ANALYSE D'ARTICLE

Pollution atmosphérique, dénuement social et mortalité liée à la chaleur

Ce travail réalisé à partir des données de la ville de Paris suggère que l’exposition chronique à la pollution atmosphérique et le dénuement social augmentent la vulnérabilité de la population à la chaleur, avec un possible effet combiné des deux facteurs. Ces résultats nécessitent d’être confirmés par de futures études qui permettront de savoir dans quelle mesure ils s’appliquent à d’autres lieux.

This study used data from Paris to suggest that chronic exposure to air pollution and social deprivation increase people’s vulnerability to heat. The effect of the two factors is potentially interactive. These results need confirmation by future studies to determine the extent to which they apply to other locations.

La perspective d’une augmentation des températures estivales stimule la recherche de facteurs de vulnérabilité à la chaleur. Plusieurs conditions individuelles – comme un âge avancé – et résidentielles – faible densité d’espaces verts, urbanisme favorisant le phénomène d’îlot de chaleur, etc. – ont déjà été identifiées. L’effet des polluants atmosphériques, et de l’ozone en particulier, sur la relation température-mortalité, commence à être décrit. L’approche suivie jusqu’à présent consiste à estimer l’impact immédiat ou à court terme de l’exposition aux polluants, sur la base de données de concentrations journalières. Cette étude dans laquelle la pollution atmosphérique a été envisagée sous l’angle d’une exposition chronique, fournit donc un autre éclairage. L’effet modificateur de la pollution sur la relation température-mortalité a été examiné conjointement avec l’effet d’un autre facteur d’intérêt : le dénuement social.

 

 

Matériel et méthode

Le registre des décès de la ville de Paris a été utilisé pour en extraire les décès survenus pendant les mois de mai à août 2004 à 2009 chez des personnes de plus de 35 ans (les motifs n’étant pas accessibles, les sujets les plus jeunes ont été écartés pour limiter l’inclusion de décès de causes accidentelles). Au total, 46 056 décès avaient été enregistrés sur la période de l’étude, avec un compte journalier allant de 3 à 93. Chaque cas a été localisé, sur la base de son adresse, dans son quartier de résidence, correspondant à l’une des 992 unités administratives de recensement de la ville (IRIS : îlots regroupés pour l’information statistique). Le dioxyde d’azote (NO2) a été choisi pour représenter la pollution liée au trafic, et les concentrations estivales moyennes sur la période étudiée ont été estimées à l’échelon de l’îlot de recensement à l’aide d’un modèle de dispersion à haute résolution spatiale. Les îlots ont été répartis en trois groupes d’exposition, correspondant aux tertiles de la distribution des concentrations de NO2. Une deuxième classification en trois groupes a été effectuée, en fonction de l’indice de désavantage social, mesuré à partir de 15 variables socio-économiques et démographiques (revenu médian, répartition des niveaux d’études, des catégories professionnelles, proportion de locataires, de familles monoparentales, d’étrangers, surface des logements, etc.). Les données manquaient pour 54 îlots faiblement peuplés (zones d’activités plus que résidentielles), ce qui a exclu 160 cas de décès de l’analyse.

Météo-France a fourni les données climatiques pour la période de l’étude, et les relations entre la température moyenne (qui allait de 7 à 26° C) et la mortalité journalière ont été établies (modèles prenant en compte le taux d’humidité relative et la saisonnalité de la mortalité) pour l’ensemble de la population, selon l’âge (moins de 65 ans versus 65 ans et plus), le sexe, le niveau d’exposition à la pollution, et le degré de désavantage social. Afin d’estimer l’interaction entre ces deux derniers facteurs, une stratification supplémentaire a été réalisée en divisant la population en deux groupes d’exposition au NO2 autour de la concentration médiane (51,8 μg/m3), la relation température-mortalité étant ensuite établie pour les trois catégories de désavantage social.

Les calculs subséquents – risques relatifs (RR) de décès pour chaque degré de température, proportions des décès attribuables à la chaleur (pour les 280 jours avec un RR excédant 1) et nombres de décès attribuables – ont abouti à des taux de mortalité attribuables à la chaleur pour chaque catégorie.

 

Résultats

Sur la base des données 2004 à 2009, la chaleur estivale peut être tenue responsable de 121 décès annuels en moyenne à Paris, ce qui, rapporté à une population d’environ 2,25 millions d’habitants, donne un taux de mortalité attribuable de 5,37 pour 100 000 (IC95 = 5,01-5,73),

comparable aux résultats d’autres études. La vulnérabilité liée à l’âge est confirmée (taux de mortalité pour 100 000 égal à 33,57 [IC95 = 31,65-35,81] à partir de 65 ans versus 0,78 [0,62-0,88] en-dessous ; p = 0,001) tandis que le sexe n’apparaît pas modifier la relation chaleur-mortalité, comme dans d’autres études. L’exposition chronique à la pollution est identifiée comme un facteur de vulnérabilité : le taux de mortalité pour 100 000 est respectivement estimé à 4,75 (4,13-5,22) dans la catégorie d’exposition la plus faible (NO2 ≤ 50,6 μg/m3), à 5,97 (5,36-6,32) dans la catégorie intermédiaire (concentration de NO2 comprise entre 50,7 et 55,8 μg/m3) et à 7,89 pour une exposition à une concentration de NO2 > 55,8 μg/m3 (p = 0,03).

Le taux de mortalité augmente avec le dénuement social (passant de 4,33 [3,31-5,23] pour la catégorie la plus favorisée à 7,26 [6,74-7,85] pour la plus défavorisée), mais son effet n’est pas statistiquement significatif (p = 0,08). La double stratification indique que l’influence du dénuement est plus marquée dans la moitié de la population la plus exposée à la pollution, où le taux de mortalité pour 100 000 est de 3,59 (2,29-5,07) dans la catégorie favorisée, de 5,36 (4,22-6,41) dans la catégorie intermédiaire, et de 9,82 (7,79-10,93) dans la catégorie défavorisée (p = 0,07). En regard, dans la population moins exposée à la pollution, le dénuement social fait passer le taux de mortalité de 3,78 (2,87-5,03) à 6,92 (5,11-8,12) ; p = 0,14.

Ces résultats suggèrent que l’impact de la chaleur ambiante sur la mortalité est plus important dans les zones souffrant d’une pollution atmosphérique chronique, d’autant plus qu’il s’agit de quartiers défavorisés. Ils incitent à explorer l’interaction potentielle entre l’exposition à la pollution et le dénuement social, et à envisager les zones fortement polluées comme des zones vulnérables pour la mise en œuvre des plans canicules et, à plus long terme, des plans d’aménagement urbain et d’adaptation au changement climatique.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Benmarhnia T1, Oulhote Y, Petit C, et al. Chronic air pollution and social deprivation as modifiers of the association between high termperature and daily mortality. Environmental Health 2014; 13: 53.

doi: 10.1186/1476-069X-13-53

 

1 École des hautes études en santé publique (EHESP), Rennes, France & Université de Montréal, Canada.