution: A matched case-control study in the Netherlands. Environment International 2019 ; 129 : 28-34. doi : 10.1016/j.envint.2019.04.069

1 Institute of Nutrition and Food Technology, University of Chile, Santiago, Chili