ANALYSE D'ARTICLE

Nécessité de prendre en compte le rôle du microbiote intestinal dans la santé mentale contemporaine et le bien-être des nouveaux adultes

La tranche d’âge 18-24 ans est une période critique pour le développement physique, cognitif, social et émotionnel. Des modifications neurobiologiques et la maturation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS) se mettent en place, les connexions synaptiques et la myélinisation des neurones, dans le cortex frontal comme dans d’autres régions du cerveau, se développent. Ces modifications influent en particulier sur le sentiment d’identité, la conscience de soi et la flexibilité cognitive. Il s’agit aussi de la période où la probabilité d’installation d’une maladie mentale est la plus élevée : la majorité d’entre elles commencent avant l’âge de 24 ans.

À cette période de la vie, une perturbation du microbiote intestinal (MI), associée à d’autres transformations peut créer des vulnérabilités non négligeables. Le MI des jeunes adultes est plus simple, moins diversifié et plus instable que celui des personnes plus jeunes ou plus âgées, ce qui pourrait expliquer en partie l’augmentation des troubles de la santé mentale observés aujourd’hui dans les sociétés occidentales. L’installation de ces troubles passerait par l’axe intestin-cerveau-microbiote (ICM). Cette revue de la littérature montre que la constitution entre 18 et 24 ans d’un microbiome stable et plus résilient est cruciale pour une bonne santé ultérieure.

L’axe HHS passe par le réseau neuronal intestin-cerveau (à travers la barrière intestinale puis la barrière hémato-encéphalique), l’axe neuro-endocrinien HHS (cerveau-surrénales), le système immunitaire intestinal et les neurotransmetteurs. Des régulateurs neuronaux seraient synthétisés par les bactéries intestinales.

La « dysbiose » désigne un déséquilibre du microbiote et de sa production métabolique. Elle peut être le résultat d’un changement de régime alimentaire, de la prise d’antibiotiques ou de la consommation d’autres substances. Un MI « dysbiotique » augmente le passage des lipo-polysaccharides bactériens et autres composants alimentaires à travers la barrière intestinale, induisant des troubles digestifs. Les cytokines pro-inflammatoires produites stimulent ensuite le nerf vague, qui a une forte influence sur l’axe HHS par le biais de ses branches ascendantes vers l’hypothalamus.

Dans une revue systématique des études humaines, des variations de proportions de certaines bactéries sont signalées dans les syndromes de type dépression ou anxiété généralisée. La dérégulation de l’axe HHS altère la motilité intestinale, l’intégrité et la production de mucus, la flore intestinale. La stimulation des voies immunitaires/ inflammatoires suggère aussi un lien entre dysbiose et maladies infectieuses. Enfin, et surtout, la dysbiose semble jouer un rôle dans le développement de maladies neurologiques et psychiatriques, telles que la dépression, l’anorexie, la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer, la sclérose en plaques et les troubles du spectre autistique. Pour étayer ces effets, on peut citer une expérience qui a montré que la transplantation de selles d’une personne anorexique dans l’intestin de souris « germ-free » pouvait induire chez ces souris une réduction de l’appétit avec moindre prise de poids, et un comportement anxieux, tous symptômes présents dans l’anorexie chez les humains. On pense que le MI de ces patients a une capacité d’extraction d’énergie différente, qui expliquerait que leurs besoins caloriques pour prendre du poids soient plus importants.

La sensibilité particulière de la tranche d’âge 18-24 ans aux risques d’apparition de troubles mentaux potentiellement sévères, bien étayée maintenant, doit conduire à promouvoir chez ces jeunes adultes des comportements qui favorisent un microbiote de qualité :

  • régime alimentaire de qualité : consommation de fruits et légumes, d’aliments fermentés, de suppléments alimentaires de type probiotiques et prébiotiques ;
  • pratique régulière d’activité physique, qui a une influence sur le système neuro-endocrinien, la neurogenèse, le stress oxydant et l’auto-immunité ;
  • temps et qualité de sommeil suffisants, qui dépendent directement de l’axe HHS. Un sommeil irrégulier et insuffisant implique un risque de troubles du comportement alimentaire ;
  • élimination des substances addictives : la consommation de substances psychoactives, d’alcool et de cannabis augmente chez les jeunes, de même que l’utilisation de cigarettes électroniques. Ces produits sont connus pour leur rôle neurotrope, et ils peuvent altérer les métabolites du MI.

Commentaire

Jusqu’au tournant du siècle, la flore intestinale était simplement connue pour aider à mieux digérer les aliments, et faisait l’objet de très peu d’études. Depuis deux décennies, on a commencé à parler de « microbiote intestinal », et de nombreux articles affirment son rôle déterminant sur la santé physique et mentale. Le microbiote, avec ses milliards de micro-organismes, échangerait même nombre d’informations avec notre cerveau, et on lit souvent qu’il s’agit d’un « deuxième » cerveau. Cette dénomination est liée au fait que c’est l’intestin qui a le plus de neurones après le cerveau et parce que le microbiote a un rôle qu’on ne soupçonnait pas auparavant : il est composé d’un grand nombre de micro-organismes de toutes sortes (bactéries, virus etc.) qui vivent ensemble à la surface des tissus et dont on décrit sans cesse de nouvelles propriétés. Il contrôle ainsi la satiété ou même la nature des aliments qu’il nous plairait de manger à un moment donné : plus de gras, plus de sucre, etc. Si on a beaucoup parlé de « transplantation fécale » pour ce qu’elle a de surprenant, cette dernière ne fait pas encore partie de l’arsenal thérapeutique, à l’exception d’une maladie qui semble bien réagir à ce traitement et qui est l’infection à clostridium difficile.

Par ailleurs, les travaux de neurophysiologie et de psycho-sociologie ont décrit le mécanisme suivant : lors d’une prise de décision, on anticipe les risques d’échec et de succès, et on active le circuit de détection des erreurs de prédiction. Une fois la décision mise à l’épreuve, on peut voir si ses prédictions étaient justes ou non. Ce système est plus sensible chez les jeunes que chez les adultes plus âgés. Ainsi, si le jeune adulte, à la suite d’une prise de risque consciente, constate qu’il a gagné alors qu’il s’attendait à perdre, son circuit de détection des erreurs de prédiction va s’activer de façon excessive, et lui procurer une sensation de plaisir intense. C’est ce mécanisme qui incite beaucoup de jeunes à se placer en situation de risques, et on peut déplorer que la/le jeune adulte soit le plus facilement tenté.e de prendre des risques (excès nutritionnels, manque de sommeil, consommation de substances addictives etc.), alors qu’elle/il est à l’âge où le risque de développer une maladie mentale ou neurologique liée à un déséquilibre du microbiote est le plus élevé.


Publication analysée :

Analyse réalisée

Analyse de l’article : Drugs, guts, brains, but not rock and roll: the need to consider the role of gut microbiota in contemporary mental health and wellness of emerging adults. Lee JE, Walton D, O’Connor CP, et al. Drugs, guts, brains, but not rock and roll: the need to consider the role of gut microbiota in contemporary mental health and wellness of emerging adults. Int J Mol Sci 2022 ; 23 : 6643.