ANALYSE D'ARTICLE

Pollution et qualité du sperme : intérêt du taux de fragmentation de l’ADN spermatique

Comparant des groupes d’habitants de deux régions d’Italie confrontées à une pollution de source spécifique à des groupes témoins, cette étude de petite taille montre que leurs spermogrammes n’offrent pas de caractéristiques différenciantes. Le taux de fragmentation de l’ADN spermatique est en revanche significativement plus élevé chez les hommes vivant dans des zones polluées, ce qui suggère sa valeur comme biomarqueur d’exposition à des contaminants environnementaux délétères pour la santé.

Les connaissances relatives à la fragmentation de l’ADN spermatique – cassures simple ou double brin de l’ADN du spermatozoïde – sont encore incomplètes. Le taux ou indice de fragmentation (DFI pour DNA fragmentation index) semble être un marqueur de la qualité du sperme indépendant des paramètres classiques du spermogramme à l’exception de la nécrospermie (pourcentage élevé de spermatozoïdes morts), mais son absence n’exclut pas un taux de fragmentation important. Celui-ci compromettrait moins la fécondation de l’ovocyte et la formation d’un blastocyste que l’implantation et la poursuite du développement embryonnaire, conduisant à des interruptions de grossesse plus ou moins précoces. Il est provisoirement admis qu’un DFI supérieur à 30 % reflète une franche altération du sperme (aucune grossesse évolutive ne pourrait être obtenue lorsqu’il dépasse 45 %) tandis qu’un DFI inférieur à 3 % témoigne d’un sperme de bonne qualité. Dans la plage des valeurs intermédiaires et jusqu’à un certain seuil qui serait compris entre 20 et 30 %, les lésions de l’ADN du gamète masculin semblent pouvoir être efficacement réparées dans l’ovocyte par des mécanismes partiellement élucidés.

La présence de spermatozoïdes dont l’ADN est endommagé dans l’éjaculat relèverait de causes intrinsèques (défauts des processus de maturation et de sélection durant la spermatogenèse [72 jours]), ainsi que de facteurs à l’origine d’un stress oxydant post-testiculaire (l’ADN de cellules saines étant alors lésé lors de leur passage dans l’épididyme), comme des conditions pathologiques (état inflammatoire aigu ou chronique, épisode fébrile), un traitement anticancéreux (chimio- ou radiothérapie) ou l’exposition à des toxiques environnementaux.

À ce titre, la fragmentation de l’ADN spermatique pourrait être à la fois un indicateur sensible et précoce de l’exposition à la pollution et de son impact sur la santé des hommes. Cette hypothèse est l’un des axes du projet de recherche EcoFoodFertility développé en Italie, qui examine les conséquences de la contamination de l’environnement sur la qualité du sperme de volontaires sains (hommes âgés de 20 à 40 ans, non fumeurs ni buveurs excessifs). Le projet a été initié en Campanie, région du sud-ouest du pays touchée par le scandale de la « Terra dei fuochi », une plaine qui s’étend du nord de Naples au sud de Caserte ainsi nommée pour les foyers d’incinération sauvage de décharges illégales à ciel ouvert de déchets industriels et urbains contenant des produits toxiques, qui empoisonnent l’air, la terre agricole et les nappes phréatiques. Soixante-dix résidents de cette zone ont été inclus dans ce travail mené entre janvier et décembre 2013 rapportant la qualité du sperme de cinq groupes de sujets vivant dans un environnement plus ou moins pollué.

Groupes exposés et leurs témoins

Les 70 habitants de la Terra dei fuochi constituaient le groupe C, ayant pour groupe témoin (E) 105 résidents d’une zone de la Campanie sans implantation industrielle ni pression environnementale forte (recrutés à l’hôpital d’Oliveto Citra, commune de la province de Salerne). Les sujets des groupes A (n = 28) et B (n = 61) étaient des habitants de la province de Tarante, dans la région des Pouilles (au sud-est du pays), siège d’une autre crise environnementale et sanitaire majeure due aux émissions polluantes de grandes aciéries, incluant des rejets de dioxine. Le groupe A constitué de travailleurs de la sidérurgie cumulait expositions résidentielle et professionnelle (y compris à la chaleur). Les sujets des deux groupes avaient été recrutés parmi les patients de la clinique de fertilité régionale. Leur groupe témoin correspondant (D, résidents d’une zone sans contamination environnementale particulière) était composé de 63 patients de la clinique de fertilité de Palerme (Sicile).

Les critères d’exclusion (écartés par l’interrogatoire et l’examen clinique) étaient une maladie chronique, une varicocèle, une prostatite, un autre facteur pouvant affecter la qualité du sperme (fièvre, traitement médicamenteux, exposition aux rayons X, etc.), une toxicomanie et (sauf pour le groupe A) une exposition professionnelle à des agents chimiques toxiques.

Analyses et résultats

Les participants ont fourni un échantillon de sperme après une période d’abstinence sexuelle comprise entre deux et sept jours selon les consignes. Les paramètres classiques considérés étaient le volume de l’éjaculat, le nombre et la concentration des spermatozoïdes, ainsi que leur mobilité. Les valeurs étaient normales et comparables dans les groupes C et E (par exemple respectivement 44,2 et 42,8 millions/ml pour la concentration spermatique, et 32,3 et 35 % de formes mobiles progressives à la première heure). Les groupes A, B et D, constitués de patients de centres d’aide à la procréation, présentaient également des valeurs comparables avec une moindre qualité générale du sperme. La concentration spermatique moyenne (19,59 [groupe A], 28,02 [B] et 20 millions/ml [D]) était au-dessus du seuil d’oligospermie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS 2010 : 15 millions/ml), tandis que la mobilité moyenne était anormalement basse (respectivement 20,4, 27,2 et 28,6 % de formes mobiles progressives à une heure pour un seuil d’asthénospermie à 32 %).

Le DFI a été déterminé par le test SCD (sperm chromatin dispersion) pour les sujets des groupes C et E, et par le test TUNEL (terminal uridine nick end labeling) après préparation d’échantillons enrichis en cellules mobiles pour les sujets des groupes A, B et D. Des différences statistiquement significatives sont mises en évidence entre les groupes C (taux de fragmentation moyen : 34,02 %) et E (27,2 %), comme entre les groupes A (31 %) et D (16,8 %), A et B (25 %) et B et D.

Les auteurs ont considéré les données régionales de mesure de la concentration atmosphérique de trois polluants (les PM10, les PM2,5 et le benzène) pour éclairer leurs résultats. Elles objectivent une pollution ambiante plus importante dans la Terra dei fuochi (groupe C) que dans la zone témoin de la Campanie (groupe E) : par exemple pour les PM2,5, la concentration moyenne annuelle est respectivement de 23,44 et 10,62 μg/m3. Les écarts moins nets entre les régions de Tarante (hors zone industrielle) et de Palerme ne suffisent pas à expliquer la différence du taux de fragmentation de l’ADN spermatique dans les groupes B (25 %) et D (16,8 %).

 


Publication analysée :

* Bosco L1, Notari T, Ruvolo G, et al. Sperm DNA fragmentation: an early and reliable marker of air pollution. Environ Tox Pharmacol 2018 ; 58 : 243-9. doi : 10.1016/j.etap.2018.02.001

1 Department of Biological, Chemistry and Pharmaceutical Sciences and Technologies, University of Palermo, Palerme, Italie.